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10/06/2022 | FRANCE | N°20PA01466

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 10 juin 2022, 20PA01466


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française la condamnation de l'Etat au versement d'une somme totale de 1 880 000 F CFP en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 1800221 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19PA01578 du 1er octobre 2020, la Cour a annulé le jugement n° 1800221 du 26 mars 2019 du tribunal administratif de la Polynésie française et a renvoy

M. B... devant le tribunal administratif de la Polynésie française pour qu'il soit statu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française la condamnation de l'Etat au versement d'une somme totale de 1 880 000 F CFP en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 1800221 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19PA01578 du 1er octobre 2020, la Cour a annulé le jugement n° 1800221 du 26 mars 2019 du tribunal administratif de la Polynésie française et a renvoyé M. B... devant le tribunal administratif de la Polynésie française pour qu'il soit statué sur sa demande.

Par un mémoire complémentaire, M. B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française la condamnation de l'Etat au versement d'une somme complémentaire de 507 542 F CFP en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 1900346 du 10 mars 2020, le tribunal administratif de la Polynésie française a, en ses articles 1er et 2, renvoyé M. B... devant l'administration pour que celle-ci procède au versement du coefficient de majoration correspondant à sa période de suspension et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 150 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en son article 3, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 juin 2020 et le 19 février 2021, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1900346 du 10 mars 2020 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de la Polynésie française.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que le coefficient de majoration pouvait être appliqué au traitement de M. B... pendant sa période de suspension ;

- les conclusions aux fins d'appel incident présentées par M. B... sont irrecevables dès lors qu'elles se rattachent à des faits générateurs distincts ;

- l'administration n'a commis aucune illégalité fautive en prolongeant la suspension de M. B... au-delà du délai de quatre mois ;

- M. B... a commis une faute qui a concouru à la réalisation du préjudice moral qu'il soutient avoir subi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2021, M. B..., représenté par la SELARL Jurispol, conclut au rejet de la requête du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, et, par la voie de l'incident, à l'annulation de l'article 3 du jugement n° 1900346 et à la condamnation de l'Etat au paiement d'une somme totale de 1 187 542 F CFP en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, et à ce qu'une somme de 300 000 F CFP soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- aucun des moyens soulevés par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse n'est fondé ;

- en refusant de lui verser le coefficient de majoration, l'administration lui a infligé une sanction déguisée ;

- les agents en congé maladie bénéficient de ce coefficient ;

- il a subi un préjudice moral, un préjudice financier lié à la privation de l'indemnité de sujétions allouée aux personnels enseignants exerçant dans les écoles ou établissements relevant du programme " réseau d'éducation prioritaire " et " réseau d'éducation prioritaire renforcé " et de l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves allouée aux personnels enseignants du premier degré exerçant dans les écoles maternelles et élémentaires, et a dû engager des frais bancaires.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983;

- le décret n° 67-600 du 23 juillet 1967 ;

- le décret n° 51-511 du 5 mai 1951 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... ;

- et les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., professeur des écoles du corps de l'Etat créé pour l'administration de la Polynésie française (CEAPF), était affecté, depuis le 10 août 2015, à l'école élémentaire de Pamatai au sein de la circonscription pédagogique de Faa'a. Par un arrêté du vice-recteur de la Polynésie française du 13 décembre 2017, il a été suspendu de ses fonctions, à titre conservatoire, du 15 janvier 2018 au 14 mai 2018 inclus. Le vice-recteur de la Polynésie française a prolongé sa suspension, par un arrêté du 14 mai 2018, jusqu'au 4 juin 2018 inclus, puis, par un arrêté du 31 mai 2018, jusqu'au 24 juin 2018 inclus. M. B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française la condamnation de l'Etat au versement d'une somme en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis. Par un jugement du 26 mars 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Par un arrêt du 1er octobre 2020, la Cour a annulé le jugement du 26 mars 2019 du tribunal administratif de la Polynésie française et a renvoyé M. B... devant le tribunal administratif de la Polynésie française pour qu'il soit statué sur sa demande. Par un jugement du 10 mars 2020, le tribunal administratif de la Polynésie française, en ses articles 1er et 2, a renvoyé M. B... devant l'administration pour que celle-ci procède au versement du coefficient de majoration correspondant à sa période de suspension et mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 150 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en son article 3, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse relève appel des articles 1er et 2 de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, M. B... relève appel de l'article 3 de ce jugement.

Sur le préjudice tiré de l'absence de versement du coefficient de majoration pendant la période de suspension :

En ce qui concerne le moyen retenu par le tribunal administratif de la Polynésie française :

2. D'une part, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires [...] ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 23 juillet 1967 relatif au régime de rémunération des magistrats et des fonctionnaires de l'Etat en service dans les territoires d'outre-mer : " Le présent décret fixe les modalités de rémunération applicables aux magistrats et aux fonctionnaires de l'Etat en service dans un territoire d'outre-mer ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " La rémunération à laquelle peuvent prétendre les magistrats et fonctionnaires visés à l'article premier du présent décret, lorsqu'ils sont en position de service, est égale au traitement afférent à l'indice hiérarchique détenu dans l'emploi occupé, augmenté de l'indemnité de résidence et du supplément familial de traitement qu'ils percevraient s'ils étaient en service à Paris, l'ensemble étant multiplié par un coefficient de majoration propre à chaque territoire ". Aux termes de l'article 5 du décret du 5 mai 1951 fixant, en application de la loi n° 50-772 du 30 juin 1950, les régimes de rémunération, des prestations familiales, des congés administratifs de certains cadres de fonctionnaires civils relevant du ministère de la France d'outre-mer : " Les émoluments auxquels peuvent prétendre les fonctionnaires visés à l'article 1er du présent décret, lorsqu'ils sont dans une position rétribuée autre que celle de service (permission, congé, transit, expectative de retraite, maintien par ordre, etc.) sont calculés sur la base de la solde afférente à leur grade ou à leur emploi affectée, le cas échéant, de l'index de correction applicable à cette solde dans le territoire de résidence [...] ".

