Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Building Investments Group a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 16 septembre 2019 par lequel le maire de Saint-Denis, agissant au nom de l'Etat, a refusé de lui accorder une autorisation de travaux pour l'aménagement d'un centre de formation pour l'Eglise de Scientologie au sein de l'immeuble à usage de bureaux situé 270 avenue du Président Wilson.
Par un jugement n° 1912506 du 14 octobre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a admis l'intervention de l'association Eglise de Scientology et Celebrity Centre du Grand Paris, a annulé l'arrêté du 16 septembre 2019 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la société Building Investments Group en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire enregistrée le 14 décembre 2020 et un mémoire ampliatif enregistré le 18 janvier 2021, la ministre de la transition écologique demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1912506 en date du 14 octobre 2020 ;
2°) de rejeter la demande de la société Building Investments Group.
Elle soutient que :
- le tribunal a insuffisamment motivé son jugement en ne se prononçant pas sur les moyens opposés en défense concernant l'avis défavorable rendu par la sous-commission pour la sécurité contre les risques d'incendie et de panique ;
- les avis défavorables des sous-commission de sécurité et d'accessibilité sont réguliers et fondés ;
- le maire n'était pas tenu de prendre en compte les pièces complémentaires transmises par la société le 6 août 2019 ;
- en estimant que les non-conformités relevées ne pouvaient pas justifier le rejet de la demande d'autorisation de travaux, le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation ;
- le détournement de pouvoir n'est pas établi.
Par des mémoires en défense enregistrés les 21 juin, 1er octobre et 4 novembre 2021, la société civile immobilière Building Investments Group France, représentée par
Me Grand d'Esnon et Me Blanchetier, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour d'enjoindre au maire de délivrer l'autorisation de travaux demandée et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par des mémoires en intervention volontaire enregistrés le 17 février, 2 septembre et 3 novembre 2021, la commune de Saint-Denis, représentée par Me Lherminier, demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 14 octobre 2020 et de rejeter la demande de la société Building Investments Group.
Elle fait valoir que :
- son intervention volontaire est recevable, l'arrêté de refus d'autorisation de travaux en litige ayant été pris par le maire de Saint-Denis au nom de l'Etat et concernant un bien situé sur le territoire communal ;
- l'arrêté contesté n'est pas entaché d'un détournement de pouvoir ;
- les avis rendus par les sous-commissions départementales d'accessibilité et de sécurité ne sont pas entachés d'illégalité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- l'arrêté conjoint du ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, et du ministre du logement et de la ville, en date du 11 septembre 2007, relatif au dossier permettant de vérifier la conformité de travaux de construction, d'aménagement ou de modification d'un établissement recevant du public avec les règles d'accessibilité aux personnes handicapées ;
- l'arrêté conjoint du ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité et du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, en date du 8 décembre 2014, fixant les dispositions prises pour l'application des articles R. 111-19-7 à R. 111-19-11 du code de la construction et de l'habitation et de l'article 14 du décret n° 2006-555 relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public situés dans un cadre bâti existant et des installations existantes ouvertes au public ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Doré, rapporteur,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique,
- et les observations de Me Grand d'Esnon et Me Blanchetier, pour la société Building Investments Group France et de Me Gayet, substituant Me Lherminier, pour la commune de Saint-Denis.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile immobilière Building Investments Group France est propriétaire de l'immeuble de bureaux " Le Séquoia ", situé 270, avenue du Président Wilson à Saint-Denis (93). Afin d'y créer un centre de formation pour l'Eglise de Scientologie en France, elle a sollicité, le 2 octobre 2018, une autorisation de travaux au titre des établissements recevant du public. Après un premier refus par arrêté du 30 janvier 2019, elle a déposé, le 24 mai 2019, une nouvelle demande. Par un arrêté du 16 septembre 2019, le maire de Saint-Denis, agissant au nom de l'Etat, a de nouveau refusé d'accorder à la société Building Investments Group l'autorisation sollicitée. La ministre de la transition écologique fait appel du jugement du 14 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a, à la demande de la société Building Investments Group, annulé cet arrêté.
