Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 250 732,94 euros, assortie des intérêts au taux légal, avec capitalisation annuelle des intérêts, en réparation du préjudice que lui a causé la carence fautive du ministre de la justice.
Par un jugement n° 1903660/5-2 du 3 février 2021, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser la somme de 3 661,67 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2018 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 17 septembre 2019 puis à chaque échéance annuelle, a mis à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 31 mars et 17 novembre 2021 et
17 janvier 2022, M. B..., représenté par Me Dokhan, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1903660/5-2 du 3 février 2021 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à sa demande indemnitaire ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 247 071,27 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2018 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice que lui a causé la carence fautive du ministre de la justice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dès lors qu'il ne ressort pas de sa motivation que les premiers juges ont examiné l'ensemble des mémoires présentés par les parties et les 725 pièces qu'il a produites ;
- les premiers juges n'ont pas omis de répondre à la fin de non-recevoir tirée de l'absence de caractère décisoire de la lettre du 21 décembre 2018 dès lors que le ministre n'a pas opposé cette fin de non -recevoir ;
- sa demande de première instance n'est pas tardive ;
- il ressort de l'article D. 311-1 du code de la sécurité sociale que les personnes exerçant les activités énumérées au 21° de l'article L. 311-3 de ce code sont des collaborateurs occasionnels du service public par détermination de la loi sans qu'il soit besoin d'apprécier le caractère occasionnel des missions qu'ils accomplissent en appliquant un critère jurisprudentiel ; en tout état de cause, les missions des collaborateurs occasionnels du service public sont par nature occasionnelles ;
- les critères retenus par le tribunal pour qualifier d'occasionnelle l'activité d'expert devant les tribunaux ne reposent sur aucun fondement légal ; la circulaire du 21 juillet 2000 relative à la mise en œuvre des dispositions relatives au rattachement au régime général de la sécurité sociale des collaborateurs occasionnels du service public qui les mentionne est dépourvue de toute valeur juridique ;
- ces critères jurisprudentiels sont dépourvus d'objectivité et sont difficiles à mettre en œuvre ; la durée des missions n'est pas prévisible et ces missions génèrent des revenus d'un montant très variable ; en outre, le montant maximal des revenus générés par les missions d'expertise judiciaire à partir duquel un expert devant les tribunaux cesse de relever de la catégorie des collaborateurs occasionnels du service public n'est pas fixé ;
- ces critères portent atteinte au principe constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et, par suite, au principe de sécurité juridique ;
- ils ne sont pas appliqués par le ministre de la justice qui, depuis le 1er janvier 2016, s'acquitte, sur le fondement des articles D. 311-2 et suivants du code de la sécurité sociale, des cotisations sociales afférentes aux missions accomplies par les collaborateurs occasionnels du service public quel que soit le nombre de missions, leur durée ou le montant des rémunérations ; or, les dispositions de ces articles sont parfaitement identiques à celles du décret n° 2000-35 du
17 janvier 2000 sous l'empire desquelles ses demandes doivent être appréciées ;
- les montants retenus par les premiers juges compris entre 45 109 euros et 188 364 euros ne constituent pas des revenus ou bénéfices nets mais correspondent aux chiffres d'affaires annuels générés par les missions accomplies entre 2004 et 2015 desquels il convient de déduire les charges sociales salariales et patronales qui s'élèvent à un total de 247 071,27 euros ; dans ces conditions, sa rémunération annuelle avant imposition est de 94 114 euros ; il s'ensuit que c'est à tort que cette rémunération a été qualifiée de substantielle et une telle qualification échappe au demeurant au juge administratif ;
