Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une requête, enregistrée le 12 novembre 2018, M. B... A..., représenté par Me Turlan a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 544 154 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant pour lui de la reprise d'activité des ateliers d'outre-mer par la société Groupe Abilis, par voie d'un avenant au contrat conclu avec cette société pour la réalisation d'opérations de confection, de transformation, d'entretien, de réparation et de mise à disposition des effets et des équipements destinés aux militaires.
Par un jugement n° 1820571 du 8 janvier 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 mars 2020, le 16 mars 2021 et le 28 mai 2021, M. A..., représenté par Me Turlan, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 544 154 euros au titre du préjudice qu'il estime avoir subi ;
3°) d'accorder les intérêts légaux sur la somme considérée à compter de la date d'enregistrement de la requête et, le cas échéant, la capitalisation des intérêts ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article L.761 -1 du Code de justice administrative.;
Il soutient que :
- l'Etat a commis une faute en étendant à l'outre-mer sans adaptation aux spécificités du marché de l'outre-mer ni procédure de mise en concurrence le marché conclu le 22 mai 2015 avec la société Abilis, méconnaissant ainsi le principe d'égalité d'accès des candidats à la commande publique, alors que l'avenant notifié le 19 mai 2017 entraîne une modification substantielle du contrat, ce qu'interdit l'article 139 du décret du 25 mars 2016 et, qu'en tout état de cause, il bouleverse l'économie générale du marché ;
- il est recevable et bien fondé à présenter cette demande indemnitaire dans le cadre de la jurisprudence du Conseil d'Etat fixée par l'arrêt du 4 avril 2014, dès lors que la conclusion de cet avenant, dont il n'a eu connaissance qu'a posteriori, l'a privé de la possibilité de se porter candidat au marché et de saisir le juge du référé précontractuel;
- son préjudice commercial correspond à la perte de son bénéfice net sur quatre ans, qui peut être évalué, par référence à celui des années précédentes, à un total de 1 403 777 euros et ses troubles dans ses conditions d'existence et son préjudice moral peuvent être évalués à la somme de 140 377 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 décembre 2020 et le 4 mai 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics, publié par le décret du 1er août 2006 ;
- le décret n°2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Heers, présidente,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- et les observations de Maître Turlan pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ancien maître ouvrier des armées, chargé, jusqu'à la fin de son engagement prévue le 1er janvier 2018, de la confection et de l'entretien des équipements militaires pour les Antilles et la Guyane, fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation du préjudice résultant pour lui des fautes commises, selon lui, par l'Etat en concluant avec la société Groupe Abilis un avenant, notifié le19 mai 2017, qui étendait à l'outre-mer le marché conclu le 22 mai 2015 pour la fourniture des mêmes prestations en métropole.
2. Au soutien de sa demande, M. A... expose que l'Etat a commis des fautes dès lors que le marché initial conclu entre l'Etat et le groupe Abilis ne pouvait être étendu de la sorte sans adaptation aux spécificités du marché de l'outre-mer ni mise en concurrence. Il se prévaut à cet égard de ce que l'avenant notifié le 19 mai 2017 entraînait une modification substantielle du contrat, ce qu'interdisait l'article 139 du décret du 25 mars 2016 et qu'en tout état de cause, cette extension était impossible en application de diverses stipulations contractuelles ou notes émanant des services administratif des armées. Il demande réparation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison des diverses fautes ainsi invoquées.
3. En premier lieu, M. A... ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article 139 du décret du 25 mars 2016 susvisé, qui ne sont pas applicables au marché initial, dont l'avis d'appel à la concurrence a été publié le 18 décembre 2014, soit antérieurement à la date d'entrée en vigueur de ce décret telle que fixée à l'article 188 du même décret, ainsi que l'ont d'ailleurs dit les premiers juges.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 20 du code des marchés publics publié
par le décret du 1er août 2006, applicable en l'espèce : " Sauf sujétions techniques imprévues ne
résultant pas du fait des parties, un avenant ou une décision de poursuivre ne peut bouleverser
l'économie du marché ou de l'accord-cadre, ni en changer l'objet ". Pour les motifs énoncés aux points 4 à 6 du jugement attaqué, et qu'il y a lieu d'adopter dès lors que c'est à bon droit que le tribunal a retenu les données afférentes à l'année 2018 et non aux années précédentes, le moyen tiré de ce que l'avenant en cause bouleversait l'économie générale du marché de sorte qu'une mise en concurrence s'imposait ne peut qu'être écarté. Si M. A... se prévaut en appel de l'extension du marché initial aux tenues et équipements des Régiments de service militaire adapté (RSMA), lesquels concernent essentiellement les jeunes éloignés de l'emploi, cette extension des prestations à un public nouveau, même dépendant d'un autre ministère, celui des Outre-mer, n'a pas pour incidence de modifier l'objet du contrat, qui continue de porter sur la fourniture des mêmes tenues et équipements aux officiers et autres militaires, dont font partie les volontaires des RSMA, visés à l'article 1er du cahier des clauses administratives particulières du marché. Cette extension n'a donc pas bouleversé l'économie du contrat. Par ailleurs, la circonstance invoquée par M. A... que l'annexe 1 de l'avenant précisant les " points SPEC ", les délais moyens d'acheminement, " de transitaire " et de dédouanement impliqueraient de nouvelles contraintes financières ne suffit pas à établir l'existence d'un bouleversement de l'économie générale du contrat initial. La conclusion de l'avenant critiqué n'est donc pas intervenue ne méconnaissance de l'article 20 précité.
5. En troisième lieu, l'article 4.2 du cahier des clauses administratives particulières dispose : " Des permanences sont tenues sur des sites imposés et mis à disposition par l'administration. Les modalités de cette permanence sont décrites aux articles 10 et 11 du CCTP. La liste des lieux de permanence se trouve en annexe 3 du CCTP. En cours d'exécution, les lieux et temps de permanence peuvent évoluer soit sur décision de l'administration soit sur proposition du titulaire à travers le plan de progrès validé par l'administration (...) ". Ces dispositions, qui s'appliquent aux lieux figurant sur la liste qu'elles mentionnent, ne font pas obstacle à une extension de cette liste par avenant.
5. En quatrième lieu, si la " note express " n°02190 du 7 juillet 2015 émanant du service du commissariat aux armées indique qu'il conviendra de passer un marché selon une procédure qui pourrait être rédigée selon le modèle du marché " SPEC " en vigueur au 1er septembre 2015 sur le territoire métropolitain, elle n'impose pas de procéder à un appel d'offres. En tout état de cause, cette note, qui est dépourvue de portée réglementaire, ne peut utilement être invoquée par le requérant, non plus, pour la même raison, que la note en date du 13 novembre 2017 précisant que les RSMA Martinique et Guadeloupe restaient libres de contracter avec le prestataire de leur choix, qui ne pouvait en tout état de cause avoir pour effet de faire obstacle à la conclusion d'un avenant avec la société titulaire du marché initial.
6. Enfin, si M. A... fait valoir que l'avenant ne tenait pas compte des spécificités de l'outre-mer alors qu'il convenait selon lui d'adapter certains critères, il ne donne au soutien de ce moyen aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes. Par suite, ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement, de l'avenant et à l'indemnisation de ses préjudices doivent être rejetées, de même que, par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais de l'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à la ministre des Armées.
Délibéré après l'audience du 18 février 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente de chambre,
- Mme Briançon, présidente assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2022.
La présidente-rapporteure,
M. HEERS L'assesseure la plus ancienne,
C. BRIANÇON
La greffière,
V. BREME
La République mande et ordonne au ministre de l'armée en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA00881