La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/03/2022 | FRANCE | N°20PA01173

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 18 mars 2022, 20PA01173


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) à lui verser la somme de 150 000 euros au titre de son préjudice pécuniaire et moral en réparation des conséquences dommageables du harcèlement moral et du traitement discriminatoire dont il estime avoir été l'objet et d'ordonner la production de toute pièce permettant la comparaison objective de sa situation à celle de certains fonctionnaires promus, de son propre dossier administratif e

t de certaines autres pièces. Il demandait, en outre, l'annulation de la d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) à lui verser la somme de 150 000 euros au titre de son préjudice pécuniaire et moral en réparation des conséquences dommageables du harcèlement moral et du traitement discriminatoire dont il estime avoir été l'objet et d'ordonner la production de toute pièce permettant la comparaison objective de sa situation à celle de certains fonctionnaires promus, de son propre dossier administratif et de certaines autres pièces. Il demandait, en outre, l'annulation de la décision du 12 juin 2017 par laquelle le maire de la commune de Saint-Maur-des-Fossés a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1703949 et 1706242 du 6 février 2020 le tribunal administratif de Melun a rejeté les demandes de M. C....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 7 avril 2020, M. C..., représenté par Me Ovadia, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1703949 et 1706242 du tribunal administratif de Melun en date du 6 février 2020 ;

2°) de condamner la commune de Saint-Maur-des-Fossés à lui verser 100 000 euros de préjudice matériel, 50 000 euros de préjudice de retraite et 50 000 euros de préjudice moral en réparation des faits de harcèlement moral, de discrimination et de violation du principe d'égalité dont il a été victime de la part de son employeur ;

3°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle présentée le 7 avril 2017 ;

4°) d'enjoindre à la commune de Saint-Maur-des-Fossés de produire son dossier administratif, ainsi que toute pièce permettant une comparaison entre sa situation et celles de Mme B..., M. A..., Mme D..., et Mme F..., et notamment tous les actes de nominations, la liste de nomination des personnels de police municipale des dix dernières années, tous les arrêtés de nomination au grade de brigadier-chef et de brigadier-chef principal des dix dernières années, ainsi que les tableaux d'avancement au grade de brigadier-chef principal des dix dernières années ;

5°) de mettre à la charge de la ville de Saint-Maur-des-Fossés la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la condamner aux dépens.

Il soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation s'agissant de la prise en compte du harcèlement moral ;

- il a été victime de harcèlement moral. La commune de Saint-Maur-des-Fossés n'apporte aucune justification à son affectation brutale dans un emploi de surveillant de la sortie d'une école, à l'absence de suite donnée à ses demandes de rendez-vous ou d'explication, et à son absence de promotion au grade de brigadier-chef principal alors que des collègues plus récents que lui ont été nommés brigadier-chef principal, d'autres collègues moins gradés que lui ayant été promus brigadier-chef ;

- il a également été victime de rupture d'égalité et de discrimination en raison de son origine africaine, de sa couleur de peau et de son âge.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2020, la commune de Saint-Maur-des-Fossés, représentée par Me Polderman, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. C... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- le décret n° 2006-1391 du 17 novembre 2006 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Simon,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.

- et les observations de Me Normand, substituant Me Ovadia, représentant M. C... et de Me McDonagh, substituant Me Polderman, représentant la commune de Saint-Maur-des-Fossés.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., né en 1958, recruté comme gardien de police municipale par la ville de Saint-Maur-des-Fossés en 1989, promu au grade de brigadier-chef en 2003, a été affecté entre le 2 août 2011 et la fin 2012 dans des fonctions de surveillance d'un établissement scolaire. Le 18 janvier 2017, il a adressé au maire de la commune de Saint-Maur-des-Fossés une demande d'indemnisation d'un montant de 150 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de harcèlement moral, de discrimination et de rupture d'égalité dont il aurait été victime à raison de son affectation dans les fonctions mentionnées. Le 7 avril 2017, il a demandé au maire de la commune de Saint-Maur-des-Fossés le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison des faits de harcèlement et de discrimination mentionnés. Il demande à la Cour l'annulation du jugement du 6 février 2020, par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande d'indemnisation et sa demande d'annulation du refus de protection fonctionnelle, ainsi que ses conclusions accessoires aux fins d'instruction et d'injonction. Il demande, en outre, à la Cour de condamner la ville de Saint-Maur-des-Fossés à lui verser la somme, portée à 200 000 euros, au titre des préjudices subis et d'annuler la décision de rejet implicite de sa demande de protection fonctionnelle, et de prononcer les mesures d'instruction visées ci-dessus.

Sur la régularité du jugement entrepris :

2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. C... ne peut donc utilement soutenir que le tribunal a entaché sa décision d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur les conclusions aux fins d'indemnisation :

En ce qui concerne les fautes :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires visée ci-dessus : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".

4. Les agissements répétés de harcèlement moral pour être qualifiés tels doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Toutefois, il n'y a pas lieu pour le juge de prendre en considération l'argumentation de l'administration si l'agent public ne fournit aucun élément circonstancié susceptible de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement.