- en outre, son niveau de revenus ne peut pas être évalué rétrospectivement à partir d'une moyenne calculée sur les douze années en cause car ce raisonnement a pour effet de le priver du bénéfice des cotisations sociales dues par l'Etat au seul motif que ce dernier ne les aurait pas réglées au fur et à mesure au titre de chacune des missions accomplies sur les douze années concernées ;
- il a accompli ses missions d'expert devant les tribunaux en qualité de collaborateur occasionnel du service public au sens du 21° de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale en fonction des besoins du service public de la justice pendant la période de 2004 à 2015 ; ses interventions ont été occasionnelles par nature et par détermination de la loi ;
- la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée en raison de la carence fautive du ministère de la justice qui n'a pas versé de cotisations sociales auprès des caisses de retraite du régime de base et du régime complémentaire pendant la période en cause en méconnaissance des dispositions du décret n° 2000-35 du 17 janvier 2000 ;
- en outre, il doit également être indemnisé des frais d'avocat exposés pour la défense de ses intérêts qui s'élèvent à 3 600 euros ainsi que des frais exposés auprès du cabinet MetC... d'un montant de 960 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 décembre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la Cour d'annuler le jugement du 3 février 2021 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il l'a condamné à verser à M. B... la somme de 3 661,67 euros.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ont omis de viser et de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de caractère décisoire de la lettre du
21 décembre 2018 qui n'a pas pour objet de rejeter sa demande indemnitaire ;
- la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris est irrecevable du fait de l'absence de caractère décisoire de la lettre du 21 décembre 2018 ; elle est également tardive ;
- il ressort notamment de la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris que pour présenter un caractère occasionnel au sens des dispositions de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, l'activité en cause doit être exercée de façon discontinue, ponctuelle, irrégulière ou accessoire ; or, eu égard au nombre de missions exercées et aux revenus perçus chaque année, l'activité d'expert devant les tribunaux de M. B... présentait, au cours de la période 2004 à 2015, un caractère régulier, sans présenter de caractère accessoire puisque l'intéressé n'exerçait pas d'autre activité à titre principal ; dans ces conditions, l'activité d'expertise judiciaire de M. B..., qui doit être regardée comme régulière, ne peut pas être qualifiée de collaboration occasionnelle au service public ; il s'ensuit qu'en ne procédant pas à l'affiliation de M. B... au régime général de la sécurité sociale et au régime complémentaire obligatoire de l'Ircantec, l'Etat n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;
- en tout état de cause, les pièces versées au dossier par le requérant, notamment le tableau établi par le cabinet d'expertise comptable, ne permettent pas de déterminer le montant exact de l'indemnité qui lui serait due au regard de l'assiette établie ; aucun lien ne peut être établi entre l'indemnité sollicitée et les sommes versées par le ministère de la justice dans le cadre de son activité d'expert judiciaire susceptible d'être assujettie aux cotisations sociales ;
- le tribunal ayant fait droit à la demande de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, c'est à bon droit que sa demande tendant au remboursement des frais d'avocat exposés pour la défense de ses intérêts qui s'élèvent à 3 600 euros et des frais exposés auprès du cabinet MetC... d'un montant de 960 euros a été rejetée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le décret n° 70-1277 du 23 décembre 1970 ;
- le décret n° 2000-35 du 17 janvier 2000 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dokhan, avocat de M. B....
