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07/06/2022 | FRANCE | N°20PA00905

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 07 juin 2022, 20PA00905


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Contralco a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 14 137 314,10 euros, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait, d'une part, de la décision de reporter au 1er mars 2013 l'obligation de détention d'un éthylotest dans les véhicules et, d'autre part, de la décision du 13 février 2013 de ne pas sanctionner le non-respect de cette obligation.

Par un jugement n° 1811653/3-2 du 8 janvier 2020, le tribunal administratif de

Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Contralco a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 14 137 314,10 euros, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait, d'une part, de la décision de reporter au 1er mars 2013 l'obligation de détention d'un éthylotest dans les véhicules et, d'autre part, de la décision du 13 février 2013 de ne pas sanctionner le non-respect de cette obligation.

Par un jugement n° 1811653/3-2 du 8 janvier 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 9 mars 2020, le 28 juillet 2020 et le 19 juillet 2021, la SAS Contralco, représentée par Me Poujade, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 14 137 314,10 euros, assortie des intérêts au taux légal, avec leur capitalisation, en réparation du préjudice susmentionné ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que la minute de ce jugement ne comporte pas les signatures prévues à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- les premiers juges n'ont pas tenu compte de la note en délibéré qui comportait des éléments nouveaux ;

- elle a subi un préjudice anormal et spécial lié à la suppression de l'amende pour non présentation d'un éthylotest qui a entraîné une baisse importante de la demande ; la responsabilité de l'Etat est dès lors engagée sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques ;

- l'étude de détail du préjudice produite en première instance démontre que les pertes financières subies par elle proviennent de l'abandon de la sanction liée à l'obligation de détenir un éthylotest ;

- le préjudice qu'elle a subi n'est pas imputable à ses choix stratégiques, contrairement aux énonciations erronées du jugement ;

- les services de l'Etat l'ont sollicité de manière constante pour qu'elle soit en capacité de répondre à l'ensemble de la demande d'éthylotests ; elle a ainsi procédé à des investissements et des embauches massives pour répondre à cette demande sur incitation de l'Etat ;

- le moyen de défense tiré de ce que l'Etat ne l'a pas empêchée de poursuivre son activité est peu sérieux, dès lors qu'une obligation dépourvue de sanction est peu opérante et que la demande d'éthylotests a, par suite de l'abandon de la sanction, chuté considérablement ;

- elle a été beaucoup plus impactée par la suppression de l'amende, en tant que fabricant d'éthylotests, que d'autres sociétés simplement revendeurs de ces produits.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Contralco ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la route,

- le décret n° 2012-284 du 28 février 2012,

- le décret n° 2012-1197 du 29 octobre 2012,

- le décret n° 2013-180 du 28 février 2013,

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.

- et les observations de Me Poujade pour la société Contralco.

Considérant ce qui suit :

1. Par un décret n° 2012-284 du 28 février 2012, pris en application de l'article L. 234-14 du code de la route, le Premier ministre a décidé d'imposer à tous les conducteurs, à compter du 1er juillet 2012, l'obligation de disposer d'un éthylotest et d'assortir cette obligation, en cas de non-respect, d'une amende, à compter du 1er novembre 2012. Par le décret n° 2012-1197 du 29 octobre 2012, le Premier ministre a toutefois reporté la date d'entrée en vigueur du prononcé de la sanction au 1er mars 2013. Par le décret n° 2013-180 du 28 février 2013, la même autorité a finalement décidé de ne pas assortir l'obligation de détenir un éthylotest d'une amende. La société Contralco, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'éthylotests à usage unique, relève appel du jugement du 8 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 14 137 314,10 euros, en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait des " décisions gouvernementales " résultant des décrets précités des 29 octobre 2012 et 28 février 2013.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il ressort de la minute du jugement, communiquée aux parties, que cette décision a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Elle comporte ainsi l'ensemble des signatures exigées par l'article R. 741-7 du code de justice administrative. L'absence de telles signatures sur l'ampliation du jugement notifiée aux parties est par ailleurs sans incidence sur la régularité de celui-ci.

3. En second lieu, lorsque le juge administratif est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il lui appartient, dans tous les cas, d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.

