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08/04/2022 | FRANCE | N°20PA00872

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 08 avril 2022, 20PA00872


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions implicites de refus de communication de leur dossier relatif à leur expulsion locative et d'enjoindre au préfet de police de procéder à cette communication dans le délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, d'annuler la décision du 5 mars 2018 par laquelle le préfet de police a refusé de les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir s

ubis en raison de leur expulsion avec le concours de la force publique du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions implicites de refus de communication de leur dossier relatif à leur expulsion locative et d'enjoindre au préfet de police de procéder à cette communication dans le délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, d'annuler la décision du 5 mars 2018 par laquelle le préfet de police a refusé de les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de leur expulsion avec le concours de la force publique du logement qu'ils occupaient et de condamner l'Etat à leur verser, en réparation de leurs préjudices, une indemnité de 37 036 euros, augmentée des intérêts à taux légal à compter du 22 décembre 2017 et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1807117/3-2 du 8 janvier 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 mars 2020, le 11 novembre 2020 et le 13 décembre 2020, M. A... B... et Mme C... B..., représentés par Me Cortes, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 janvier 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du préfet de police refusant la communication de leur dossier d'expulsion de leur logement et de lui enjoindre de communiquer ce dossier dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de condamner l'Etat, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de leur expulsion locative avec le concours de la force publique, à leur verser la somme de 37 036 euros, à parfaire, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2017 et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ont rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées contre le refus de communication intégrale de leur dossier d'expulsion sans les avoir préalablement invités à régulariser leurs conclusions ;

- il est irrégulier dès lors que les conclusions tendant à l'annulation de la décision par laquelle le préfet de police a rejeté leur demande indemnitaire et les conclusions dirigées contre le refus de communication de l'intégralité de leur dossier d'expulsion ont été rejetées sans qu'ils aient été informés de l'irrecevabilité de ces conclusions et mis à même de présenter des observations ;

- en méconnaissance de l'avis de la commission d'accès aux documents administratifs du 12 juillet 2018, la préfecture de police ne leur a pas communiqué l'intégralité de leur dossier d'expulsion locative ;

- le comportement excessif et disproportionné de l'administration consistant en l'octroi de délais trop courts est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat dès lors que les loyers ont toujours été payés et que la procédure d'expulsion résulte de l'intention frauduleuse du propriétaire ;

- le manquement de l'administration à son engagement de leur laisser du temps avant de réaliser l'expulsion est constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- l'administration a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison de l'indignité de leur départ précipité ;

- leur préjudice financier consistant en des frais de garde-meuble s'élève à la somme de 12 036 euros ;

- leur préjudice moral et leurs troubles dans les conditions d'existence s'élèvent à la somme de 25 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mai 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les services de l'Etat n'ont commis aucune faute en apportant leur concours à l'exécution du jugement d'expulsion de M. et Mme B... ;

- l'existence d'un engagement ferme des services de la préfecture de police sur la date de leur expulsion n'est pas établie ; dès lors, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée à ce titre ;

- aucun manquement fautif ne peut être retenu du fait du dépôt, par M. et Mme B..., d'un dossier de reconnaissance du droit au logement opposable ;

- les requérants ne peuvent utilement invoquer les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 3 décembre 2020, le préfet de police, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions à fin d'injonction sont irrecevables dès lors qu'elles ne sont pas l'accessoire de conclusions à fin d'annulation du refus de communiquer ; en tout état de cause, à l'exception de la fiche GEXP, produite en première instance, le dossier complet d'expulsion a été communiqué aux requérants ; le rapport du commissariat compétent serait susceptible de méconnaitre les dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration ;

- les services de la préfecture n'ont pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- les préjudices dont les requérants demandent réparation ont été indemnisés par la cour d'appel de Paris dans son arrêt en date du 7 janvier 2016.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les conclusions tendant à l'annulation de la décision portant refus de communication du dossier d'expulsion dans son intégralité et à ce qu'il soit enjoint à l'administration de communiquer les documents complémentaires sont irrecevables dès lors qu'elles constituent un litige distinct.

