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17/12/2021 | FRANCE | N°21PA02062

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 17 décembre 2021, 21PA02062


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Seine-Saint-Denis sur sa demande d'abrogation de la décision du 22 août 2018 lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, et rejetant sa demande de délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale " et, subsidiairement, d'assignation à résidence.

Par une ordonnance n° 2012450 du 19 février 2021, le président de la 11è

me chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure dev...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Seine-Saint-Denis sur sa demande d'abrogation de la décision du 22 août 2018 lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, et rejetant sa demande de délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale " et, subsidiairement, d'assignation à résidence.

Par une ordonnance n° 2012450 du 19 février 2021, le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 20 avril 2021, le 3 mai 2021 et le

23 novembre 2021, Mme E... D..., représentée par Me Leloup, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2012450 du 19 février 2021 du président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet née le 15 septembre 2020 du silence conservé par le préfet de la Seine-Saint-Denis sur sa demande d'abrogation de la décision du

22 août 2018 lui faisant interdiction de retour sur le territoire français et portant refus implicite de délivrance d'un titre de séjour ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale " dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou de procéder à un nouvel examen de sa situation dans le même délai et avec la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance attaquée qui ne statue que sur la recevabilité de sa demande d'abrogation, est insuffisamment motivée et est entachée d'une omission à statuer sur la demande d'annulation de la décision de rejet de sa demande de carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

- elle porte atteinte au droit à un recours effectif au sens de l'article 13 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision implicite de rejet du préfet est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une défaut d'examen approfondi de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnait les dispositions de l'article L. 313-11 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnait les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnait les dispositions de l'article L. 122-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 3-1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans sont dépourvues de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant rejet de la demande de titre de séjour.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas été produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les observations de Me Leloup, avocate de Mme E... D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... D..., ressortissante marocaine née le 14 juillet 1986, entrée en France le 25 décembre 2009 sous couvert d'un visa de long séjour et titulaire d'un titre de séjour en qualité de conjoint de français jusqu'au 17 décembre 2010, a fait l'objet le

13 juillet 2011 d'un arrêté portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français par le préfet du Val d'Oise. Le 27 octobre 2016, elle a sollicité auprès du préfet de la Seine-Saint-Denis son admission exceptionnelle au séjour au titre de sa vie privée et familiale sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, ou à défaut, la délivrance d'un titre de séjour en qualité de salariée sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-marocain du

9 octobre 1987. Par un arrêté du 22 août 2018, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Le recours formé par Mme E... D... contre ces décisions a été rejeté par un jugement définitif du tribunal administratif de Montreuil du 22 novembre 2018. Par courrier du 8 juillet 2020 réceptionné le 15 juillet suivant, Mme E... D... a sollicité auprès du préfet de la Seine-Saint-Denis l'abrogation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français contenue dans l'arrêté du 22 août 2018 ainsi que la délivrance d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale " sur le fondement des articles L. 313-11 6° et L. 313-14, L. 121-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas répondu à sa demande. Mme E... D... relève appel de l'ordonnance du 19 février 2021 par laquelle le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions implicites de rejet.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " (...) III. ' L'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. (....) L'interdiction de retour et sa durée sont décidées par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction de retour. Lorsque l'étranger sollicite l'abrogation de l'interdiction de retour, sa demande n'est recevable que s'il justifie résider hors de France. (....) ".

4. Pour rejeter la demande de Mme E... D... sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a estimé que l'ensemble des conclusions présentées par la requérante, y compris celles tendant à la délivrance d'un titre de séjour, étaient irrecevables, après avoir constaté que la condition tenant à ce que Mme E... D... réside hors de France, à laquelle est subordonnée la recevabilité de la demande d'abrogation de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français, n'était pas remplie dès lors qu'il est constant que l'intéressée n'a jamais quitté la France.

5. S'agissant de la délivrance des titres de séjour, il appartient au législateur, sous réserve des conventions internationales, de déterminer les conditions dans lesquelles les étrangers sont autorisés à séjourner sur le territoire national. Toutefois, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile régissant la délivrance des titres de séjour n'imposent pas au préfet, sauf disposition spéciale contraire, de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui ne remplit pas les conditions auxquelles est subordonné le droit d'obtenir ce titre ; notamment, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions de ce code, le préfet peut exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui appartient, dès lors qu'aucune disposition expresse ne le lui interdit, de régulariser la situation d'un étranger en lui délivrant le titre qu'il demande ou un autre titre, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle, dont il justifierait.

