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28/04/2022 | FRANCE | N°21PA06365

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 28 avril 2022, 21PA06365


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. Imam F... A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de l'arrêté du 7 octobre 2021 par lequel le préfet de police a prononcé son transfert aux autorités autrichiennes aux fins d'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2122198 du 15 novembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. A... B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, et, en ses articles 2 à 4, a annulé l'arrêté du préfet de

police en date du 7 octobre 2021, a enjoint au préfet de police de procéder au réexam...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. Imam F... A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de l'arrêté du 7 octobre 2021 par lequel le préfet de police a prononcé son transfert aux autorités autrichiennes aux fins d'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2122198 du 15 novembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. A... B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, et, en ses articles 2 à 4, a annulé l'arrêté du préfet de police en date du 7 octobre 2021, a enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2021, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2 à 4 du jugement n° 2122198 du 15 novembre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a retenu qu'il avait méconnu les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- aucun des autres moyens soulevés en première instance par M. A... B... n'est fondé.

La requête a été communiquée à M. A... B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant bangladais né le 3 avril 1996, est entré irrégulièrement en France, et a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Par un arrêté du 7 octobre 2021, le préfet de police a décidé le transfert de M. A... B... aux autorités autrichiennes. Par un jugement du 15 novembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. A... B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, et, en ses articles 2 à 4, a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance. Le préfet de police relève appel des articles 2 à 4 de ce jugement.

Sur le moyen retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris :

2. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 ".

3. Pour annuler l'arrêté en litige comme méconnaissant les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a relevé qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que les informations contenues dans la brochure dite " A ", qui a été remise à l'intéressé le 23 juillet 2021, auraient été portées oralement à sa connaissance, alors qu'il a déclaré ne pas savoir lire.

4. Il ressort des pièces du dossier que la brochure dite " A " (" J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' ") et la brochure dite " B " (" Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ") ont été transmises, en bengali, à M. A... B..., respectivement le 23 juillet 2021 et le 26 juillet 2021, ainsi qu'en attestent le tampon et la signature de l'intéressé, apposés sur la première page de ces brochures. Si la brochure " Empreintes digitales et Eurodac ", notifiée, dans sa version en langue anglaise, le 26 juillet 2021, est accompagnée d'une vignette indiquant que son contenu a été porté oralement à la connaissance de l'intéressé, " le demandeur ayant déclaré ne pas savoir lire, et ne parler que le bengali, langue pour laquelle il n'existe pas de traduction officielle de la présente brochure ", cette seule circonstance ne saurait établir que M. A... B... n'a pas été en mesure de lire et de comprendre les brochures " A " et " B ", alors que ces brochures ont été assorties de la signature de l'intéressé, sans être accompagnées - de même, d'ailleurs, que le " Guide du demandeur d'asile ", transmis également le 23 juillet 2021 - de la vignette figurant sur la brochure " Eurodac ", et qu'aucune pièce du dossier ne vient corroborer l'incapacité alléguée de M. A... B... à lire, le compte rendu d'entretien individuel du 26 juillet 2021 indiquant d'ailleurs que " l'information sur les règlements communautaires [lui] a été remise ". Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les brochures remises à M. A... B... auraient été incomplètes, alors que l'étiquette qui a été apposée sur la première page de celles-ci, signées par l'intéressé, mentionne leur nombre de pages.

5. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a jugé que l'arrêté du 7 octobre 2021 portant transfert de M. A... B... aux autorités autrichiennes méconnaissait les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

6. Toutefois, il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... B... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés en première instance par M. A... B... :

7. En premier lieu, par un arrêté n° 2021-00861 du 24 août 2021 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 75-2021-429 du 25 août 2021, le préfet de police a donné à Mme E... C..., attachée de l'administration de l'Etat, délégation à l'effet de signer les décisions dans la limite de ses attributions, dont relève la police des étrangers, en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles n'ont pas été absentes ou empêchées lors de la signature de l'acte attaqué. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été signé par une autorité incompétente doit être écarté comme manquant en fait.