Sur l'intervention de la commune de Saint-Denis :
2. La commune de Saint-Denis, sur le territoire de laquelle est situé l'immeuble en cause et dont le maire a pris l'arrêté contesté au nom de l'Etat, a intérêt à l'annulation du jugement attaqué qui, pour retenir l'existence d'un détournement de pouvoir, relève notamment l'hostilité des élus de la commune au projet en cause. Dès lors, son intervention au soutien des conclusions d'appel du ministre de la transition écologique est recevable.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
4. Il ressort du jugement attaqué que les premiers juges, estimant que la décision contestée était entachée d'un détournement de pouvoir, l'ont annulée pour ce motif, sans avoir à se prononcer sur les autres moyens invoqués par la société Building Investments Group à l'appui de sa demande. En particulier, contrairement à ce que soutient la ministre de la transition écologique, le tribunal n'a pas estimé que l'avis défavorable rendu le 31 juillet 2011 par la sous-commission pour la sécurité contre les risques incendie et de panique méconnaissait les dispositions législatives ou règlementaires applicables, mais s'est borné à relever un manque de diligence des services de l'Etat dans l'instruction de la demande de la société. A cet égard, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments de fait exposés en défense par le préfet de la Seine-Saint-Denis, ont suffisamment exposé les motifs caractérisant, selon eux, ce manque de diligence. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement ne satisferait pas aux exigences de motivation fixées par les dispositions précitées doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation, alors en vigueur : " Les travaux qui conduisent à la création, l'aménagement ou la modification d'un établissement recevant du public ne peuvent être exécutés qu'après autorisation délivrée par l'autorité administrative qui vérifie leur conformité aux règles prévues aux articles L. 111-7, L. 123-1 et L. 123-2 (...) ". Aux termes de l'article L. 111-7 du même code, alors en vigueur : " L'autorisation ne peut être délivrée que si les travaux projetés sont conformes : a) Aux règles d'accessibilité aux personnes handicapées prescrites, pour la construction ou la création d'un établissement recevant du public, à la sous-section 4 de la présente section ou, pour l'aménagement ou la modification d'un établissement recevant du public existant, à la sous-section 5 de la même section ; b) Aux règles de sécurité prescrites aux articles R. 123-1 à R. 123-21 ".
6. Il résulte des termes de l'arrêté contesté du 16 septembre 2019 que, pour rejeter la demande d'autorisation sollicitée, le maire de Saint-Denis, agissant au nom de l'Etat, s'est fondé sur les avis défavorables rendus par la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, le 31 juillet 2019, et par la sous-commission départementale " accessibilité aux Personnes Handicapées " les 8 août et 5 septembre 2019.
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'avis de la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public émis le 31 juillet 2019, qu'à la suite des éléments nouveaux produits par le pétitionnaire, la commission n'a pas repris les observations formulées dans son précédent avis du 16 janvier 2019. Elle a néanmoins maintenu son avis défavorable en relevant une nouvelle irrégularité tirée de ce que la société Investments Group n'apportait pas " la preuve d'une stabilité au feu 1h des éléments porteurs et un degré CF 1h des planchers ". Il ressort encore des pièces du dossier que, dès le 6 août 2019, la société Building Investments Group a communiqué à l'administration la notice descriptive initiale du bâtiment en cause, dont il ressort que les éléments porteurs ont une stabilité au feu d'une heure et que les planchers sont coupe-feu de degré une heure. Alors que ces éléments ont été reçus par la sous-commission en cause le
19 août 2019, soit près d'un mois avant l'édiction de la décision contestée, le maire s'est fondé sur l'avis du 31 juillet 2019, sans tenir compte de ces nouveaux éléments, ni solliciter un nouvel avis.
