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11/03/2022 | FRANCE | N°21PA01912

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 11 mars 2022, 21PA01912


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision implicite née du silence gardé par l'administration, ainsi que la décision explicite du 27 juillet 2018, par lesquelles le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation présentée en sa qualité d'ayant-droit de son époux, M. C... D..., tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des

victimes des essais nucléaires français, et d'enjoindre au CIVEN de procéder à l'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision implicite née du silence gardé par l'administration, ainsi que la décision explicite du 27 juillet 2018, par lesquelles le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation présentée en sa qualité d'ayant-droit de son époux, M. C... D..., tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, et d'enjoindre au CIVEN de procéder à l'évaluation de ses préjudices et de lui proposer une indemnisation.

Par un jugement avant-dire droit n° 1800443/1900076 du 4 juin 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a mis à la charge du CIVEN la réparation des préjudices subis par M. D... et a ordonné une expertise médicale en vue de leur évaluation.

Par un jugement n°1800443/1900076 du 23 février 2021, le tribunal administratif de la Polynésie française a mis à la charge du CIVEN la somme de 5 598 800 francs CFP au titre de la réparation des préjudices subis par M. D..., somme assortie des intérêts à taux légal à compter du 28 février 2018, avec capitalisation des intérêts au 4 mars 2019.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 13 avril 2021, Mme A... D..., ayant-droit de Mme B... D... et de M. C... D..., représentée par Me Labrunie, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 284 351 euros au titre de la réparation intégrale des préjudices subis par M. D..., assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2015, avec leur capitalisation ;

3°) de mettre les frais d'expertise à la charge définitive du CIVEN ;

4°) de mettre à la charge du CIVEN la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal ne pouvait accorder une somme inférieure à ce que l'administration était prête à lui octroyer, soit 98 049 euros ;

S'agissant des préjudices avant consolidation :

- les dépenses de santé et frais divers doivent être portés à la somme de 2 912 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire doit être évalué à la somme de 13 618 euros ;

- les souffrances endurées temporaires, évaluées par l'expert à 5 sur une échelle allant de 1 à 7, doivent être indemnisées à hauteur de 80 000 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire, évalué à 2/7, doit être porté à 10 000 euros ;

S'agissant des préjudices après consolidation :

- les frais divers, notamment de transport, doivent être évalués à 2 496 euros ;

- l'assistance d'une tierce personne doit être évaluée à 25 920 euros ;

- le préjudice fonctionnel permanent doit être indemnisé à hauteur de 14 405 euros ;

- le préjudice d'agrément doit être indemnisé à hauteur de 15 000 euros ;

- le préjudice esthétique permanent doit être évalué à la somme de 30 000 euros ;

S'agissant des préjudices en-dehors de toute consolidation :

- elle est fondée à solliciter un préjudice permanent exceptionnel, à hauteur de 90 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2021, le CIVEN conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le juge, qui se substitue à l'administration pour évaluer les préjudices, n'est pas tenu par les évaluations du CIVEN ;

- l'évaluation des préjudices effectuée par le tribunal doit être confirmée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Heers, présidente,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- et les observations de Me Labrunie, pour Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... D... a présenté une demande d'indemnisation en sa qualité d'ayant-droit de M. C... D..., victime des essais nucléaires, devant le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) décédé le 9 août 2017. Par une décision implicite, puis par une décision explicite 27 juillet 2018, le CIVEN a rejeté sa demande. Par un jugement avant-dire droit du 4 juin 2019, le Tribunal administratif de la Polynésie française a mis à la charge du CIVEN la réparation des préjudices subis par M. D... et a ordonné une expertise médicale en vue de leur évaluation. Mme A... D..., ayant-droit de Mme B... D..., décédée le 25 février 2019, relève appel du jugement du 23 février 2021 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a mis à la charge du CIVEN la somme de 5 598 800 francs CFP au titre de la réparation intégrale des préjudices subis par M. D....

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices avant consolidation :

2. Si la requérante sollicite la somme de 2 912 euros au titre des frais divers, correspondant notamment à la location d'un lit médical, d'une chaise roulante, d'une chaise garde-robe, d'un déambulateur et d'un ventilateur ainsi qu'aux frais de transport entre le domicile (Papeete) et l'hôpital (Pirae), elle ne justifie nullement des sommes engagées. Par suite, sa demande d'indemnisation au titre de ce préjudice doit être rejetée.