Un mémoire, enregistré le 15 février 2022, a été présenté pour M. et Mme B... en réponse à cette information.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Portes,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- et les observations de Me Cortes, représentant M. et Mme B...,

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B... ont reçu, le 30 avril 2012, un congé de reprise du logement qui constitue leur résidence principale, prenant effet le 31 octobre 2012. Par un jugement du

26 novembre 2013, le tribunal d'instance du 6ème arrondissement de Paris a constaté la validité de ce congé. Il a également constaté que M. et Mme B... étaient occupants sans droit ni titre de l'appartement en litige et, à défaut d'un départ volontaire, a ordonné leur expulsion et celle de tous occupants de leur chef. Après l'échec d'une première tentative d'expulsion, l'huissier de justice mandaté par le propriétaire du logement a requis le concours de la force publique le

3 avril 2014. Il a été procédé à cette expulsion le 26 juin 2014. Par un arrêt du 7 janvier 2016, la cour d'appel de Paris a annulé le jugement précité du tribunal d'instance au motif que le congé de reprise présentait un caractère frauduleux et a condamné le propriétaire à verser aux intéressés une somme de 25 000 euros en réparation de leurs préjudices. Par un jugement du 8 janvier 2020, dont M. et Mme B... relèvent appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la communication de leur dossier d'expulsion et à la condamnation de l'Etat à leur verser une indemnité de 37 036 euros en réparation de leurs préjudices résultant de leur expulsion réalisée avec le concours de la force publique.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

2. M. et Mme B... ont demandé, en première instance, d'une part, l'annulation de la décision du 5 mars 2018 du préfet de police leur refusant l'indemnisation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de leur expulsion locative et, d'autre part, la condamnation de l'Etat à leur verser la somme correspondant à ces préjudices. La décision du préfet de police a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de M. et Mme B... qui, en formulant les conclusions précitées, ont donné à l'ensemble de leur requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Dès lors, les premiers juges ont examiné le bien-fondé de la décision du 5 mars 2018 en statuant sur la responsabilité de l'Etat. Les vices propres dont serait éventuellement entachée cette décision sont sans incidence sur la solution du litige. Par suite, s'étant prononcé sur l'ensemble des prétentions des intéressés, le tribunal n'était pas tenu de les informer préalablement, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de la requalification des conclusions aux fins d'annulation de la décision du 5 mars 2018 en conclusions indemnitaires. Par conséquent, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement ne pourra qu'être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation ". Aux termes de l'article R. 153-1 du même code : " Si l'huissier de justice est dans l'obligation de requérir le concours de la force publique, il s'adresse au préfet (...). Toute décision de refus de l'autorité compétente est motivée. Le défaut de réponse dans un délai de deux mois équivaut à un refus (...) ". S'il résulte de ces dispositions que toute décision de justice ayant force exécutoire peut donner lieu à une exécution forcée, la force publique devant, si elle est requise, prêter main forte à cette exécution, des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public peuvent toutefois légalement justifier le refus de prêter le concours de la force publique.

4. D'une part, aucune démarche administrative tendant à l'hébergement de la personne expulsée ne saurait être exigée préalablement à l'octroi du concours de la force publique par l'Etat, sauf à ce que soit méconnue la force exécutoire des décisions de justice et, par suite, le principe de la séparation des pouvoirs énoncé à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Dès lors, la circonstance que les requérants avaient déposé un dossier de demande d'aide au logement opposable, qui devait être examiné à la fin du mois de juillet, n'était pas de nature à remettre en cause la force exécutoire du jugement du tribunal d'instance et ne constituait pas, à elle seule, une considération impérieuse tenant à la sauvegarde de l'ordre public. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que la situation de la famille B..., composée des requérants et de leur fils majeur, et soutenue par les revenus de M. B..., maître de conférences à l'université, pouvait être regardée comme relevant de telles considérations impérieuses.

