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24/11/2021 | FRANCE | N°20PA01984

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 24 novembre 2021, 20PA01984


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise individuelle Berthold Kindler (BK Photo), a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la restitution de la somme de 573 679 euros assortie des intérêts moratoires correspondant à des crédits de taxe sur la valeur ajoutée au titre des périodes du 1er au 31 octobre 2012 et du 1er au 30 novembre 2012.

Par un jugement n° 1814660/1-2 du 7 juillet 2020, le Tribunal administratif de Paris a accordé à l'entreprise individuelle BK Photo le remboursement d'un crédit de taxe sur la

valeur ajoutée déductible d'un montant de 175 612,12 euros, mis à la charge de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise individuelle Berthold Kindler (BK Photo), a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la restitution de la somme de 573 679 euros assortie des intérêts moratoires correspondant à des crédits de taxe sur la valeur ajoutée au titre des périodes du 1er au 31 octobre 2012 et du 1er au 30 novembre 2012.

Par un jugement n° 1814660/1-2 du 7 juillet 2020, le Tribunal administratif de Paris a accordé à l'entreprise individuelle BK Photo le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible d'un montant de 175 612,12 euros, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de cette demande.

Procédure devant la Cour :

I - Par un recours et un mémoire enregistrés les 30 juillet et 29 octobre 2020 sous le n° 20PA01984, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour d'annuler les articles 1er et 2 du jugement rendu le 7 juillet 2020 par le Tribunal administratif de Paris et, dans le dernier état de ses écritures, de remettre à la charge de l'entreprise individuelle Berthold Kindler la taxe sur la valeur ajoutée dont le remboursement lui a été accordé au titre des mois d'octobre et novembre 2012, à concurrence respectivement de 2 431 euros et

8 970,62 euros.

Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- les conclusions de l'entreprise Berthold Kindler n'étaient recevables qu'en tant qu'elles concernent la somme de 332 234 euros dont la restitution est sollicitée au titre du mois de novembre 2012 ; c'est donc à tort que le tribunal lui a accordé le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures FED Express pour un montant de 2 431 euros au titre du mois d'octobre 2012 ;

- la taxe déductible au titre des factures émises par la SARL Rinati ne s'élève qu'à 160 663,11 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés les 25 septembre et 18 décembre 2020, l'entreprise individuelle Berthold Kindler, représentée par Me Vincent Schmitt, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle demande en outre à la Cour de prononcer la restitution de la somme de 39 468 euros correspondant aux demandes de remboursement de crédit de TVA déposées au titre des mois de janvier et juillet 2012 ainsi que la restitution de la somme de 88 852 euros correspondant aux demandes de remboursement de crédit de TVA déposées au titre des mois de février, novembre et décembre 2010.

Elle soutient que :

- l'administration n'a pas statué sur les sommes relatives au mois de janvier et février 2012, ainsi que février, novembre et décembre 2010 ;

- les moyens soulevés par le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 14 décembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 11 janvier 2021.

II - Par une requête et des mémoires enregistrés les 31 juillet, 9 novembre, 11 décembre et 18 décembre 2020 sous le n° 20PA02024, l'entreprise individuelle Berthold Kindler (BK Photo), représentée par Me Vincent Schmitt, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 3 du jugement du Tribunal administratif de Paris du

7 juillet 2020 ;

2°) de prononcer la restitution des sommes restant en litige pour un montant global de 398 066,88 euros au titre des mois d'octobre et novembre 2012 ;

3°) de prononcer la restitution de la somme de 39 468 euros correspondant aux demandes de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée déposées au titre des mois de janvier et juillet 2012 ;

4°) de prononcer la restitution de la somme de 88 852 euros correspondant aux demandes de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée déposées au titre des mois de février, novembre et décembre 2010 ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande relative au mois d'octobre 2012 est recevable, la somme demandée de 241 445 euros ne faisant pas partie des 261 728 euros déjà remboursés ;

