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19/04/2022 | FRANCE | N°21PA05331

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 19 avril 2022, 21PA05331


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2021 par lequel le préfet de Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par une ordonnance n° 2107877 du 3 septembre 2021, le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa

demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 octobre 2021...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 4 janvier 2021 par lequel le préfet de Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par une ordonnance n° 2107877 du 3 septembre 2021, le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 octobre 2021, et des pièces complémentaires enregistrées les 21 et 23 mars 2022, M. E..., représenté par Me Magdelaine, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a estimé que ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 4 janvier 2021 étaient tardives puisque l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis doit être réputé lui avoir été notifié le 6 janvier 2021 ; en effet, l'adresse inscrite sur le courrier de notification de cet arrêté est incomplète et aucune indication n'est donnée quant au délai accordé au destinataire pour venir retirer le pli au bureau de poste ; en conséquence, il n'a pu prendre connaissance de cette décision du préfet que lorsque son conseil a récupéré une copie par mail de cet arrêté, le 26 mai 2021, auprès des services de la préfecture ;

- l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence de son signataire ;

- cet arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- son intégration professionnelle correspond aux conditions posées par la circulaire

n° NORINTK1229185C qui permet la régularisation des étrangers justifiant de trois ans de présence et de 24 bulletins de salaire ;

- l'arrêté litigieux est entaché d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa vie personnelle ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire est entachée d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Julliard,

- et les observations de Me Lemichel, représentant M. E....

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant tunisien né le 14 juillet 1994, entré en France le 20 avril 2017 selon ses déclarations, a sollicité un titre de séjour le 27 octobre 2020. Par un arrêté du

4 janvier 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer ce titre, l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. E... relève appel de l'ordonnance du

3 septembre 2021 par laquelle le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 4 janvier 2021.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : (...) 4° Rejeter les conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance (...) ".

3. Aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sur le fondement des 3°, 5°, 7° ou 8° du I de l'article L. 511-1 ou sur le fondement de l'article L. 511-3-1 et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 511-1 ou au sixième alinéa de l'article L. 511-3-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour (...) ".

4. Le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a, par l'ordonnance attaquée du 3 septembre 2021, rejeté comme tardive la demande de M. A... E..., car présentée après l'expiration du délai de recours ayant commencé à courir le 6 janvier 2021, date de présentation du pli contenant l'arrêté du 4 janvier 2021, renvoyé aux services de la préfecture avec la mention " pli avisé et non réclamé ". Toutefois, il ressort de la rédaction même de l'arrêté attaqué et du récépissé de demande de titre de séjour que M. A... E... avait indiqué aux services de la préfecture une adresse qui précisait la mention " chez M. B... E... " et que l'enveloppe contenant l'arrêté attaqué ne comportait pas cette mention alors qu'il ressort également des pièces du dossier qu'une autre locataire habitant de l'immeuble portait également le nom de E.... Dans ces conditions, la notification de l'arrêté litigieux à une adresse erronée n'a pu faire courir le délai de recours contentieux. Par suite, M. A... E... est fondé à soutenir que c'est à tort que le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande comme tardive et à demander pour ce motif l'annulation de son ordonnance du 3 septembre 2021.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par

M. E... devant le tribunal administratif de Montreuil.

6. En premier lieu, par un arrêté n° 2020-0542 du 18 mars 2020, régulièrement publié au bulletin d'informations administratives du même jour, le préfet de la Seine-Saint-Denis a donné délégation à M. Seck, secrétaire général de la sous-préfecture du Raincy, en cas d'absence ou d'empêchement de M. C..., de signer notamment les décisions de refus de titre de séjour et d'obligation de quitter le territoire français. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. ".

8. D'une part, M. E... ne peut utilement se prévaloir de la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur, qui ne contient que des orientations générales insusceptibles d'être invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir.

9. D'autre part, si M. E... soutient être entré en France le 20 avril 2017, il n'établit pas sa présence habituelle avant le mois de juin 2018. S'il fait également valoir qu'il exerce une activité salariée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée depuis le 1er juin 2018 en qualité de " pizzaiolo-cuisinier ", cette circonstance ne permet pas, à elle seule, de justifier une intégration professionnelle et personnelle significative sur le territoire français. Dans ces conditions, eu égard à la situation personnelle de M. E..., célibataire et sans charge de famille en France, qui déclare, sans l'établir, vivre chez son frère en France mais dont les parents et trois de ses frères et sœurs résident en Tunisie, pays où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, et à la faible ancienneté de son emploi, le préfet de Seine-Saint-Denis a pu estimer sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que sa situation ne relève pas de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels d'admission au séjour.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur: " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Pour les motifs exposés au point 9, l'arrêté n'a pas porté au droit de M. E... au respect de sa vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris, et ne méconnaît pas les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, cet arrêté n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.

12. En quatrième lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 612-6, L. 613-2 et L. 612-10 de ce code : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...). / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa (...) du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

13. M. E... soutient que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans méconnaît les dispositions de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que le préfet n'a pas tenu compte de l'ensemble des critères énumérés par cet article. Il ressort toutefois des pièces du dossier que pour prendre cette décision, le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'est pas tenu de se prononcer sur chacun des critères mentionnés au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais seulement sur ceux qu'il entend retenir, s'est fondé sur la circonstance que M. E... s'était maintenu en situation irrégulière sur le territoire après l'expiration de son visa et le fait qu'il avait été en possession d'une fausse carte d'identité française, qu'il est célibataire, sans enfant à charge et non démuni d'attaches familiales dans son pays d'origine, ainsi que sur la durée de sa présence sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France. Dans ces conditions, M. E... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Seine-Saint-Denis aurait méconnu les dispositions de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

14. Pour les mêmes motifs que ceux précédemment énoncés au point 9 du présent arrêt, le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 4 janvier 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a décidé d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction sous astreinte ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance du président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil du 3 septembre 2021 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Montreuil et le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,

- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère.

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 avril 2022.

La présidente-rapporteure,

M. JulliardL'assesseure la plus ancienne,

M.D. JAYERLe greffier,

E. MOULINLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA05331


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA05331
Date de la décision : 19/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : MAGDELAINE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-04-19;21pa05331 ?
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