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28/03/2022 | FRANCE | N°20PA02857

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 28 mars 2022, 20PA02857


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme Garnet a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle et de condamner l'Etat à prendre en charge les frais engagés pour poursuivre les auteurs du harcèlement moral dont elle s'estime l'objet.

Par un jugement n° 1820979 du 30 juillet 2020 le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de refus de protection pour défaut de motivation et a rejeté le surplus de la de

mande de Mme Garnet.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoire...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme Garnet a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle et de condamner l'Etat à prendre en charge les frais engagés pour poursuivre les auteurs du harcèlement moral dont elle s'estime l'objet.

Par un jugement n° 1820979 du 30 juillet 2020 le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de refus de protection pour défaut de motivation et a rejeté le surplus de la demande de Mme Garnet.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 1er octobre et 15 novembre 2020 et 10 mars 2021, Mme Garnet, représentée par Me Mazza, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1820979 du tribunal administratif de Paris en date du 30 juillet 2020 en tant que ledit jugement a refusé de reconnaître le harcèlement moral subi et rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui accorder la protection fonctionnelle et de prendre en charge les frais avancés pour dénoncer devant le juge pénal le harcèlement dont elle a été victime, à hauteur de 15 144,74 euros toutes taxes comprises ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement entrepris est entaché d'irrégularité, en tant qu'il est entaché d'omission à répondre au moyen tiré du manquement à l'obligation de protection prévue par le code du travail ;

- les premiers juges ont méconnu leur office en écartant comme non significatifs les certificats médicaux produits ;

- ils ont méconnu leur obligation de veiller au respect, par l'administration, des conditions dans lesquelles la protection fonctionnelle doit être assurée ;

- ils ont entaché leur jugement entaché d'erreurs dans la définition retenue et l'appréciation du harcèlement invoqué ;

- elle a été victime de harcèlement moral : elle a été victime de remarques sexistes et d'attitudes blessantes et humiliantes ; l'organisation du service la privait de responsabilité effective ; elle a été progressivement éloignée de la vie du service ; elle a subi un syndrome anxio dépressif ; ces faits sont corroborés par les procès-verbaux d'audition réalisés dans le cadre de l'enquête pénale ;

- l'administration a manqué à son obligation de protection au titre du code du travail ;

- en ne répondant pas à sa demande, et en ne diligentant pas d'enquête, l'administration a manqué à ses obligations en matière de protection fonctionnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme Garnet ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Simon,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,

- et les observations de Me Mazza pour Mme Garnet.

Considérant ce qui suit :

1. Mme Garnet, nommée commissaire de police en 2010, a rejoint le 1er septembre 2014 la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne à la préfecture de police et a été affectée, à sa demande, au service de nuit de Paris (SN75). Elle a sollicité, le 31 mai 2018, après son départ du service, une protection fonctionnelle pour les faits de harcèlement moral qu'elle estime avoir subis. Par jugement du 30 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé comme non motivée la décision implicite née du silence gardé par le ministre de l'intérieur sur sa demande de protection fonctionnelle et a rejeté ses conclusions à fin d'injonction d'octroi de la protection et d'indemnisation. Elle demande à la Cour l'annulation du jugement du 30 juillet 2020, en tant qu'il n'a pas reconnu le harcèlement dont elle avait été victime et a rejeté ses demandes d'injonction et d'indemnisation. Elle doit en outre être regardée comme demandant qu'il soit enjoint au ministre de lui accorder la protection fonctionnelle et de prendre ainsi en charge les frais engagés pour dénoncer ce harcèlement devant l'autorité judiciaire.

Sur la régularité du jugement entrepris :

2. Il ressort du jugement attaqué que le tribunal, qui a annulé la décision de refus de protection fonctionnelle pour insuffisance de motivation n'était pas tenu, compte tenu du principe de l'économie de moyens, de répondre expressément au moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de protection. Ainsi, le moyen tenant à l'irrégularité du jugement doit, être écarté.

Sur le fond :

3. En premier lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Mme Garnet ne peut donc utilement soutenir que le tribunal a entaché sa décision d'erreurs de droit et d'appréciation, s'agissant notamment de définir la notion de harcèlement moral, pour demander l'annulation du jugement attaqué.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Aux termes de l'article 11 de la même loi dans sa rédaction applicable en l'espèce : " IV. La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ".

5. Les agissements répétés de harcèlement moral pour être qualifiés tels doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Toutefois, il n'y a pas lieu pour le juge de prendre en considération l'argumentation de l'administration si l'agent public ne fournit aucun élément circonstancié susceptible de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme Garnet, commissaire de police en début de carrière nommée pour être responsable du service de nuit de la brigade anti-criminalité (BAC) de Paris, s'est trouvée sous l'autorité directe du commissaire divisionnaire responsable du service de nuit de l'agglomération parisienne et son adjoint, qui exerçaient des responsabilités administratives et opérationnelles directes sur le service du département de Paris. Cette organisation, spécifique à la ville de Paris, très antérieure à l'arrivée de Mme Garnet, remise en cause par divers rapports administratifs, ne lui avait pas été présentée comme telle, n'était consignée sur aucune fiche de poste et n'était pas reprise dans l'organigramme du service. Elle a en outre favorisé la remise en cause de son autorité par des officiers de police placés sous sa responsabilité fonctionnelle qui se prévalaient des instructions et du soutien du commissaire divisionnaire.