- elle relevait des dispositions combinées des articles 271, IV du code général des impôts et 242-0 A et C de l'annexe II à ce code ;

- les factures ne sont pas fictives dès lors que les transactions sont réelles ; les dispositions de l'article 283-4 et de l'article 272, 2 du code général des impôts ne peuvent lui être opposées ;

- les conditions de l'article 272, 3 de ce code ne sont pas remplies ;

- l'invocation de la fictivité des factures relève de la procédure de répression des abus de droit, qui n'a pas été suivie ;

- la substitution de base légale ne respecte pas les garanties prévues à l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ;

- l'invocation tardive des dispositions de l'article 283-4 est un procédé déloyal qui prive le contribuable des garanties attachées à l'existence d'un débat contradictoire ;

- l'article 283-4 bis est inapplicable car incompatible avec l'article 272, 3 du code général des impôts opposé au contribuable ;

- la preuve de la fraude et de la participation consciente à une fraude n'est pas apportée ;

- elle apporte la preuve contraire ;

- les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ont été méconnues ;

- la Cour a reconnu l'absence de bien-fondé de la prise de position de l'administration ;

- son arrêt est revêtu de l'autorité de la chose jugée ;

- la requête est recevable ;

- l'article 47 de la Charte de l'Union européenne a été méconnu ;

- les premiers juges auraient dû soulever d'office la méconnaissance des règles communautaires ;

- l'administration n'a pas statué sur les sommes relatives au mois de janvier et février 2012, ainsi qu'aux mois de février, novembre et décembre 2010.

Par des mémoires en défense enregistrés les 8 octobre, 24 novembre et 4 décembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions de l'entreprise Berthold Kindler ne sont recevables dans le cadre de la présente requête qu'en tant qu'elles concernent la somme de 159 053 euros dont la restitution est sollicitée au titre du mois de novembre 2012 ;

- les moyens soulevés par l'entreprise individuelle Berthold Kindler ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 14 décembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 11 janvier 2021.

Par des courriers en date du 18 octobre 2021, le président de la 2ème chambre de la Cour a informé les parties, dans le cadre des deux dossiers susvisés, que la décision à intervenir était susceptible d'être fondée sur le moyen d'ordre public tiré de ce que les conclusions de la société Berthold Kindler, en tant qu'elles concernent le crédit de taxe sur la valeur ajoutée relatif aux mois de janvier 2012, février 2012, février 2010, novembre 2010 et décembre 2010, sont nouvelles en appel et ont en outre été présentées après l'expiration du délai d'appel et qu'elles sont par suite irrecevables.

Des mémoires en réponse au moyen d'ordre public ont été déposés le 27 octobre 2021 sous le n°20PA02024 et le 3 novembre 2021 sous le n°20PA01984 pour la société Berthold Kindler. Elle fait valoir que les demandes présentées après l'expiration du délai d'appel s'expliquent par la production d'une pièce par l'administration fiscale et par une nouvelle analyse des pièces du dossier, que les dispositions de l'article L 199 C du livre des procédures fiscales autorisent l'invocation de moyens nouveaux jusqu'à la clôture de l'instruction, que l'arrêt n°17PA02356 de la Cour administrative de Paris du 27 septembre 2018 a l'autorité de la chose jugée et qu'il convient d'en ordonner l'exécution.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Magnard,

- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,

- et les observations de Me Schmitt, représentant l'entreprise individuelle Berthold Kindler.