3. Il résulte de l'instruction que l'expert a retenu, au titre du déficit fonctionnel temporaire, 67 jours d'hospitalisation avec un déficit fonctionnel temporaire de 100% et 358 jours avec un déficit fonctionnel temporaire de 10%. Dès lors, il y lieu d'allouer à Mme D... 100 % de la somme de 25 euros par jour pour une durée de 67 jours, et 10% de cette somme pour une durée de 358 jours, au taux de 25 euros, dont il ne résulte pas de l'instruction que ce taux serait en l'espèce sous-évalué, soit au total une somme de 2 570 euros.

4. Les souffrances temporaires endurées par M. D... ont été évaluées par l'expert à 5 sur une échelle allant de 1 à 7. Les premiers juges, qui ont octroyé une somme de 1 500 000 francs CFP (soit environ 12 500 euros), ont fait une insuffisante évaluation de ce préjudice. Au regard, notamment, de la moyenne du barème du CIVEN pour un tel taux de souffrances endurées, il y a lieu de porter l'indemnisation à la somme de 24 000 euros.

5. Le préjudice esthétique temporaire subi par M. D... a été évalué à 2 sur 7 par l'expert. Si le Tribunal a alloué à la requérante la somme de 200 000 francs CFP (environ 1 667 euros), il y a toutefois lieu de porter cette somme, au regard, notamment, du barème du CIVEN, à 2 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices après consolidation :

6. Mme D... ne justifie pas plus en appel qu'en première instance des frais divers dont elle demande l'indemnisation. Par suite, sa demande présentée au titre de ce préjudice doit être rejetée.

7. Le rapport d'expertise mentionne que l'état de santé de M. D... nécessitait l'assistance d'une tierce personne à raison de vingt-quatre heures par jour pendant soixante jours. Il y a donc lieu d'indemniser Mme D... à hauteur de 24 heures par jour pour soixante jours, au taux de 13 euros l'heure, et de porter l'indemnisation à la somme totale de 18 720 euros, au titre de l'assistance d'une tierce personne.

8. Le déficit fonctionnel permanent a été évalué par l'expert à 50% pendant 267 jours, à 75% pendant 127 jours et 95% pendant 60 jours. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en portant l'indemnisation à la somme de 14 405 euros.

9. Le préjudice esthétique permanent a été évalué par l'expert à 5 sur une échelle allant de 1 à 7. Au regard de la moyenne du barème du CIVEN pour un tel préjudice, il y a lieu de porter l'indemnisation à la somme de 24 000 euros.

10. Le préjudice d'agrément a été retenu par l'expert comme devant être évalué à 20% du déficit fonctionnel permanent, en raison de l'impossibilité pour M. D... de pratiquer certaines activités telle que la pêche en mer. Il y a lieu, dans ces circonstances, d'indemniser la requérante conformément aux recommandations de l'expert et de lui accorder, au titre du préjudice d'agrément subi par son père, la somme de 2 881 euros.

S'agissant des préjudices en-dehors de toute consolidation :

11. Le préjudice lié aux pathologies évolutives, qui constitue un préjudice spécifique lié à une évolution possible de la maladie et à la crainte de voir apparaître un autre cancer, doit être indemnisé. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à la requérante au regard, notamment, de la moyenne du barème du CIVEN pour un cancer à mauvais diagnostic, la somme de 9 000 euros.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la somme de 5 598 800 francs CFP que le CIVEN a été condamné à verser à Mme D... par les premiers juges doit être portée à 97 576 euros. Celle-ci est donc fondée à demander la réformation dans cette mesure du jugement attaqué.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

13. Mme D... a droit aux intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées à son profit par le présent arrêt à compter du 24 janvier 2017, date d'introduction de sa requête dirigée contre la décision de rejet du CIVEN du 16 novembre 2016, avec capitalisation à compter du 24 janvier 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme D... d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 5 598 800 francs CPF que l'Etat (CIVEN) a été condamné à verser à Mme D... par le jugement n° 1800443/1900076 du 23 février 2021 du Tribunal administratif de la Polynésie française, est portée à 96 076 (quatre-vingt-seize mille soixante-seize) euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 24 juin 2017. Les intérêts échus à la date du 24 juin 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat (CIVEN) versera à Mme D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN).

Copie en sera adressée à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 18 février 2022, à laquelle siégeaient:

- Mme Heers, présidente de chambre,

- Mme Briançon, présidente assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2022.

La présidente-rapporteure,

M. HEERSL'assesseure la plus ancienne,

C. BRIANÇON

La greffière,

V. BREME

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 21PA01912 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01912
Date de la décision : 11/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01 Responsabilité de la puissance publique. - Réparation. - Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Mireille HEERS
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : CABINET TEISSONNIERE-TOPALOFF-LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-03-11;21pa01912 ?
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