8. En deuxième lieu, en application des dispositions alors codifiées à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

9. L'arrêté du 7 octobre 2021, par lequel le préfet de police a décidé le transfert de M. A... B... aux autorités autrichiennes, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Il indique qu'" il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. A... B... au moyen du système Eurodac, effectuée conformément au règlement n° 603/2013 [...], que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités autrichiennes le 1er juillet 2021 [...], que les autorités autrichiennes ont été saisies le 16 août 2021 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18 (1) b du règlement UE n° 604/2013, [...] que les autorités autrichiennes ont fait connaître leur accord le 30 août 2021 en application de l'article 18 (1) d du règlement susvisé [...] ". Enfin, le préfet de police a précisé que " l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. A... B... ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ", que " la présente décision ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect du droit à la vie privée et familiale " et que " M. A... B... n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de sa demande d'asile ". Ainsi, cet arrêté comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il est donc suffisamment motivé.

10. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen approfondi de la situation de M. A... B....

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / [...] 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national [...] ".

12. Il ressort des pièces du dossier que M. A... B... a bénéficié, le 26 juillet 2021, d'un entretien individuel assuré par un agent de la préfecture de police. Le préfet de police a produit un résumé de cet entretien individuel contenant les principales informations fournies par le demandeur à cette occasion. Il en ressort que cet entretien a eu lieu - par le biais d'un interprète qualifié de l'agence ISM interprétariat dont le nom, le prénom et l'adresse sont mentionnés - en bengali, langue que l'intéressé, qui a indiqué " avoir compris l'ensemble des termes " de l'entretien, ne conteste pas comprendre. Si ce résumé ne comporte ni le nom ni la signature de l'agent qui l'a mené, il comporte, outre un tampon du douzième bureau de la préfecture de police, la mention selon laquelle il a été " conduit par un agent qualifié de la préfecture de police ". Dès lors que l'entretien de M. A... B... a été conduit par une personne qualifiée au sens du paragraphe 5 de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'absence de signature de l'agent ayant conduit l'entretien individuel n'a pas privé M. A... B... de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'entretien individuel se serait déroulé dans des conditions ne garantissant pas la confidentialité. Dans ces conditions, M. A... B... ne peut soutenir qu'il n'aurait pas été en mesure de présenter utilement des observations au cours de cet entretien. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté, dans ses diverses branches.

13. En cinquième lieu, d'une part, aux termes de l'article 23 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013 [...] 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale [...] ". Aux termes de l'article 25 du même règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".

14. D'autre part, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, a notamment créé un réseau de transmissions électroniques entre les Etats membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande et la Norvège, dénommé " Dublinet ", afin de faciliter les échanges d'information entre les Etats, en particulier pour le traitement des requêtes de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs d'asile. Selon l'article 19 de ce règlement, chaque Etat dispose d'un unique " point d'accès national ", responsable pour ce pays du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes et qui délivre un accusé de réception à l'émetteur pour toute transmission entrante. Aux termes de l'article 15 de ce règlement : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement [...]. / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".

15. Il résulte des dispositions du règlement n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau " Dublinet ", par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux mois au terme duquel la demande de prise en charge est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier " Eurodac " et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de reprise en charge.

16. En l'espèce, le préfet de police a versé au dossier la copie de la réponse automatique d'accusé de réception du point d'accès autrichien Dublinet depuis l'adresse " atdub@nap01.at.dub.testa.eu ", émise le 16 août 2021, et portant la référence FRDUB29930480919-750 correspondant au dossier de M. A... B.... Cet accusé de réception, bien qu'émis automatiquement par l'adresse électronique du point d'accès autrichien, permet de regarder les autorités françaises comme ayant saisi dès le 16 août 2021, soit dans le délai de deux mois à compter de la réception, le 23 juillet 2021, du résultat positif Eurodac, les autorités autrichiennes de la requête aux fins de reprise en charge de M. A... B.... Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que les autorités autrichiennes ont répondu favorablement à cette demande, ainsi qu'en atteste le courrier du 30 août 2021 par lequel les autorités autrichiennes ont accepté de reprendre en charge M. A... B.... Par suite, le moyen tiré de la circonstance que les autorités autrichiennes n'auraient pas valablement été saisies par les autorités françaises doit être écarté.