Considérant ce qui suit :

1. L'entreprise individuelle Berthold Kindler, qui exerce une activité de commercialisation, revente, import-export, location de matériels photographiques, informatiques, électroniques et PAO, a présenté les 2 novembre et 13 décembre 2012 des demandes de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée au titre des mois d'octobre et novembre 2012 pour des montants respectifs de 241 445 euros et 332 234 euros. Du silence gardé par l'administration est née une décision de rejet de ces demandes. Sous le n° 20PA01984, le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel du jugement du 7 juillet 2020 en tant que le Tribunal administratif de Paris a accordé à l'entreprise individuelle Berthold Kindler un remboursement de ce crédit de taxe sur la valeur ajoutée qu'il estime excessif. Pour sa part, sous le n° 20PA02024, l'entreprise individuelle Berthold Kindler conteste ledit jugement en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à sa demande. La requête de l'entreprise individuelle Berthold Kindler et le recours du ministre étant dirigés contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La non-conformité d'une imposition avec le droit communautaire n'étant pas d'ordre public, les premiers juges n'ont entaché leur jugement d'aucune irrégularité en n'examinant pas d'office le moyen tiré de la méconnaissance du droit communautaire et notamment de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dans l'administration de la preuve de la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée et de la participation consciente de la requérante dans le circuit de fraude.

Sur la recevabilité des conclusions de la société Berthold Kindler en tant qu'elles concernent les crédits de taxe sur la valeur ajoutée relatifs aux mois de janvier 2012, février 2012, février 2010, novembre 2010 et décembre 2010 :

3. Les conclusions susmentionnées sont nouvelles en appel et ont en outre été présentées après l'expiration du délai d'appel. Elles sont par suite irrecevables, sans que la société Berthold Kindler puisse utilement faire valoir que les demandes présentées après l'expiration du délai d'appel s'expliquent par la production d'une pièce par l'administration fiscale ou par une nouvelle analyse des pièces du dossier et que les dispositions de l'article

L. 199 C du livre des procédures fiscales autorisent l'invocation de moyens nouveaux jusqu'à la clôture de l'instruction. L'autorité de la chose jugée qui procède de l'arrêt n°17PA02356 du

27 septembre 2018 par lequel la présente Cour a prononcé la décharge, pour irrégularité de la procédure de rehaussement, des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée réclamés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 octobre 2012 et des pénalités correspondantes n'est pas de nature à rendre recevables les conclusions nouvelles en appel et tendant au remboursement des crédits de taxe ici en cause. Les développements relatifs à l'exécution de l'arrêt susmentionné sont par suite et en tout état de cause dépourvus de portée.

Sur la recevabilité des conclusions de la requête enregistrée sous le n° 20PA02024 en ce qu'elles concernent le crédit de taxe sur la valeur ajoutée relatif au mois d'octobre 2012 :

4. Le ministre fait valoir que la demande de remboursement présentée en novembre 2012 et relative au mois d'octobre 2012 pour un montant de 241 445 euros a été entièrement satisfaite par le remboursement, le 8 mars 2019, de la somme de 267 728 euros. Il résulte de l'instruction que si ce montant de 267 728 euros correspondait au crédit de taxe sur la valeur ajoutée initialement annulé par le service dans le cadre du redressement dont avait fait l'objet la société requérante au titre de la période courant de janvier à octobre 2012, il intégrait nécessairement, compte tenu des montants de crédit de taxe déjà remboursés à l'intéressée au cours de la période, la somme de 241 445 euros réclamée par la société au titre du mois d'octobre 2012. La circonstance que la proposition de rectification du 8 novembre 2013 fasse état d'un refus antérieur de remboursement de ce crédit de taxe est à cet égard sans incidence. Il en est de même du fait que cette proposition de rectification serait erronée en tant qu'elle intègre le crédit de 26 283 euros relatif au mois d'août 2012 dans la somme de 267 728 euros. Le certificat administratif produit par la société elle-même et faisant état du remboursement de la somme de 267 728 euros indique d'ailleurs clairement qu'il est relatif au mois d'octobre 2012, et ni la circonstance qu'il intègrerait par erreur la somme demandée au titre du mois d'août 2012, ni la circonstance que la demande de remboursement portant sur la somme de 241 445 euros aurait donné lieu à l'émission de documents de la part du service faisant état d'une instruction distincte de celle procédant du redressement annulé, ne sauraient ouvrir droit à un remboursement supplémentaire au titre du mois d'octobre 2012, la société ne faisant état d'aucun élément permettant de considérer que la somme de 241 445 euros procéderait de factures distinctes de celles permettant de constater un crédit de taxe de 267 728 euros. Il suit de là que le montant de 267 728 euros remboursé par le service à la suite de l'invalidation par le juge de l'impôt du rehaussement en cause incluait la somme de 241 445 euros dont le remboursement est demandé au titre du mois d'octobre 2012. Les conclusions relatives au crédit de taxe sur la valeur ajoutée présentées en appel au titre du mois d'octobre 2012 sont ainsi dépourvues d'objet et par suite irrecevables.

