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24/03/2022 | FRANCE | N°21PA01916

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 24 mars 2022, 21PA01916


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 octobre 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à substituer à son nom de " D... " celui de " B... ", ainsi que la décision du 11 avril 2018 portant rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 1905516/4-3 du 18 décembre 2020 le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 13

avril 2021, Mme D..., représentée par Me Velasco, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 octobre 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à substituer à son nom de " D... " celui de " B... ", ainsi que la décision du 11 avril 2018 portant rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 1905516/4-3 du 18 décembre 2020 le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 13 avril 2021, Mme D..., représentée par Me Velasco, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 18 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête ;

2°) d'annuler la décision du 16 octobre 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom, ainsi que la décision du 11 avril 2018 portant rejet de son recours gracieux ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et une somme de 2 500 euros à verser à son conseil, Me Velasco, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- elle justifie d'un intérêt légitime à changer de nom, compte tenu d'une part des souffrances dans la relation avec sa mère alors qu'elle a retrouvé son père biologique qui l'a reconnue et avec lequel elle a noué une véritable relation filiale, d'autre part, de l'usage constant du nom de son père " B... " dans sa vie personnelle depuis 2006, de son souhait d'harmoniser son nom avec celui de son demi-frère qui porte également le nom de " B... ", et enfin compte tenu de ses origines et de la menace d'extinction du nom de " B... ".

La requête a été communiquée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Mme C... D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 mars 2021 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Renaudin,

- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... D..., née en 1971, a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, le changement de son nom patronymique, qui est celui de sa mère, en " B... " qui est le nom de son père biologique, ainsi que celui de sa fille mineure A..., née en septembre 2007. Par une décision du 16 octobre 2017, confirmée sur recours gracieux, le 11 avril 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande. Mme D... a contesté ces décisions devant le tribunal administratif de Paris, lequel, par un jugement du 18 décembre 2020, dont elle fait appel, a rejeté sa requête.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 6 du décret du 20 janvier 1994 : " Le refus de changement de nom est motivé (...) ".

3. La décision contestée du 16 octobre 2017, mentionne l'article 61 du code civil, et fait état, en premier lieu, de ce que les pièces fournies ne sont pas suffisantes pour établir un usage constant et ininterrompu du nom de " B... " de nature à caractériser un intérêt légitime à changer de nom, en deuxième lieu, que l'intérêt légitime tenant au souhait de porter le même nom que son frère n'est pas établi en l'absence de pièces permettant de justifier de la filiation de ce dernier et en l'absence de circonstances exceptionnelles, et en troisième lieu, de ce que l'usage par sa fille du nom de " B... " n'est pas suffisant pour justifier de circonstances exceptionnelles. Elle contient ainsi, les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde, et qui permettent de vérifier que l'administration préfectorale a procédé à un examen de la situation particulière de Mme D... au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables.

4. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. ".

5. D'une part, des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... ayant été reconnue par sa mère seule à sa naissance, a, en vertu de l'article 334-1 du code civil, alors applicable, selon lequel l'enfant naturel acquérait le nom de celui de ses deux parents à l'égard duquel sa filiation était établie en premier lieu, porté, à sa naissance, le nom de D... qui est le nom de sa mère. A l'occasion du mariage de sa mère avec M. E... F... en décembre 1975, ce dernier l'a reconnue et celle-ci a été légitimée, portant désormais le nom de C... F.... Mme D... a retrouvé son père biologique, dont sa mère lui avait caché l'identité dans son enfance, alors qu'elle avait 14 ans, ce dernier l'ayant par la suite reconnue en 1991 en Hongrie, pays dont il était ressortissant. A la demande de Mme D..., par un jugement du 1er mars 1994, le tribunal de grande instance de Paris a annulé la reconnaissance faite par M. F..., divorcé de sa mère en 1979, et sa légitimation, la mention de ce jugement ayant été retranscrite sur son état civil en janvier 2000. La reconnaissance faite par son père en 1991 a été retranscrite par une mention sur son état civil en août 2006. A compter de cette date, l'intéressée a pris le nom de C... B.... Toutefois en septembre 2007, sur instructions du Procureur de la République, une mention a été portée sur son état civil rectifiant son nom patronymique en " D... " et non " B... ". Si Mme D... fait valoir qu'elle connaît une souffrance psychologique du fait qu'elle porte le nom de sa mère avec laquelle elle a toujours eu une relation très tendue marquée par l'absence de comportement maternel de celle-ci à son égard, et avec laquelle elle n'entretient plus aucune relation depuis 2010, alors qu'elle souhaite porter le nom de son père biologique, avec lequel elle a noué une véritable relation filiale jusqu'à sa mort en 2001, en l'absence de gravité démontrée de la souffrance psychologique dont elle fait état, ces éléments ne peuvent être regardés comme constituant des circonstances exceptionnelles, seules susceptibles de caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

6. L'affirmation selon laquelle Mme D... est attachée au nom de ses ancêtres du fait de ses racines juives et en mémoire des victimes de la Shoah ayant porté ce nom, ne revêt pas non plus un caractère exceptionnel et ne saurait donc constituer l'intérêt légitime requis par les dispositions précitées de l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi, pour un motif d'ordre affectif.

7. D'autre part, la possession d'état qui résulte du caractère constant et ininterrompu, pendant plusieurs dizaines d'années, de l'usage d'un nom, peut caractériser l'intérêt légitime requis par les dispositions de l'article 61 du code civil. Toutefois si Mme D... fait valoir qu'elle porte le nom de " B... " depuis 2006 et est connue sous cette identité dans sa vie personnelle et publique, en tant qu'auteur de livres, en produisant au dossier des pièces qui en attestent effectivement, cette durée n'est pas suffisamment longue pour caractériser une possession d'état justifiant le changement de nom sollicité, alors, au surplus, qu'il ressort des pièces du dossier qu'à partir de 2001, elle a fait également usage du nom de " F... B... ", lequel est différent. Au demeurant, elle n'a pu officiellement porter le nom de B... à compter d'aout 2006 et jusqu'en septembre 2007, qu'en raison d'une erreur dans l'application du code civil, qui a été rectifiée, comme il a déjà été dit, sur instructions du Procureur de la République, et n'a pu ensuite conserver ce nom qu'à titre d'usage.

8. Mme D... et son demi-frère, né en 1983, n'ont pas la même mère, de sorte que le principe d'unité du nom de famille ne peut être invoqué et leur relation fraternelle n'est pas suffisante pour justifier la substitution demandée par Mme D... de son nom par celui de son père.

9. Enfin, si Mme D... mentionne en appel que le nom de son père est en voie d'extinction, elle n'a pas invoqué le motif de relèvement de ce nom à l'appui de sa demande de changement de nom auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, de sorte que ce moyen est inopérant.

10. En déniant à Mme D... un intérêt légitime, le garde des sceaux, ministre de la justice, n'a donc pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 61 du code civil, ni commis d'erreur d'appréciation.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à ce que les frais liés à l'instance soient mis, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 24 février 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- Mme Renaudin, première conseillère,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2022.

La rapporteure,

M. RENAUDINLe président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA01916


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01916
Date de la décision : 24/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-03 Droits civils et individuels. - État des personnes. - Changement de nom patronymique.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Mathilde RENAUDIN
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : VELASCO

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-03-24;21pa01916 ?
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