4. Le tribunal administratif de la Polynésie française a estimé que, dès lors que M. B... résidait en Polynésie française durant la période de sa suspension, il pouvait bénéficier du coefficient de majoration prévu par l'article 2 du décret du 23 juillet 1967. Toutefois, il résulte des dispositions, citées au point 2, de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 qu'un fonctionnaire suspendu conserve seulement son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Ainsi, et alors que l'application aux traitements des fonctionnaires du coefficient de majoration régi par le décret du 23 juillet 1967 est subordonné à l'exercice effectif des fonctions dans le territoire ou la collectivité où ce coefficient est susceptible de s'appliquer, un fonctionnaire faisant l'objet d'une suspension ne saurait prétendre au bénéfice de ce coefficient pendant la période de sa suspension. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration n'a pas appliqué au traitement de M. B..., qui ne saurait utilement se prévaloir de l'article 5 du décret du 5 mai 1951, le coefficient de majoration prévu par le décret du 23 juillet 1967 pendant la période de sa suspension.

5. Par suite, le ministre de l'éducation est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné l'administration au versement des sommes correspondant à l'application de ce coefficient de majoration aux traitements perçus au cours de sa suspension.

6. Toutefois, il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal et devant la Cour.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal et devant la Cour :

7. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction qu'en refusant de faire bénéficier M. B... du coefficient de majoration, l'administration, qui, ainsi qu'il a été dit précédemment, n'a pas commis l'erreur de droit alléguée, aurait entendu lui infliger une sanction déguisée.

8. En second lieu, la circonstance, à la supposer établie, que des agents en congé de maladie, qui sont dans une situation différente de celle d'un fonctionnaire suspendu, auraient continué de bénéficier du coefficient de majoration en litige est sans incidence.

9. Il résulte de ce tout qui précède que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a renvoyé M. B... devant l'administration pour que celle-ci procède au versement du coefficient de majoration correspondant à la période de suspension. Il est dès lors fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement contesté et le rejet des conclusions de la demande de M. B... présentées devant le tribunal administratif de la Polynésie française auxquels ce jugement a fait droit.

Sur l'appel incident :

10. Le fait générateur des préjudices dont M. B... demande réparation par ses conclusions présentées devant la Cour dans son mémoire en défense, après l'expiration du délai d'appel, tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser, d'une part, une somme de 180 000 F CFP correspondant au montant total qu'il aurait dû selon lui percevoir au titre de l'indemnité de sujétions allouée aux personnels enseignants exerçant dans les écoles ou établissements relevant du programme " réseau d'éducation prioritaire " et " réseau d'éducation prioritaire renforcé " et au titre de l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves allouée aux personnels enseignants du premier degré exerçant dans les écoles maternelles et élémentaires, entre le 14 avril 2018 et le 4 juillet 2018, d'autre part, une somme de 500 000 euros au titre du préjudice moral qu'il soutient avoir subi, étant constitué par la prolongation, au-delà du 14 avril 2018, de sa suspension, est distinct du fait générateur du préjudice indemnisé par le jugement dont le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a fait appel, constitué par la faute commise par l'Etat, selon le tribunal administratif, en ne versant pas le coefficient de majoration pendant la période de suspension de M. B.... Par ailleurs, le fait générateur du préjudice dont M. B... demande réparation, par ses conclusions figurant également dans son mémoire en défense, tendant à la condamnation de l'Etat au versement d'une somme de 507 542 F CFP correspondant aux frais bancaires qui lui auraient été facturés, étant constitué, ainsi qu'il l'indique dans sa demande préalable datée du 20 décembre 2019, à laquelle il fait référence dans ses écritures en défense, par la circonstance qu'il a été privé de fonctions entre le 25 juin 2018 et le 18 avril 2020, est également distinct du fait générateur du préjudice indemnisé par le jugement dont le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a fait appel. Dans ces conditions, ce dernier est fondé à soutenir que les conclusions à fin d'appel incident présentées par M. B... soulèvent un litige distinct de celui dont il a saisi la Cour et doivent donc être rejetées comme irrecevables.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1900346 du 10 mars 2020 du tribunal administratif de la Polynésie française sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande de M. B... présentées devant le tribunal administratif de la Polynésie française auxquels ce jugement a fait droit sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions aux fins d'appel incident présentées par M. B... ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 19 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juin 2022.

Le rapporteur,

K. C...La présidente,

H. VINOT

La greffière,

A. MAIGNAN

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20PA01466 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA01466
Date de la décision : 10/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: M. Khalil AGGIOURI
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : SELARL PIRIOU QUINQUIS BAMBRIDGE-BABIN

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-06-10;20pa01466 ?
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