Sur les conclusions de la requête de l'entreprise Berthold Kindler enregistrée sous le n° 20PA02024 en ce qu'elles concernent le crédit de taxe sur la valeur ajoutée relatif au mois de novembre 2012 :

5. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) / IV - La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat " et aux termes de l'article 272 du même code : " 3. La taxe sur la valeur ajoutée afférente à une livraison de biens ou à une prestation de services ne peut faire l'objet d'aucune déduction lorsqu'il est démontré que l'acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due à raison de cette livraison ou de cette prestation ". Il résulte des dispositions de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, reprises en substance à l'article 168 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et dont les dispositions du I et du a) du 1 du II de l'article 271 du code général des impôt précitées assurent la transposition, que le bénéfice du droit à déduction de taxe doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l'opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d'une chaîne de livraisons ou de prestations, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par son arrêt du 18 décembre 2014, Staatssecretaris van Financiën c/ Schoenimport " Italmoda " Mariano Previti vof et Turbu.com BV, Turbu.com Mobile Phone's BV (C-131/13, 163/13 et 164/13).

6. Si les opérateurs qui prennent toute mesure pouvant raisonnablement être exigée d'eux pour s'assurer que leurs opérations ne sont pas impliquées dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ne doivent pas perdre leur droit à déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont, en revanche, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, doit être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment de la question de savoir s'il tire ou non un bénéfice de la revente des biens, dès lors que, dans une telle situation, il devient complice de la fraude, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 6 juillet 2006, Axel Kittel et Recolta Recycling SRPL (C-439/04 et C-440/04).

7. Si l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard, un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 21 juin 2012, Mahagében kft (C-80/11). Lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens de s'assurer qu'en ce qui les concerne, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations.

8. Enfin, il incombe à l'administration fiscale d'établir les éléments objectifs permettant de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Lorsque sont en cause des opérations similaires réalisées par des sociétés différentes pendant une courte période, ces éléments doivent porter sur chacune de ces sociétés, qu'il s'agisse de l'existence de la fraude reprochée, des indices permettant à l'assujetti mis en cause de la soupçonner ou encore des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées.

9. Pour établir que les sociétés Abbache et Famedia, auprès desquelles la société requérante a procédé aux acquisitions au titre desquelles elle a bénéficié des droits à déduction en litige, s'étaient livrées à une fraude à la taxe à la valeur ajoutée, l'administration se borne à produire les propositions de rectification adressées à ces deux sociétés ainsi qu'à l'entreprise requérante. Aucun autre document à cet effet n'a été produit devant la Cour, malgré la mesure supplémentaire d'instruction mise en œuvre, par laquelle il était demandé à l'administration de produire l'ensemble des pièces en sa possession permettant, s'agissant de chacun des fournisseurs restant en cause, d'établir l'existence de la fraude et la participation consciente de la société requérante au processus frauduleux, y compris les documents obtenus de tiers et notamment ceux contenant les éléments d'information recueillis lors des vérifications de comptabilité desdits fournisseurs. Si les dispositions législatives protégeant le secret professionnel, comme celles que prévoit l'article L. 103 du livre des procédures fiscales, peuvent faire obstacle à la communication par l'administration à un contribuable de renseignements concernant un tiers, sans le consentement de celui-ci ou de toute personne habilitée à cet effet, une telle règle ne saurait dispenser l'administration d'apporter les preuves qui lui incombent, et de produire les documents fondant le redressement, le cas échéant après occultation des informations couvertes par le secret professionnel. Il suit de là que la réalité du circuit de fraude dont se prévaut le ministre ne saurait être regardée comme établie par la seule production des propositions de rectification. La société Berthold Kindler est par suite fondée à se prévaloir, au titre du mois de novembre 2012, d'un montant de taxe sur la valeur ajoutée déductible de 159 053 euros.