Une note en délibéré a été présentée pour M. B... le 16 mai 2022.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a accompli en qualité d'expert judiciaire plusieurs missions confiées par les juridictions du ressort de la Cour d'appel de Douai ainsi que par les juridictions administratives entre 2002 et 2015. Par un courrier du 10 septembre 2018, reçu le 17 septembre 2018, il a sollicité de la ministre de la justice le versement d'une indemnité de 250 732,94 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en sa qualité de collaborateur occasionnel du service public du fait de l'absence de versement par l'Etat des cotisations sociales afférentes aux rémunérations perçues dans le cadre des missions d'expertise. Cette demande a été implicitement rejetée. Par un jugement du 3 février 2021, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser la somme de 3 661,67 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2018 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 17 septembre 2019 et a rejeté le surplus de sa demande. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à sa demande indemnitaire. Par la voie de l'appel incident, le ministre de la justice demande à la Cour d'annuler ce jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à M. B... la somme de 3 661,67 euros.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (...) "
3. Il ressort du dossier de première instance transmis par le Tribunal administratif de Paris à la Cour que dans sa demande introductive d'instance, M. B... a sollicité l'annulation de la décision de la ministre de la justice du 21 décembre 2018 et que dans son mémoire en défense enregistré au greffe du tribunal le 6 mars 2020, la ministre de la justice a opposé une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de ces conclusions en l'absence de caractère décisoire du courrier du 21 décembre 2018. Le tribunal, d'une part, n'a pas visé cette fin de non-recevoir et, d'autre part, n'y a pas répondu. Dans ces conditions, les premiers juges ont entaché d'irrégularité le jugement attaqué. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen relatif à la régularité du jugement attaqué soulevé, le ministre de la justice est fondé à en demander l'annulation.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. B... présentée devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 21 décembre 2018 :
5. Il ressort des pièces du dossier, comme il a déjà été dit, que par un courrier du
10 septembre 2018, reçu le 17 septembre 2018, M. B... a présenté à la ministre de la justice une demande tendant au versement d'une indemnité de 250 732,94 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en sa qualité de collaborateur occasionnel du service public du fait de l'absence de versement par l'Etat des cotisations sociales afférentes aux rémunérations perçues dans le cadre des missions d'expertise. Par un courrier en date du 21 décembre 2018, la ministre de la justice, après avoir rappelé les termes de la demande de M. B..., l'a informé que sa demande était en cours d'instruction. Eu égard à ses termes, ce courrier ne présente pas de caractère décisoire et ne constitue pas un acte faisant grief. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la ministre de la justice tirée de ce que les conclusions à fin d'annulation de la décision du
21 décembre 2018 sont dirigées contre un acte insusceptible de recours doit être en tout état de cause accueillie.
6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 21 décembre 2018 ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice :
7. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa version en vigueur à la date d'introduction de la demande devant le tribunal : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". L'article R. 421-2 du même code dispose que : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. / La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête ".
8. Il résulte de l'instruction que la demande indemnitaire présentée par M. B..., qui porte sur les missions qui lui ont été confiées en qualité d'expert judiciaire entre 2002 et 2015 par les juridictions judiciaires du ressort de la Cour d'appel de Douai et par les juridictions administratives, a été reçue par l'administration le 17 septembre 2018. Du silence gardé par la ministre de la justice pendant deux mois sur cette demande est née le 17 novembre 2018 une décision implicite de rejet contre laquelle le délai de recours expirait en principe le 18 janvier 2019. Toutefois, par un courrier du 21 décembre 2018, intervenu alors que le délai de recours contre la décision implicite n'était pas encore expiré, la ministre a indiqué à M. B... que sa demande était " actuellement en cours d'instruction " et que ses services " ne manqueront pas de revenir vers vous afin de vous communiquer des éléments de réponse ". Ce courrier a pu légitimement induire en erreur M. B... sur les conditions de la survenance d'une décision sur sa demande. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice tiré de ce que les conclusions indemnitaires enregistrée le 21 février 2019 au greffe du tribunal sont tardives doit être écartée.