5. D'autre part, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, il n'appartient pas au préfet de se prononcer sur le bien-fondé d'une décision judiciaire d'expulsion, son rôle se bornant à en vérifier le caractère exécutoire et à apprécier l'éventuelle existence de considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public résultant de son exécution. Le caractère exécutoire d'un jugement n'est pas ôté par l'exercice d'un appel par les locataires expulsés. Par conséquent, la circonstance que le jugement du tribunal d'instance a été annulé par un arrêt du 7 janvier 2016 de la cour d'appel de Paris n'est pas de nature à entacher la décision attaquée d'une illégalité fautive.

6. Enfin, les requérants ne sauraient utilement invoquer la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que la décision accordant le concours de la force publique vise à assurer l'exécution d'une décision de justice et qu'elle n'a ni pour objet ni pour effet de séparer les requérants de leur famille ou de les priver de leur droit au logement

7. En second lieu, ainsi qu'il a été précédemment dit, à la date où le concours de la force publique a été accordé, la famille se composait des requérants et de leur fils majeur. En outre, il résulte de l'instruction que l'expulsion n'est intervenue que près de trois mois après la réquisition par l'huissier de justice et alors que le juge de l'exécution avait rejeté la demande de délai présentée par M. et Mme B.... Par ailleurs, ces derniers n'apportent pas la preuve que les services de la préfecture se seraient engagés de façon ferme et définitive à procéder à leur expulsion au plus tôt le 17 juillet 2014. Si le document intitulé " extrait du logiciel Gexp " relate les affirmations d'un agent de la préfecture indiquant que " le locataire est en train de nous berner en espérant passer DALO fin juillet ", cette mention, pour regrettable qu'elle soit, n'est pas de nature à démontrer que la date de l'expulsion a été choisie dans le but de faire obstacle au droit au logement des intéressés. Par suite, il n'est pas établi que l'expulsion des requérants soit intervenue dans la précipitation ou dans des conditions portant atteinte à leur dignité. Il ne peut donc être retenu de faute dans les conditions matérielles de l'expulsion, de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner la production de l'entier dossier d'expulsion, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leurs conclusions indemnitaires.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision portant refus de communication du dossier d'expulsion dans son intégralité et à ce qu'il soit enjoint à l'administration de communiquer les documents complémentaires :

9. Par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté comme irrecevables les conclusions susvisées sans avoir préalablement invité les requérants à régulariser leur présentation ni les avoir préalablement informés de cette irrecevabilité en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative. M. et Mme B... sont donc fondés à soutenir que le jugement du tribunal administratif, en tant qu'il rejette ces conclusions, est entaché d'irrégularité.

10. Il y a lieu d'en prononcer l'annulation dans ces limites et, par la voie de l'évocation, de statuer sur la demande de M. et Mme B... en tant qu'elle concerne le refus de communication du dossier d'expulsion dans son intégralité.

11. Dans leurs écritures initiales, les requérants ont demandé au tribunal qu'il ordonne, avant-dire droit, la communication de leur dossier d'expulsion. Cette demande visait à solliciter de la juridiction la mise en œuvre d'une mesure d'instruction à l'appui de leur demande indemnitaire. En revanche, les conclusions visées ci-dessus, présentées devant le tribunal administratif de Paris le 10 août 2018, soit postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux, portent sur le droit d'accès à des documents administratifs. Elles ne présentent pas de lien suffisant avec les conclusions indemnitaires de la requête initiale et devaient donc faire l'objet d'une requête distincte. Par suite, ces conclusions doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie principalement perdante, la somme demandée par M. et Mme B... au titre des frais de l'instance.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 8 janvier 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de la demande de M. et Mme B... tendant à l'annulation de la décision portant refus de communication du dossier d'expulsion dans son intégralité et à ce qu'il soit enjoint à l'administration de communiquer les documents complémentaires.

Article 2 : Ces conclusions de la demande présentée devant le tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de la requête présentée devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. A... B..., à Mme C... B..., au ministre de l'intérieur.

Copie en sera délivrée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 25 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente de chambre,

- Mme Briançon, présidente assesseure,

- Mme Portes, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 avril 2022.

La rapporteure,

C. PORTESLa présidente,

M. HEERS

La greffière,

V. BREME

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA00872


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00872
Date de la décision : 08/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Celine PORTES
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : CORTES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-04-08;20pa00872 ?
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