5. D'une part, il résulte de l'instruction que M. C..., qui exerce ses fonctions à la police municipale de Saint-Maur-des-Fossés depuis 1989, et dont les états de service ont fait l'objet de félicitations de sa hiérarchie et du préfet de département jusqu'à la première partie des années 2000, a été affecté à une mission de surveillance de la sortie des écoles en septembre 2011, sans aucune explication. Alors qu'il a été mis en arrêt de travail en raison du trouble psychologique ressenti par cette affectation qu'il a ressentie comme humiliante et vexatoire, ses demandes d'explication et de changement d'affectation sont restées vaines jusqu'en décembre 2012. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'affectation à la surveillance de sortie des écoles entre dans les attributions de la police municipale et n'a pas emporté, en l'espèce, de diminution de rémunération ni de responsabilités de M. C.... La commune de Saint-Maur-des-Fossés, dont les responsables ont reçu l'intéressé en septembre 2011, à l'annonce de son changement d'affectation, soutient qu'elle répondait aux nécessités de service, et, en outre, a affecté M. C..., à compter de la fin 2012, dans des missions opérationnelles dans un secteur sensible de la commune. Dans ces conditions, pour regrettable que soit l'absence de réponse à différents courriers et demandes d'entretien, il n'apparaît pas que l'autorité municipale ait excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique en procédant à ce changement d'affectation. Compte tenu de ces effets, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la mesure d'affectation constituerait une sanction déguisée.

6. D'autre part, M. C... soutient que son absence de promotion au grade de brigadier-chef principal, après 28 ans de service, traduirait également le harcèlement moral dont il s'estime victime. Il met notamment en exergue la situation de trois collègues entrés plus tardivement que lui dans le corps de la police municipale qui ont été promus au grade de brigadier-chef principal. Il évoque également le cas d'une agente, ancienne agente de surveillance de la voie publique, titularisée récemment dans la police municipale, qui aurait le même grade que le sien. Il résulte toutefois de l'instruction, même si l'intéressé a fait l'objet d'appréciations élogieuses et de félicitations de sa hiérarchie au long des années 90 et au début des années 2000, qu'il a également fait l'objet d'avertissements répétés, notamment à raison de faits de harcèlement sexuel en 2003, année de sa promotion au grade de brigadier-chef, puis d'insubordination et d'absences répétées en 2005. En outre, sa notation laisse apparaître une baisse de motivation à partir de 2009, une mauvaise prise en compte des fonctions de responsable d'équipe et un mode personnel d'exécution de ses missions confiées. Son absence de promotion n'apparaît ainsi pas caractériser le harcèlement moral dont il se plaint. Enfin, comme il a été dit au point précédent du présent arrêt, aucune atteinte à ses prérogatives statutaires ou à une liberté fondamentale ne résulte de son affectation dans des fonctions de surveillance d'établissement scolaire ou de son absence de promotion. Ainsi, M. C... n'établit pas que les situations mises en avant caractériseraient, ensemble ou séparément un harcèlement moral.

7. En second lieu, aux termes de l'article 4 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations visée ci-dessus : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. ". Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Le juge, lors de la contestation d'une décision dont il est soutenu qu'elle serait empreinte de discrimination, doit attendre du requérant qui s'estime lésé par une telle mesure qu'il soumette au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de l'égalité de traitement des personnes. Il incombe alors au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

8. M. C... soutient que son absence de promotion au grade de brigadier-chef principal, après 28 ans de service, traduirait la discrimination et la rupture du principe d'égalité dont il serait victime en raison de sa couleur de peau, de son origine africaine et de son âge. Il met notamment en exergue la situation de trois collègues entrés plus tardivement que lui dans le corps de la police municipale qui ont été promus au grade de brigadier-chef principal. Il évoque également une agente, ancienne agente de surveillance de la voie publique, titularisée récemment dans la police municipale, qui aurait le même grade que le sien. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 6 du présent arrêt, cette absence de promotion apparaît cohérente avec les appréciations de sa hiérarchie sur sa manière de servir. Par ailleurs, aucune atteinte à ses prérogatives statutaires ou à une liberté fondamentale ne résulte de son affectation dans des fonctions de surveillance d'établissement scolaire ou de son absence de promotion, cette dernière ne constituant pas un droit. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin de prescrire des mesures d'instruction supplémentaires, compte tenu du large pouvoir laissé au pouvoir hiérarchique dans l'appréciation des mérites des fonctionnaires candidats à un changement de grade et dans la fixation des appréciations annuelles, les moyens soulevés par M. C... ne sont pas de nature à faire présumer une situation de discrimination ni une rupture d'égalité entre agents publics.

9. En l'absence de harcèlement moral et de discrimination, M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation du refus de protection fonctionnelle ni à rechercher la responsabilité de la commune de Saint-Maur-des-Fossés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes. Ses conclusions à fin d'indemnisation, d'annulation et d'injonction, ainsi que celles tendant à mettre à la charge de la commune de Saint-Maur-des-Fossés, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les frais exposés à l'occasion de l'instance et non compris dans les dépens, ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... une somme au titre des frais exposés par la commune de Saint-Maur-des-Fossés au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Saint-Maur-des-Fossés, présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... et à la commune de Saint-Maur-des-Fossés.

Délibéré après l'audience du 17 février 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Soyez, président assesseur,

- M. Simon, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 18 mars 2022.

Le rapporteur,

C. SIMONLe président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°20PA01173


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA01173
Date de la décision : 18/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Cadres et emplois - Egalité de traitement entre agents d'un même corps.

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Garanties et avantages divers.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Claude SIMON
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : OVADIA

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-03-18;20pa01173 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award