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14/04/2022 | FRANCE | N°21PA01512

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 14 avril 2022, 21PA01512


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 6 juin 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à substituer à son nom celui de " E... ", ainsi que la décision du 6 août 2019 rejetant son recours gracieux à l'encontre de cette décision.

Par un jugement n° 1921235 du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 2

3 mars 2021, M. B... D..., représenté par Me Benshimon (SCP Benshimon Asssociés), demande à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 6 juin 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à substituer à son nom celui de " E... ", ainsi que la décision du 6 août 2019 rejetant son recours gracieux à l'encontre de cette décision.

Par un jugement n° 1921235 du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 23 mars 2021, M. B... D..., représenté par Me Benshimon (SCP Benshimon Asssociés), demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1921235 du 28 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris

2°) d'annuler les décisions du garde des sceaux, ministre de la justice, respectivement en date du 6 juin 2019 et du 6 août 2019, rejetant sa demande tendant à substituer tendant à substituer à son nom celui de " E... " ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de l'autoriser à changer son nom en lui substituant celui de " E... " ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision litigieuse du 6 août 2019 est entachée d'un vice de forme, en ce qu'elle ne mentionne pas la qualité de son auteur, en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et les administrations ;

- les décisions litigieuses sont insuffisamment motivées, en méconnaissance des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et les administrations ;

- elles méconnaissent l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dès lors qu'aucun motif d'ordre public ne les justifie ;

- elles sont entachées d'une erreur d'appréciation, dès lors qu'il justifie d'un intérêt légitime, caractérisé, d'une part, par un motif affectif résultant de circonstances exceptionnelles, à déroger à la fixité du patronyme, afin de porter le même nom que son propre père et ses frères et sœurs et de pouvoir transmettre ce nom à son fils et, d'autre part, en raison du caractère illustre du patronyme revendiqué.

La requête a été communiquée au garde des sceaux, ministre de la justice qui n'a pas présenté d'observations en défense malgré la mise en demeure qui lui a été adressée le 28 juin 2021 en application des article R. 612-3 et R. 612-6 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et les administrations ;

- la loi ° 2022-301 du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation ;

- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Diémert,

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bensimhon, avocat de M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... D..., né le 21 septembre 1983, agissant également au nom de son fils mineur A..., né le 26 octobre 2019, a, le 8 septembre 2017, demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, de l'autoriser à substituer à son nom de famille celui de son père, " E... ". Cette demande a été rejetée par une décision du 6 juin 2019 à l'encontre duquel l'intéressé a formé un recours gracieux qui a été rejeté par une décision du 6 août 2019.

M. D... ayant demandé l'annulation de ces décisions au tribunal administratif de Paris, cette juridiction a rejeté cette demande par un jugement du 28 janvier 2021 dont il relève appel devant la Cour.

Sur la légalité des décisions litigieuses :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " Lorsqu'est invoqué, à l'appui de la contestation de la légalité d'une décision ministérielle refusant la mise en œuvre des dispositions de l'article 61 du code civil, la méconnaissance des stipulations précitées, il appartient au juge administratif, afin d'assurer leur pleine effectivité, de prendre en compte dans chaque espèce les situations spécifiques et personnelles des intéressés et leurs arguments, lesquels peuvent utilement porter sur C... identitaire de leur demande, et de procéder à une mise en balance des intérêts ainsi en jeu.

3. En l'espèce, le requérant expose qu'il est né de l'union en concubinage de ses parents, M. E..., Mme D..., et qu'il a été reconnu par eux, d'abord le 24 septembre 1983 à la maternité par sa mère, puis le 27 septembre 1983, à la sortie de maternité, par son père, que ses parents se sont séparés peu après sa naissance et que le juge aux affaires familiales a ordonné le

9 mai 1990 qu'il porterait désormais nom d'usage Rainsard-Florentin. Il exprime, comme principal motif de sa demande, sa volonté de renforcer son lien avec sa lignée paternelle, dont l'histoire s'inscrit dans celle de la communauté judéo-espagnole de l'Empire ottoman, et de transmettre ainsi ce patronyme à ses enfants. C... identitaire de sa demande est ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, un élément qui doit être pris en compte et mis en balance avec les intérêts publics en jeu.

4. Dès lors, il appartient à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si le garde des sceaux, ministre de la justice, a ménagé un juste équilibre dans la mise en balance des différents intérêts en jeu qui sont, d'une part, l'intérêt privé du requérant à porter désormais un patronyme officiel qui rejoint en partie le nom d'usage qui lui a été attribué, depuis sa septième année, par une décision du juge judiciaire et, d'autre part, l'intérêt public à réglementer le choix des noms et notamment à assurer le respect du principe de l'immutabilité du nom de famille. En l'espèce, le ministre n'apporte au dossier aucun élément de nature à démontrer que la prise en compte de l'intérêt personnel du requérant porterait une atteinte excessive à cet intérêt public. Par suite, le refus d'autoriser le changement de nom sollicité n'est pas, par lui-même, de nature à établir le caractère nécessaire, au sens du paragraphe 2 précité de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'ingérence que constitue l'atteinte au droit à la vie privée des requérants, tel que garanti par les stipulations du paragraphe 1 du même article alors, en outre, que les nouvelles dispositions du premier alinéa de l'article de l'article 61-3-1, dans leur rédaction issue de l'article 2 de la loi n° 2022-301 du

2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation qui entrera en vigueur le 1er juillet 2022 lui permettront en tout état de cause, s'il s'y croit fondé, de demander à l'officier de l'état civil de son lieu de résidence ou dépositaire de son acte de naissance son changement de nom en vue de porter l'un des noms prévus aux premier et dernier alinéas de l'article 311-21 du code civil, soit celui de " E... ".

5. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les deux décisions litigieuses, le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de l'autoriser à changer son nom en " E... ", et que ces décisions doivent ainsi être annulées, ainsi que le jugement du tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa demande en ce sens.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. "

7. En l'espèce, l'exécution complète du présent arrêt suppose, eu égard aux motifs mentionnés aux points 2 à 4 qui fondent l'annulation de la décision litigieuse, qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant M. B... D..., agissant également au nom de son fils mineur A..., à changer son patronyme en " E... ".

Sur les frais du litige :

8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État, qui succombe dans la présente instance, le versement à M. D... d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1921235 du 28 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Les décisions du garde des sceaux, ministre de la justice, respectivement en date du

6 juin 2019 et du 6 août 2019, rejetant la demande de M. B... D..., tendant à substituer à son nom celui de " E... " sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant M. B... D..., agissant également au nom de son fils mineur A..., à changer son patronyme en " E...".

Article 4 : L'État (ministère de la justice) versera à M. B... D..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Doré, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 avril 2022.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

J. LAPOUZADE La greffière,

C. POVSE

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA001512


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01512
Date de la décision : 14/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-03 Droits civils et individuels. - État des personnes. - Changement de nom patronymique.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : BENSIMHON - ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-04-14;21pa01512 ?
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