Sur la responsabilité de l'Etat :
9. D'une part, l'article L. 611-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur du 9 décembre 2005 au 1er janvier 2017, dispose que : " Le régime social des indépendants couvre : / 1° Au titre de l'assurance maladie et maternité les personnes mentionnées à l'article L. 613-1 ; / 2° Au titre de l'assurance vieillesse, de l'invalidité-décès et de l'assurance vieillesse complémentaire obligatoire les personnes appartenant aux groupes des professions artisanales et des professions industrielles et commerciales mentionnées à l'article L. 621-3 ". En application de l'article L. 613-1 de ce code, dans sa version applicable pour la période en cause, les travailleurs membres du groupe des professions libérales sont " obligatoirement affiliés au régime d'assurance maladie et d'assurance maternité des travailleurs non-salariés des professions non agricoles ". L'article L. 621-3 du même code alors applicable dispose que : " Les groupes professionnels mentionnés à l'article L. 621-2 sont : / 1° Le groupe des professions artisanales ; / 2° Le groupe des professions industrielles et commerciales ; / 3° Le groupe des professions libérales ; / 4° Le groupe des professions agricoles. ". L'article L. 641-1 du même code alors applicable dispose que : " L'Organisation autonome d'assurance vieillesse des professions libérales comprend une caisse nationale et des sections professionnelles, dotées de la personnalité juridique et de l'autonomie financière. / La compétence territoriale des sections professionnelles est nationale ". Aux termes de l'article R. 641-1 du même code : " La Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales comprend dix sections professionnelles : (...) 11° La section professionnelle des (...) experts et conseils (...) et de toute profession libérale non rattachée à une autre section. ". Enfin, aux termes de l'article L. 622-5 du même code : " Les professions libérales groupent les personnes exerçant l'une des professions ci-après ou dont la dernière activité professionnelle a consisté dans l'exercice de l'une de ces professions : (...) 2) (...) expert devant les tribunaux (...) ".
10. D'autre part, aux termes de l'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale : " Sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat ". L'article L. 311-3 du même code, dans sa version applicable au litige, dispose que : " Sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s'impose l'obligation prévue à l'article L. 311-2, même s'ils ne sont pas occupés dans l'établissement de l'employeur ou du chef d'entreprise, même s'ils possèdent tout ou partie de l'outillage nécessaire à leur travail et même s'ils sont rétribués en totalité ou en partie à l'aide de pourboires : (...) 21°) Les personnes qui exercent à titre occasionnel pour le compte de l'Etat (...) une activité dont la rémunération est fixée par des dispositions législatives ou réglementaires ou par décision de justice. Un décret précise les types d'activités et de rémunérations en cause. Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables, sur leur demande, dans des conditions fixées par décret, aux personnes exerçant à titre principal une des professions visées à l'article L. 621-3, lorsque les activités occasionnelles visées ci-dessus en sont le prolongement. (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 17 janvier 2000 portant rattachement de certaines activités au régime général, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2016 : " Pour l'application du 21° des dispositions de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, les activités mentionnées audit 21° sont celles effectuées par les personnes suivantes : 1° Les personnes mentionnées au 3° et au 6° de l'article R. 92 du code de procédure pénale ; / ) 2° Les experts désignés par le juge en application de l'article 264 du nouveau code de procédure civile (...) L'Etat (...) qui [fait] appel aux personnes mentionnées ci-dessus versent les cotisations de sécurité sociale, la contribution sociale généralisée et la contribution pour le remboursement de la dette sociale aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-4 du code de la sécurité sociale, sous réserve des dispositions de l'article 3 ci-dessous ". L'article R. 312-4 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, disposait que : " L'immatriculation au régime général s'effectue obligatoirement (...) à la diligence de l'employeur, dans le délai de huitaine qui suit l'embauchage de toute personne non encore immatriculée et remplissant les conditions prévues aux articles L. 311-2 et suivants ".
11. Enfin, aux termes de l'article 3 du décret du 23 décembre 1970 portant création d'un régime de retraites complémentaire des assurances sociales en faveur des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques : " Le régime complémentaire géré par l'I.R.C.A.N.T.E.C. s'applique à titre obligatoire : / a) Aux administrations, services et établissements publics de l'Etat (...) ".
12. Il résulte de ces dispositions que, jusqu'en 2015, les experts devant les tribunaux devaient, lorsqu'ils avaient la qualité de collaborateurs occasionnels du service public au sens de ces dispositions, être obligatoirement affiliés au régime général de la sécurité sociale au titre du 21° de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, sauf s'ils renonçaient à cette affiliation et exerçaient leur droit d'option au rattachement au régime des travailleurs indépendants. Ces dispositions ne sauraient être interprétées, contrairement à ce que soutient M. B..., comme attribuant systématiquement aux experts devant les tribunaux la qualité de collaborateurs occasionnels du service public. En outre, le requérant ne peut pas utilement invoquer les dispositions de l'article D. 311-1 du code de la sécurité sociale qui fixent la liste des personnes qui contribuent de façon occasionnelle à l'exécution d'une mission de service public à caractère administratif au sens des dispositions du 21° de l'article L. 311-3 ainsi que celles de l'article D. 311-2 du même code dès lors que ces dispositions ne sont entrées en vigueur que le 1er janvier 2016, soit postérieurement à la période pour laquelle M. B... sollicite une indemnité.