7. Mme Garnet dit avoir perçu à partir du courant de l'année 2016 une hostilité croissante de son chef de service, amplifiée par leurs désaccords sur le fonctionnement du service. Elle estime avoir été tenue à l'écart des événements forts de la vie du service, que ce soit les obsèques d'un collègue ou des événements festifs. L'ensemble de ces circonstances a provoqué un syndrome anxio-dépressif qui a conduit l'intéressée à quitter le service en 2018. Toutefois, si les circonstances mentionnées peuvent être regardées comme traduisant des tensions dans la chaîne de commandement, et, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, une organisation dysfonctionnelle, il ne ressort pas des pièces du dossier que la hiérarchie de Mme Garnet ait excédé, par son comportement, l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, notamment en lui confiant des missions ne relevant pas de son grade, ou en la privant de toute responsabilité. En particulier, il ne ressort pas des pièces du dossier que sa non-inclusion dans un groupe WhatsApp, créé en 2018 en dehors de toute initiative hiérarchique entre gradés des unités opérationnelles, ou que la baisse de sa notation pour l'année 2018, traduisent un harcèlement moral exercé à son encontre.

8. Mme Garnet soutient, en outre, sans toutefois l'établir, avoir fait l'objet de menaces quant à sa carrière de la part de son chef de service et de son sous-directeur et avoir été soumise à une charge de travail anormale empiétant de manière excessive sur son temps de repos et ses arrêts maladie, même s'il ressort des pièces du dossier que les relations de travail quotidiennes avec son chef de service pouvaient être regardées comme conflictuelles ou rugueuses. Si elle soutient également avoir fait l'objet de pressions ou de questions intrusives de la part de son chef de service quant à sa relation privée avec un sous-officier responsable d'une unité opérationnelle ayant vocation à être placée sous son autorité, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces pressions ou questions aient pu avoir pour effet ou pour objet de contraindre Mme Garnet à remettre en cause sa relation privée, Mme Garnet n'ayant en outre pas informé sa hiérarchie de sa relation avec ce sous-officier.

9. Par suite, Mme Garnet n'établissant pas avoir été confronté à un harcèlement moral dans le service, l'administration n'était pas tenue de lui accorder la protection fonctionnelle.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. ". Aux termes de l'article

L. 4121-2 du même code : " L'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l'homme, (...) ; (...) ; 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ; (...) ; 9° Donner les instructions appropriées aux employeurs. ".

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 9 du présent arrêt que Mme Garnet n'apporte pas d'éléments permettant de présumer une situation de harcèlement moral. En outre, s'il ressort des pièces du dossier que le positionnement hiérarchique des commissaires de police au sein du service de nuit de Paris (SN75) n'était pas défini clairement, il n'en ressort pas que ce défaut aurait, à lui seul, été à l'origine d'un risque professionnel pour la santé physique et mentale et la sécurité des fonctionnaires concernés, ou d'un risque lié au harcèlement moral, au sens des dispositions précitées du code du travail. Par suite, Mme Garnet, qui ne pouvait ignorer les spécificités de l'organisation du service de nuit sur le territoire de la ville de Paris, n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée a méconnu les obligations de prévention incombant à son employeur en application de ces dispositions.

12. En dernier lieu, si Mme Garnet soutient que le traitement de sa demande de protection fonctionnelle n'a donné lieu à aucune enquête, il ne résulte d'aucune disposition légale ou réglementaire qu'une obligation d'enquête pèserait sur l'autorité investie du pouvoir de traitement d'une telle plainte. De même, s'il ressort des pièces du dossier que sa plainte a été traitée par le directeur général de la police nationale, après consultation de la commission administrative paritaire, ces autorités ne peuvent être regardées comme des supérieurs hiérarchiques de l'intéressée, susceptibles d'avoir instruit sa plainte de manière partiale.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme Garnet n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris n'a pas fait droit à sa demande de reconnaissance d'une situation de harcèlement et à sa demande de protection fonctionnelle, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le tribunal a écarté comme sans incidence les certificats médicaux produits. Par suite, ses conclusions aux fins d'annulation et d'injonction doivent être rejetées.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par Mme Garnet à l'occasion de la présente instance et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme Garnet est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Garnet et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 17 février 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président de chambre,

- M. Soyez, président assesseur,

- M. Simon, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 28 mars 2022.

Le rapporteur,

C. SIMONLe président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA02857


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02857
Date de la décision : 28/03/2022
Type d'affaire : Administrative

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Garanties et avantages divers - Protection contre les attaques.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique.


Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Claude SIMON
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : MAZZA

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-03-28;20pa02857 ?
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