Sur les conclusions du ministre de l'économie, des finances et de la relance enregistrées sous le n° 20PA01984 :

En ce qui concerne le crédit de taxe sur la valeur ajoutée afférent au mois d'octobre 2012 :

10. Le ministre fait valoir que la demande de remboursement présentée en novembre 2012 et relative au mois d'octobre 2012 pour un montant de 241 445 euros a été entièrement satisfaite par le remboursement, le 8 mars 2019, de la somme de 267 728 euros, et que par suite, la demande, satisfaite par les premiers juges et relative à ce même mois, de remboursement d'un montant de 2 431 euros était dépourvue d'objet. Pour les mêmes motifs qu'indiqués au point 4., le montant de 267 728 euros remboursé par l'administration à la suite de l'invalidation par le juge de l'impôt du rehaussement en cause doit être regardé comme incluant la somme de 241 445 euros dont le remboursement était demandé au titre du mois d'octobre 2012. Ce remboursement privait d'objet la demande afférente au remboursement de la somme de 2 431 euros satisfaite par les premiers juges. Le ministre est par suite fondé à soutenir que les premiers juges ne pouvaient ordonner ce remboursement.

En ce qui concerne le crédit de taxe sur la valeur ajoutée afférent au mois de novembre 2012 :

11. Il est constant que la taxe déductible afférente aux factures émises par la société Rinati pour le mois de novembre 2012 s'élève à la somme de 160 663,11 euros et non à la somme de 169 633,73 retenue par les premiers juges. La somme de 332 234 euros demandée par la société au titre du mois de novembre 2012 était donc excessive à hauteur de la différence entre ces deux sommes, soit 8 970 euros, et doit, en conséquence, être ramenée à 323 264 euros. Il y a par suite lieu de diminuer à hauteur de 8 970 euros, le remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée qu'il convient d'accorder au titre du mois en cause.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accordé le remboursement des sommes de 2 431 euros et 8 970 euros au titre, respectivement, des mois d'octobre et novembre 2012. Pour sa part, l'entreprise individuelle Berthold Kindler est seulement fondée, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête présentés à l'appui de ses conclusions, à contester le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande tendant au remboursement du crédit de taxe dont elle se prévaut au titre du mois de novembre 2012 à hauteur de 159 053 euros à raison de la taxe déductible figurant sur les factures Abbache et Famedia. Il suit de là que doit être accordé à cette société un remboursement complémentaire de 147 652 euros (soit 159 053 - 2 431 - 8 970) venant s'ajouter à la somme de 175 612 euros accordée par le tribunal, soit un montant total de remboursement de 323 264 euros au titre du mois de novembre 2012. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Il est accordé à la société Berthold Kindler un remboursement complémentaire de 147 652 (159 053 - 2 431 - 8 970) euros.

Article 2 : Le jugement n° 1814660/1-2 du 7 juillet 2020 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à l'entreprise individuelle Berthold Kindler une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de l'entreprise individuelle Berthold Kindler et du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise individuelle Berthold Kindler (BK Photo) et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Platillero, président assesseur,

- M. Magnard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2021.

Le rapporteur,

F. MAGNARDLe président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°s 20PA01984, 20PA02024


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA01984
Date de la décision : 24/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: M. Franck MAGNARD
Rapporteur public ?: Mme JIMENEZ
Avocat(s) : SELAS DE GAULLE FLEURANCE ET ASSOCIES;SELAS DE GAULLE FLEURANCE ET ASSOCIES;SELAS DE GAULLE FLEURANCE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-11-24;20pa01984 ?
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