17. En sixième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen [...] ". Aux termes de l'article 18 du même règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : [...] / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre / c) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; / d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. / 2. Dans les cas relevant du champ d'application du paragraphe 1, points a) et b), l'État membre responsable est tenu d'examiner la demande de protection internationale présentée par le demandeur ou de mener à son terme l'examen. / [...] ".

18. Les dispositions du 1 de l'article 18, en ses points b) à d), du règlement n° 604/2013, doivent être regardées comme figurant au nombre des critères énumérés dans le règlement, au sens du 2 de l'article 3 du règlement. Par suite, lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile auprès d'un ou de plusieurs Etats membres, avant d'entrer sur le territoire d'un autre Etat membre pour y solliciter de nouveau l'asile dans des conditions permettant à cet Etat de demander sa reprise en charge sur le fondement des dispositions du b), c) ou d) du 1 de l'article 18 du règlement, sa situation ne relève pas des dispositions du premier alinéa du 2 de l'article 3 du règlement, qui concernent le cas dans lequel aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans ce règlement. En l'espèce, si M. A... B... soutient être entré sur le territoire des Etats membres de l'Union européenne par la Grèce, il ne ressort pas des pièces du dossier - et il n'est pas même allégué - qu'il y aurait demandé l'asile, alors qu'il a déposé une demande d'asile auprès des autorités autrichiennes le 1er juillet 2021. Ainsi, c'est à bon droit que, sur le fondement des dispositions de l'article 18 du règlement n° 604/2013, le préfet de police a estimé que l'Autriche, premier Etat membre auprès duquel M. A... B... avait introduit une demande de protection internationale, était l'Etat membre responsable de sa demande d'asile. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions et du défaut de base légale de l'arrêté attaqué ne peut donc qu'être écarté.

19. En septième lieu, aux termes de l'article 3 paragraphe 2 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " [...] Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable [...] ". Aux termes de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité [...] ".

20. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

21. M. A... B... soutient que sa demande d'asile sera nécessairement rejetée en Autriche et qu'il sera renvoyé au Bangladesh. Toutefois, M. A... B..., en se bornant à se prévaloir d'un rapport d'une organisation non-gouvernementale, datée de 2018, ainsi que d'un article de presse, n'établit pas qu'il existait, à la date de l'arrêté litigieux, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Autriche. Par ailleurs, si M. A... B... soutient qu'il n'aurait pas bénéficié d'une assistance, matérielle ou administrative, au cours de son séjour en Autriche et que ses empreintes digitales auraient été relevées de force, il n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de ses allégations. Ainsi, en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Autriche des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile et alors que l'intéressé n'établit pas qu'il serait soumis en Autriche à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les moyens tirés de ce que l'arrêté en litige serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 2. de l'article 3 et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peuvent qu'être écartés. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le préfet de police aurait méconnu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.

22. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 7 octobre 2021, a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A... B... dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance. Il est dès lors fondé à demander l'annulation des articles 2 à 4 de ce jugement et le rejet des conclusions de la demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Paris auxquelles ce jugement a fait droit, à l'exception de celles tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2122198 du 15 novembre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentées par M. A... B... devant le tribunal administratif de Paris auxquelles ce jugement a fait droit, à l'exception de celles tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... B... et à Me Sarhane.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 21 avril 2022, où siégeaient :

- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Gobeill, premier conseiller,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 avril 2022.

Le rapporteur,

K. D...La présidente,

C. VRIGNON-VILLALBA

La greffière,

F. DUBUY-THIAM

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA06365 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA06365
Date de la décision : 28/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur ?: M. Khalil AGGIOURI
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : SARHANE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-04-28;21pa06365 ?
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