6. Ainsi que rappelé au point 1 du présent arrêt, par un arrêté du 22 août 2018, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé à Mme E... D... la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans.

7. Toutefois, s'il est constant que Mme E... D... s'est maintenue sur le territoire français et n'a pas exécuté la décision d'éloignement, le préfet de la Seine-Saint-Denis, également saisi d'une demande d'admission au séjour de l'intéressée, avait la faculté, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de régularisation, de lui délivrer, compte tenu de l'ensemble de sa situation personnelle, le titre qu'elle avait sollicité. Ainsi, le préfet de la Seine-Saint-Denis ne se trouvait pas, en tout état de cause, en situation de compétence liée pour rejeter la demande de l'intéressée.

8. Il suit de là que c'est à tort que le premier juge a rejeté comme irrecevables les conclusions présentées par Mme E... D... à l'encontre de la décision litigieuse portant refus de délivrance d'un titre de séjour, au seul motif que l'intéressée n'avait pas quitté la France. Dès lors, l'ordonnance du président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil du

19 février 2021 est entachée d'omission à statuer et doit être annulée en tant qu'elle rejette comme irrecevables ces conclusions, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen d'irrégularité invoqué.

9. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur le rejet implicite de la demande de titre de séjour de Mme E... D... présentée devant le tribunal administratif de Montreuil.

Sur la décision implicite de refus de titre de séjour :

10. Aux termes de l'article R. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Le silence gardé par l'administration sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet ". Aux termes de l'article R. 311-12-1 du même code alors en vigueur : " La décision implicite mentionnée à l'article R. 311-12 naît au terme d'un délai de quatre mois ".

11. Ainsi qu'il a été dit au point 1, il ressort des pièces du dossier que

Mme E... D... a déposé par lettre du 8 juillet 2020 reçue en préfecture le 15 suivant, une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 313-11 6°, L-313-14 et L. 121-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Par son silence gardé pendant quatre mois sur cette nouvelle demande, le préfet de la Seine-Saint-Denis a implicitement rejeté, le 15 novembre 2020 - et non le 15 septembre comme soutenu par l'intéressée, la demande de titre de séjour de Mme E... D.... Il en résulte que tant le courrier portant demande de motifs reçu en préfecture le 12 novembre 2020 que la saisine du tribunal administratif de Montreuil ont été introduits avant l'intervention de cette décision. Pour autant, une régularisation est intervenue en cours d'instance.

12. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ".

13. Mme E... D... verse au dossier une copie intégrale de l'acte de naissance de l'enfant José D... né le 8 juin 2019 à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), dont le père déclaré est M. C... D..., ressortissant portugais, né lui-même en France le 15 février 1973, que Mme E... D... a épousé le 10 août 2019. Pour être ainsi né en France, d'un père lui-même né en France, l'enfant est français depuis sa naissance conformément aux dispositions de l'article 19-3 du code civil, en conséquence de quoi, à la date de la décision attaquée, Mme E... D... était la mère d'un enfant français. La requérante soutient sans être contredite par le préfet et établit que la communauté de vie avec son époux et père de son fils n'a pas cessé, de sorte que chacun des parents doit être regardé comme contribuant à l'entretien et l'éducation de l'enfant. Il s'en suit que Mme E... D... est fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 6°, le préfet de la Seine-Saint-Denis a commis une erreur d'appréciation.

14. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme E... D... est fondée à demander l'annulation de la décision du 15 novembre 2020 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a implicitement rejeté sa demande de titre de séjour.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. Le présent arrêt implique nécessairement, conformément aux dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, sous réserve de toute modification de fait ou de droit, qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à Mme E... D... une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans un délai qu'il convient de fixer à deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme E... D... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 2012450 du 19 février 2021 du président de la 11ème chambre du tribunal administratif de Montreuil est annulée en tant qu'elle rejette comme irrecevables les conclusions de Mme E... D... tendant à l'annulation de la décision implicite portant refus de délivrance d'un titre de séjour.

Article 2 : La décision née le 15 novembre 2020 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a implicitement rejeté la demande de titre de séjour présentée par Mme E... D... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à Mme E... D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à Mme E... D... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête et de la demande de Mme E... D... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... D..., au préfet de la Seine-Saint-Denis et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience publique du 9 décembre 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,

- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2021.

La rapporteure,

M-D. A...Le président,

I. Luben

La greffière,

N. Dahmani

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 21PA02062

3


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA02062
Date de la décision : 17/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : LELOUP

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-12-17;21pa02062 ?
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