Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 10 juin 2020 par lequel le préfet de police a refusé de lui octroyer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite.
Par un jugement n° 2010500/5-3 du 27 janvier 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 16 février 2021, Mme A..., représentée par Me Ehueni, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2010500/5-3 du 27 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 juin 2020 du préfet de police ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 juin 2020 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de police, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 6°de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et dans cette attente, de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :
- elle est entachée d'un vice de procédure tiré du défaut de saisine de la commission du titre de séjour ;
- le préfet de police a commis une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 311-11 6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale, en conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle méconnait les dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2021, le préfet de police, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Renaudin a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Il est constant que Mme A..., ressortissante ivoirienne, est entrée en France le 8 juin 2017 sous couvert d'un visa. Elle a donné naissance à sa fille C... le 28 décembre 2017 à Paris, et a sollicité en décembre 2019 un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 6°de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en qualité de mère d'un enfant français. Par un arrêté en date du 10 juin 2020, le préfet de police a rejeté sa demande au motif que la reconnaissance de paternité de l'enfant C... par un ressortissant français présentait un caractère frauduleux, et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant son pays de destination. Mme A... fait appel du jugement du 27 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; (...) ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Pour refuser à Mme A... un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, le préfet de police a considéré qu'il existait un faisceau d'éléments caractérisant une fraude en vue de l'obtention du titre de séjour, en retenant que Mme A... était enceinte lors de son entrée en France, qu'elle ne démontrait pas avoir entretenu une relation avec le père déclarant avant son entrée en France, à la date de la conception de l'enfant, ni avoir eu une vie commune avec lui antérieurement à la naissance de l'enfant, qu'elle s'était déclarée célibataire, qu'elle n'établissait pas la continuité de sa relation avec ce dernier postérieurement à son entrée en France et enfin que la reconnaissance de paternité avait été faite quatre mois avant la naissance de l'enfant. Toutefois, et alors que la charge de la preuve incombe en l'espèce au préfet de police, ces seuls éléments ne suffisent pas à établir l'absence de relation entre l'appelante et le père déclarant, tandis qu'il ressort des pièces du dossier que ceux-ci ont déclaré une adresse commune rue de Belleville à Paris dès la reconnaissance de l'enfant en août 2017, laquelle était encore valide lors de la délivrance de la carte nationale d'identité de l'enfant en août 2019 et au moins jusqu'en décembre 2019, date à laquelle il ressort des pièces du dossier que la requérante a changé d'adresse, et que sont produites au dossier des factures datées de mars à novembre 2018 attestant de l'achat par le père déclaré de l'enfant de produits de puériculture, ainsi que des photos de lui avec l'enfant. Par suite, les seules circonstances invoquées par le préfet de police ne peuvent suffire à établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité en cause. Dès lors, le préfet de police ne peut être regardé comme apportant la preuve de la fraude ayant motivé sa décision de refus de délivrance d'un titre de séjour en qualité de mère d'un enfant français à Mme A.... De même si la décision contestée mentionne que le Procureur de la République a été saisi, il n'en est pas justifié au dossier par le préfet de police. L'intéressée est fondée à soutenir que la décision du préfet de police du 10 juin 2020 portant refus de délivrance d'un titre de séjour méconnait les dispositions précitées du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Les décisions contenues dans le même arrêté du 10 juin 2020 obligeant Mme A... à quitter le territoire français et fixant le pays de destination doivent être annulées par voie de conséquence de l'annulation de la décision refusant de lui accorder un titre de séjour.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté litigieux lui refusant un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique seulement, en application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, qu'il soit procédé au réexamen de la situation de Mme A.... Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de police de réexaminer la situation de l'intéressée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a, en revanche pas lieu, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2010500/5-3 du 27 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de police du 10 juin 2020 refusant d'octroyer à Mme B... A... un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite, est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par Mme B... A..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'État (ministère de l'intérieur) versera la somme de 1 500 euros à Mme B... A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et au préfet de police.
Délibéré après l'audience publique du 21 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- Mme Renaudin, première conseillère,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2021.
La rapporteure,
M. RENAUDIN Le président,
S. DIÉMERT
La greffière,
Y. HERBER La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA00761 3