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29/03/2022 | FRANCE | N°21PA00005

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 29 mars 2022, 21PA00005


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière du 48, rue Alphonse Penaud et la société La maison Saint-Germain ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à leur verser, respectivement, les sommes de 1 568 710 euros et 2 373 379,58 euros, assorties des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices financiers et moraux résultant, d'une part, de la carence à les informer de l'obligation de solliciter une autorisation de changement d'usage sur le fondement des dispositions de l'a

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière du 48, rue Alphonse Penaud et la société La maison Saint-Germain ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à leur verser, respectivement, les sommes de 1 568 710 euros et 2 373 379,58 euros, assorties des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices financiers et moraux résultant, d'une part, de la carence à les informer de l'obligation de solliciter une autorisation de changement d'usage sur le fondement des dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, d'autre part, du refus de mise en œuvre de la médiation assurée par le médiateur de la ville de Paris le 5 avril 2017.

Par un jugement n° 1822137/6-3 du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 janvier 2021 et 18 septembre 2021, la société civile immobilière du 48, rue Alphonse Penaud et la société La maison Saint-Germain, représentées par Me Chergui, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 12 novembre 2020 ;

2°) de condamner la ville de Paris à leur verser, respectivement, les sommes de 1 568 710 euros et 2 373 379,58 euros, assorties des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices financiers et moraux résultant, d'une part, de la carence à les informer de l'obligation de solliciter une autorisation de changement d'usage sur le fondement des dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, d'autre part, du refus de mise en œuvre de la médiation assurée par le médiateur de la ville de Paris le 5 avril 2017 ;

3°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- les premiers juges ont irrégulièrement relevé d'office, sans en informer les parties, le moyen tiré de ce que les pourparlers transactionnels étaient couverts par la confidentialité ;

- la ville de Paris a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne les informant pas, avant 2012, de ce que l'activité commerciale se déroulant au 158 boulevard Saint-Germain imposait le respect des dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, alors que ses services ne pouvaient ignorer cette activité ; le transfert de compétence, en la matière, de l'État à la ville de Paris a entraîné un transfert de responsabilité ;

- la ville de Paris a commis une seconde faute en ne faisant pas une application loyale de la médiation formalisée par le courrier du médiateur de la ville de Paris du 6 avril 2017 ;

- l'inertie puis le comportement déloyal de la ville de Paris a directement causé à la société civile immobilière du 48 rue Alphonse Penaud un préjudice s'élevant à la somme de 1 568 710 euros et à la société La maison Saint-Germain un préjudice s'élevant à la somme de 2 373 379,58 euros ;

- le préjudice moral de chacune des sociétés requérantes doivent être indemnisé à hauteur de 200 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 26 juillet 2021, la ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-Froger, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge solidaire des sociétés requérantes.

Elle soutient que les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction a été fixée au 18 octobre 2021.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- les observations de Me Chergui, représentant les sociétés requérantes,

- et les observations de Me Froger, représentant la ville de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI du 48, rue Penaud a acquis un immeuble situé au 158, boulevard Saint-Germain, à Paris, comprenant des locaux commerciaux et des locaux à usage d'habitation. À partir de 2005, après la réalisation de travaux, la partie " habitation " a été exploitée sous forme de studios meublés destinés à la location de courte durée, pour une clientèle française ou étrangère de passage à Paris. La gestion de cette activité a été confiée par un bail commercial à la société La maison Saint-Germain. En 2012, un agent du bureau de la protection des locaux d'habitation de la direction du logement et de l'habitat de la ville de Paris a mené une enquête après avoir reçu un signalement concernant l'immeuble. Il a établi le 18 mai 2012 un rapport constatant une infraction à la réglementation relative au changement d'usage, prévue par les dispositions de l'article L. 632-1 du code de la construction et de l'habitation. Par un courrier du 15 juin 2012, le directeur du logement et de l'habitat de la ville de Paris a mis en demeure la SCI du 48, rue Penaud de régulariser la situation dans le délai d'un mois. Après plusieurs échanges avec les services municipaux ainsi qu'avec le médiateur de la ville de Paris, saisi par le gérant des sociétés requérantes, de nouvelles demandes de régularisation ont été adressées à l'intéressée et n'ont pas été suivies d'effet. Par un courrier du 30 juillet 2018, reçu le 3 août suivant, la SCI du 48, rue Penaud et la société La Maison Saint-Germain ont adressé à la ville de Paris une demande tendant à la réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis du fait du comportement de la ville de Paris. Une décision implicite de rejet est née le 3 octobre 2018 du silence gardé par l'administration. Les sociétés requérantes relèvent appel du jugement du 12 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs conclusions indemnitaires.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué. (...) ".