8. D'autre part, la sous-commission départementale pour l'accessibilité des personnes handicapées a émis le 8 août 2019 un avis défavorable en relevant l'absence au dossier des informations suivantes : " au rez-de-chaussée, dans la salle polyvalente, les modalités d'accès à l'estrade pour une personne à mobilité réduite ; un descriptif des équipements et du mobilier de l'atrium, avec le cas échéant leurs modalités d'utilisation pour les personnes handicapées (handicaps moteurs, visuels ou autres) ; de façon générale, les modalités de prise en charge des handicaps non moteurs notamment des mal et non-voyants et des mal-entendants ne sont pas précisées (équipements tels que la boucle à induction magnétique, les bornes d'accueil sonorisées et la signalétique) ", alors que les pièces nécessaires avaient été adressées par la société pétitionnaire à l'administration le 31 juillet 2019 et avaient été reçues par la sous-commission départementale pour l'accessibilité des personnes handicapées le 6 août 2019. Cette sous-commission, qui a siégé de nouveau le 5 septembre 2019, a alors abandonné ses observations tirées de l'absence de production de ces pièces. Elle a néanmoins maintenu son avis défavorable en relevant, tout d'abord, que, s'agissant de l'équipement de l'atrium, le projet ne respecterait pas la réglementation en ce qu'" un vide d'au moins 30 cm de profondeur (26 actuellement) doit être prévu sous les pavés tactiles ", et qu' " un espace d'usage de 0,80 m x 1,30 m doit être implanté devant tous les laves mains des sanitaires pour les personnes à mobilité réduite ". Elle a, ensuite, invoqué de nouvelles lacunes du dossier en ce qu'il ne permettrait pas de vérifier les caractéristiques de la porte tambour permettant d'entrer dans le bâtiment et la présence d'une barre d'appui et d'un referme porte dans chaque sanitaire pour personne à mobilité réduite, ni d'identifier les lavabos accessibles aux personnes handicapées dans chaque bloc sanitaire, alors qu'aucune de ces lacunes n'avait été relevée lors des précédents avis rendus sur le dossier de demande d'autorisation de travaux de la société Building Investments Group.
9. Enfin, il ressort des pièces du dossier, notamment de plusieurs articles de presse, que des élus de la commune de Saint-Denis ont manifesté leur hostilité à l'égard du projet en cause et indiqué vouloir empêcher l'Eglise de Scientologie de s'implanter sur le territoire notamment en instruisant avec une vigilance particulière sa demande d'autorisation de travaux. Plus précisément, le maire de Saint-Denis a déclaré que " la scientologie (...) n'est pas la bienvenue à Saint-Denis " (Le Parisien, 11 janvier 2019) et que " la municipalité sera particulièrement attentive au respect de la loi dans l'évolution du bâtiment " (Le Figaro, 11 janvier 2019). Il ressort encore d'un article de Libération publié le 18 avril 2019 que " la direction de l'urbanisme inspecte chaque pièce du dossier à l'affût de la moindre erreur de procédure " et que l'adjoint au maire en charge de l'urbanisme a notamment regretté lors d'une interview sur Europe 1 le
19 avril 2019 ne pas disposer d'outils juridiques pour empêcher l'installation de la scientologie sur le territoire de la commune.
10. Il ressort ainsi des pièces du dossier, qu'en admettant même qu'une partie des réserves émises par les sous-commissions en cause sur le dossier de demande d'autorisation de travaux de la société Building Investments Group étaient fondées, les conditions dans lesquelles ces avis ont été émis et les déclarations des élus de la commune de Saint-Denis dans les médias sont de nature à établir que le maire, qui n'était pas lié par ces avis et aurait pu assortir l'autorisation en cause de prescriptions, a usé des pouvoirs qu'il détenait en vertu des dispositions précitées du code de la construction et de l'habitation pour un objet autre que celui à raison duquel ceux-ci lui étaient conférés. Par suite, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, le détournement de pouvoir allégué est établi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Eu égard au motif d'annulation retenu par la cour, il y a seulement lieu d'enjoindre au maire de Saint-Denis de procéder au réexamen de la demande de la société Building Investments Group dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais de l'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Building Investments Group en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de la commune de Saint-Denis est admise.
Article 2 : La requête de la ministre de la transition écologique est rejetée.
Article 3 : Il est enjoint au maire de Saint-Denis, agissant au nom de l'Etat, de procéder au réexamen de la demande de la société Building Investments Group dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la société Building Investments Group une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 716-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société Building Investments Group est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique, à la société Building Investments Group et à la commune de Saint-Denis.
Copie en sera délivrée au préfet de Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 9 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Gobeill, premier conseiller,
- M. Doré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2021.
Le rapporteur,
F. DORÉLe président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
C. POVSE
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA03940 7