13. Pour présenter un caractère occasionnel au sens des dispositions applicables au litige citées aux points 9 à 11, l'activité d'expert devant les tribunaux doit être exercée de manière accessoire à une activité principale ou si elle est exercée à titre exclusif, elle doit l'être de façon discontinue, ponctuelle et irrégulière. Si M. B... critique ces critères en soutenant qu'ils ne seraient pas objectifs, ni suffisamment précis et seraient difficiles à mettre en œuvre dès lors notamment que le nombre de missions confiées aux experts devant les tribunaux et les revenus procurés par ces missions sont variables et dépendent des besoins des tribunaux, il ne propose cependant aucun autre critère de nature à opérer une distinction entre les experts devant les tribunaux exerçant leurs activités en qualité de collaborateurs occasionnels du service public ou au titre d'une profession libérale. Enfin, il ne peut utilement soutenir que ces critères jurisprudentiels méconnaissent l'objectif d'accessibilité et intelligibilité de la loi et le principe de sécurité juridique.
14. Il résulte de l'instruction qu'entre 2002 et 2015, M. B... n'exerçait pas d'autre activité professionnelle que celle d'expert en bâtiment dans le cadre des missions d'expertise qui lui étaient confiées par les juridictions judiciaires du ressort de la Cour d'appel de Douai et par les juridictions administratives. Il ressort des nombreuses ordonnances de référé, de mise en état, de taxes, des jugements rendus pendant la période en cause et versés au dossier ainsi que du tableau récapitulatif établi par M. B..., qui n'est pas contesté sur ce point par le ministre de la justice, qu'au titre des années 2002 et 2003, M. B... n'a été désigné en tant qu'expert devant les tribunaux que quatre et dix-huit fois et que cette activité d'expertise lui a procuré des revenus annuels bruts de 2 782 euros et 15 185 euros. Dans ces conditions, eu égard tant au nombre de missions d'expertises réalisées que des revenus générés par celles-ci au cours de chacune de ces deux années, son activité d'expert judiciaire exercée à titre exclusif, comme il a été dit, présentait un caractère discontinu, ponctuel et irrégulier. Par suite, au titre de ces deux années, M. B... doit être regardé comme ayant la qualité de collaborateur occasionnel du service public et aurait dû, à ce titre, être affilié au régime général de la sécurité sociale ainsi qu'au régime complémentaire obligatoire de l'IRCANTEC. Il résulte des dispositions citées aux points 9 et 10 qu'il incombait à l'Etat, en sa qualité d'employeur, d'entreprendre les démarches nécessaires à l'affiliation de M. B... au régime général de la sécurité sociale et au régime complémentaire des agents non titulaires au titre des années 2002 et 2003. Or, le ministre de la justice n'a pas procédé à cette immatriculation ni versé les cotisations correspondantes. Dans ces conditions, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. B....