3. Les sociétés requérantes soutiennent que les premiers juges ont irrégulièrement relevé d'office, sans en informer les parties en application des dispositions précitées, le moyen tiré de ce que les pourparlers transactionnels étaient couverts par la confidentialité au sens de l'article L. 213-2 du code de justice administrative, pour écarter la faute qu'elles imputent à la ville de Paris du fait de son comportement déloyal dans le cadre de ces échanges. Toutefois, le juge administratif, saisi de conclusions mettant en jeu la responsabilité de la puissance publique, ne soulève pas d'office un moyen d'ordre public lorsqu'il constate au vu des pièces du dossier qu'une des conditions d'engagement de la responsabilité publique n'est pas remplie et cela alors même qu'il fonde ce constat sur des dispositions législatives ou réglementaires non invoquées en défense. En conséquence, il n'est alors pas tenu de procéder à la communication prescrite par les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative. En l'espèce, le tribunal ayant estimé que les échanges entre les requérantes et le médiateur de la ville de Paris relevaient des dispositions applicables à la médiation prévue par l'article L. 213-1 et suivants du code précité, il pouvait en déduire, sans en informer préalablement les parties, que les intéressées ne pouvaient utilement se prévaloir d'une faute de la ville de Paris à ce titre du fait du principe de confidentialité énoncé par lesdites dispositions. Par suite, les premiers juges n'ont, ce faisant, entaché le jugement d'aucune irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. En premier lieu, les sociétés requérantes soutiennent que la ville de Paris a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en faisant preuve d'inertie et en ne les informant pas, avant 2012, de ce que l'activité commerciale de location d'appartements meublés pour des séjours touristiques de courte durée, se déroulant au 158, boulevard Saint-Germain, imposait le respect des dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation relatives au changement d'usage, qui soumettent celle-ci à une autorisation administrative. Elles font notamment valoir que les services de l'État comme ceux de la ville ne pouvaient ignorer cette activité commerciale, dès lors d'abord que la société La Maison Saint-Germain a adressé, le 27 avril 2005, un courrier à la préfecture de Paris faisant part de son intention d'ouvrir une résidence hôtelière et interrogeant le service sur la catégorie juridique de cette activité et sur le régime fiscal applicable. Toutefois, ce courrier, eu égard à ses termes, ne saurait, comme l'ont relevé les premiers juges, être regardé ni comme une demande d'autorisation de changement d'usage, ni comme une demande tendant à savoir si une telle autorisation était nécessaire pour débuter l'activité en cause. Ce courrier ne saurait donc en tout état de cause impliquer une obligation d'information, à la charge de l'État ou ensuite de la ville de Paris, à laquelle la compétence en la matière a été transférée par la loi du 4 août 2008, quant aux démarches devant être effectuées en cas de changement d'usage d'un immeuble. Il ne ressort par ailleurs d'aucune des pièces du dossier qu'une demande sur ce point aurait été effectuée par l'une ou l'autre des sociétés requérantes. Il est ensuite soutenu que l'administration avait connaissance de l'activité commerciale exercée au 158, boulevard Saint-Germain, dès lors que la SCI du 48, rue Alphonse Penaud a obtenu le 18 janvier 2006 un permis de construire comportant un changement partiel de destination puis un certificat de conformité le 7 avril 2008, que les lieux ont été visités par des agents chargés d'en vérifier la conformité en matière de sécurité, et que la société La Maison Saint-Germain remplissait ses obligations fiscales, s'agissant notamment des déclarations de taxe de séjour. Aucune de ces circonstances, relatives à des législations et réglementations distinctes et indépendantes de celle prévue par l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, n'imposaient cependant à la ville de Paris d'informer les sociétés requérantes de ce que la réglementation en matière de changement d'usage n'était en l'espèce pas respectée, ce qui au demeurant ne pouvait en être automatiquement déduit. Enfin, aucune faute ne saurait être imputée à la ville de Paris du fait de l'intervention d'un contrôle en mai 2012, et non à une date antérieure.

5. En second lieu, il résulte de l'instruction que le gérant des deux sociétés requérantes a sollicité l'intervention du médiateur de la ville de Paris, qui en janvier 2017 a confirmé la situation irrégulière des locaux en cause au regard de la réglementation relative au changement d'usage, et a tenté d'accompagner les requérantes afin d'obtenir une régularisation par le dépôt d'une demande de changement d'usage avec compensation. À la suite d'un entretien ayant eu lieu le 5 avril 2017, le médiateur a adressé au gérant des deux sociétés un courrier par lequel était rappelée la surface d'habitation soumise à compensation, dont la détermination n'avait pu jusque-là avoir lieu de façon précise, et par lequel était indiqué le prix du mètre carré au titre de la compensation, d'environ 1 300 euros. Si les sociétés requérantes estiment que ce courrier doit être regardé comme un " accord de médiation ", il est constant qu'il se borne à synthétiser le contenu des échanges ayant précédemment eu lieu entre les parties et qu'il ne contient aucun engagement de celles-ci, alors au demeurant que les dispositions de l'article L. 213-3 du code de justice administrative prévoient que " L'accord auquel parviennent les parties ne peut porter atteinte à des droits dont elles n'ont pas la libre disposition ", et que les dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation ne prévoient aucune dérogation au respect des règles qu'elles édictent. Dans ces conditions, les sociétés requérantes, dont la recherche d'achat de mètres carrés au titre de la compensation permettant une régularisation de la situation a échoué, ne sont pas fondées à soutenir que la ville de Paris aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en adoptant un comportement déloyal dans le cadre des échanges avec le médiateur.

6. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la ville de Paris, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par les sociétés requérantes et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de ces dernières le versement à la ville de Paris de la somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société civile immobilière du 48, rue Alphonse Penaud et de la société La maison Saint-Germain est rejetée.

Article 2 : La société civile immobilière du 48, rue Alphonse Penaud et la société La maison Saint-Germain verseront solidairement à la ville de Paris la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière du 48, rue Alphonse Penaud, à la société La maison Saint-Germain et à la ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 7 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2022.

La rapporteure,

G. A...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA00005


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00005
Date de la décision : 29/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SCP FOUSSARD-FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-03-29;21pa00005 ?
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