4. La société Contralco soutient que les premiers juges n'ont pas tenu compte de sa note en délibéré qui, selon elle, " comportait des éléments montrant que l'Etat l'avait incitée à augmenter sa production ". Il ressort toutefois de l'examen de cette note produite par la requérante le 11 décembre 2019, postérieurement au prononcé des conclusions du rapporteur public et avant la date de lecture du jugement, que les éléments précités, constitués par un échange de courriels avec les services de l'Etat datant des années 2011 et 2012, ne constituaient ni une circonstance de fait dont elle ne pouvait faire état avant la clôture de l'instruction, ni une circonstance de droit nouvelle ou que le juge aurait dû relever d'office. Par suite, en se bornant à viser cette note en délibéré sans l'analyser ni prendre en compte son contenu, le tribunal n'a pas méconnu le caractère contradictoire de l'instruction.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. Lorsqu'une décision légalement prise est susceptible de compromettre ou de restreindre l'exercice d'une activité économique, la responsabilité de l'administration ne peut être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques que si le dommage subi de ce fait excède les aléas que comporte nécessairement l'exercice de toute exploitation économique et s'il revêt un caractère grave et spécial.

6. La société Contralco soutient qu'elle a subi un préjudice anormal et spécial du fait de l'abandon par les services de l'Etat, dans les conditions mentionnées au point 1, de la sanction liée à l'obligation de disposer d'un éthylotest, qui a eu pour conséquence une annulation massive de commandes et une diminution drastique de son chiffre d'affaires. Elle fait valoir à cet égard que les services de l'Etat l'ont sollicité de manière pressante, tout au long de l'année 2012 et jusqu'en janvier 2013, pour qu'elle soit en capacité de répondre à l'ensemble de la demande à venir d'éthylotests. Elle déclare avoir ainsi procédé à des investissements et des embauches massives pour répondre à cette demande, dans l'objectif d'augmenter sa production d'éthylotests de 12 millions à 50 millions d'unités par an, à la demande instante des pouvoirs publics. Elle soutient dès lors que cette suppression de la sanction est la cause des difficultés financières qu'elle a rencontrées et qui l'ont conduite à faire l'objet d'un jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde par le tribunal de commerce de Montpellier en 2015 et d'un plan de sauvegarde de l'emploi d'une durée de 10 ans en 2017. Toutefois, en premier lieu, si la société Contralco se réfère en appel au listing des échanges entretenus avec les services de l'Etat, notamment la direction de la sécurité et de la circulation routière (DSCR), et produits dans sa note en délibéré de première instance, ce simple échange de courriels, s'il traduit la préoccupation certaine de ses services à considérer la société requérante comme un partenaire fiable pour la production de masse d'éthylotests, ne saurait être regardé comme rendant la société débitrice d'une quelconque obligation de production ou de volume de commandes envers l'Etat. Par suite, tant les investissements en matériel et en personnel invoqués par la société que le programme de recherche et développement mis en œuvre par elle résultent, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, de la seule stratégie commerciale de l'entreprise et ne sauraient être imputables à l'abandon de la sanction liée à l'obligation de disposer d'un éthylotest. En outre, s'il résulte de l'instruction que la quantité d'éthylotests produite par l'entreprise et son chiffre d'affaires ont enregistré une augmentation très importante à compter de la fin 2011 jusqu'au mois de janvier 2013 inclus avant de connaître une brutale décélération à compter de février 2013 dont la société Contralco soutient qu'elle résulte de la suppression de cette sanction, la baisse de chiffre d'affaires et les difficultés financières qui en ont résulté, en les admettant même imputables à cette suppression, ne sauraient en tout état de cause être regardées comme excédant les aléas attachés, par nature, à toute activité commerciale. De plus, en l'espèce, ces aléas étaient d'autant plus importants que le texte prévoyant cette sanction n'est jamais entré en vigueur. Ainsi et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le caractère grave et spécial du préjudice invoqué, le moyen tiré de la responsabilité de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques doit être écarté.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Contralco n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la société Contralco demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Contralco est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Contralco, au premier ministre (secrétariat général du gouvernement), au ministre de l'intérieur, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au garde de sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 20 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Briançon, présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- M. Doré, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 juin 2022.

Le rapporteur,

P. A...

La présidente,

C. BRIANÇON Le greffier,

A. MOHAMAN YERO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui les concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA00905


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00905
Date de la décision : 07/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BRIANÇON
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : POUJADE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-06-07;20pa00905 ?
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