15. En revanche, il résulte de l'instruction qu'au cours des années 2004 à 2015, M. B... a, chaque année, régulièrement été désigné en qualité d'expert par les juridictions judiciaires et administratives. Il a ainsi effectué sur cette période un nombre de missions d'expertise annuel compris entre trente et quatre-vingt-quinze, lui procurant des revenus allant de 45 109 euros à 188 364 euros brut par an. Eu égard à la nature de l'appréciation qui est portée sur le caractère occasionnel de l'activité d'expert judiciaire de l'intéressé, il n'y pas lieu de déduire les charges sociales et patronales de ces revenus. Au vu du nombre de missions exercées annuellement et des revenus perçus chaque année, et alors que, comme il a déjà été dit, M. B... n'exerçait pas d'autre activité professionnelle à titre principal, son activité d'expert devant les tribunaux présentait, au cours de cette période, un caractère régulier. La circonstance que son activité est soumise aux besoins du service public de la justice n'est pas de nature à lui retirer son caractère régulier. Dans ces conditions, M. B... ne peut être regardé comme ayant eu, entre 2004 et 2015, la qualité de collaborateur occasionnel du service public au sens du 21° de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale. Par suite, en ne l'affiliant pas durant cette période au régime général et au régime complémentaire obligatoire au cours de cette période, l'Etat n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.
Sur les préjudices :
16. En premier lieu, il ressort des points 13 et 14 que M. B... est seulement fondé à demander réparation du préjudice résultant de la carence fautive de l'Etat qui n'a pas versé les cotisations sociales dues au titre de ses missions d'expertise pour les seules années 2002 et 2003. Ce préjudice présente un caractère certain. Pour établir le montant de son préjudice, M. B... verse au dossier des tableaux dont il n'est pas contesté qu'ils ont été établis par le cabinet M et C..., lequel a procédé à une reconstitution du coût global du régime de base et des points IRCANTEC. En se bornant à soutenir que les montants retenus par ce cabinet ne sont pas justifiés sans apporter aucun élément chiffré, ni aucun autre élément sérieux de nature à les infirmer, le ministre de la justice n'est pas fondé à soutenir que le préjudice de M. B... n'est pas établi. Dans ces conditions, M. B... est fondé à solliciter une indemnité de 3 661,67 euros en réparation du préjudice subi.
17. En deuxième lieu, M. B... a droit au remboursement des frais qu'il a engagés pour le calcul du montant des cotisations patronales et salariales d'assurance vieillesse du régime de base et du régime complémentaire IRCANTEC réalisé par le cabinet M et C.... Il produit une facture du 5 février 2018 d'un montant de 960 euros. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 960 euros au titre de ces frais.
18. En troisième lieu, les frais de justice, s'ils ont été exposés en conséquence directe d'une faute de l'administration, sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de l'illégalité fautive imputable à l'administration. Toutefois, lorsque l'intéressé a fait valoir devant le juge une demande fondée sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le préjudice est intégralement réparé par la décision que prend le juge sur ce fondement. Il n'en va autrement que dans le cas où le demandeur ne pouvait légalement bénéficier de ces dispositions.
19. M. B... sollicite une indemnité à hauteur de 3 600 euros au titre des frais d'avocat exposés pour la défense de ses intérêts. Toutefois, dès lors que l'intéressé présente, dans le cadre de la présente instance, des conclusions sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce préjudice doit être regardé comme intégralement réparé par la décision prise dans le présent arrêt sur ce fondement.
20. Il résulte des points 16 à 19 que l'Etat est condamné à verser à M. B... la somme de 4 621,67 euros en réparation de ses préjudices.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
21. M. B... a droit aux intérêts au taux légal de la somme qui lui est due à compter du 17 septembre 2018, date de la réception par les services du ministre de la justice de sa demande indemnitaire préalable.
22. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Si, à la date où elle est demandée, les intérêts sont dus depuis moins d'une année, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée par M. B... le 21 février 2019 au Tribunal administratif de Paris. Il y a ainsi lieu de capitaliser les intérêts au 17 septembre 2019, date à laquelle une année d'intérêts a été due, et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais liés à l'instance :
23. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1903660/5-2 du 3 février 2021 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B... la somme de 4 621,67 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2018 et ces intérêts seront eux-mêmes capitalisés à compter du 17 septembre 2019 puis à chaque échéance annuelle.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de M. B... présentées devant le Tribunal administratif de Paris et de ses conclusions d'appel est rejeté.
Article 5 : Le surplus des conclusions du ministre de la justice est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juin 2022.
La rapporteure,
V. D...Le président,
R. LE GOFF
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA01673