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08/10/2021 | FRANCE | N°19PA02710

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 08 octobre 2021, 19PA02710


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société A2EP Géotec et la société Gemco ont demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler le marché de reconnaissance géotechnique pour la reconstruction du pont de Lekiny à Ouvéa passé entre la province des Iles Loyauté et la société Tonkin et Taylor, ou à défaut de le résilier.

Par un jugement no 1900146 du 28 mai 2019, le Tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un

mémoire, enregistrés le 14 août 2019 et le 29 décembre 2019, la société A2EP Géotec, représentée par la Sela...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société A2EP Géotec et la société Gemco ont demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler le marché de reconnaissance géotechnique pour la reconstruction du pont de Lekiny à Ouvéa passé entre la province des Iles Loyauté et la société Tonkin et Taylor, ou à défaut de le résilier.

Par un jugement no 1900146 du 28 mai 2019, le Tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 août 2019 et le 29 décembre 2019, la société A2EP Géotec, représentée par la Selarl Loïc Pieux, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, d'annuler ce marché, et, à titre subsidiaire, de le résilier dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

3°) de condamner la province des Iles Loyauté à lui verser la somme de 300 000 francs CFP en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- la fin de non-recevoir opposée par la province des Iles Loyauté est infondée ;

- la province des Iles Loyauté ne l'a pas informée des motifs du rejet de son offre ni de ses notes et de son classement, ni davantage du nom de l'attributaire, des notes obtenues par lui et des caractéristiques et avantages de son offre, en méconnaissance du principe de transparence inhérent à la commande publique ;

- les premiers juges auraient dû indiquer les motifs de l'inopérance, selon eux, du moyen tiré de ce que la publication de l'avis d'attribution a été postérieure au délai de trente jours prévu par les dispositions de l'article 28-2 de la délibération du 1er mars 1967 susvisée ;

- la publication de l'avis d'attribution du marché n'est intervenue que six mois environ après la notification du marché, en méconnaissance de l'article 28-2 de la délibération précitée ;

- la province des Iles Loyauté a refusé de lui apporter l'information appropriée sur les critères de sélection, leur pondération et leur articulation, ainsi que sur les modalités de calcul de la notation, en méconnaissance du même principe de transparence et de l'article 27-2 de la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 portant réglementation des marchés publics ; ainsi l'opacité des critères techniques, financiers et humains retenus par la province des Iles Loyauté ne permet pas d'appréhender le taux de pondération appliqué ayant pu aboutir à retenir une offre dont le prix était supérieur de 57% à la sienne ;

- le pouvoir adjudicateur a refusé de lui communiquer l'Analyse Marché Travaux (AMT), en méconnaissance de la délibération précitée ;

- l'absence de communication de l'ensemble de ces éléments est en lien avec son éviction et l'empêche de pouvoir démontrer que son offre était la plus avantageuse pour la collectivité ;

- la décision de notation est irrégulière en ce qu'elle concerne le critère du délai dès lors que, d'une part, elle a proposé un meilleur délai que la société néo-zélandaise Tonkin et Taylor et que, d'autre part, le pouvoir adjudicateur, qui a fait application d'une condition non prévue dans les documents contractuels relative à la disponibilité de la barge, lui a attribué la note 0 sur 20 sans la consulter pour lui permettre de faire évoluer son offre sur ce point ;

- la procédure de jugement des offres est en outre entachée d'une rupture d'égalité de traitement des candidats dès lors que le pouvoir adjudicateur a permis à l'entreprise attributaire de modifier son prix trop élevé alors qu'elle-même n'a pas été consultée sur le critère du délai au regard duquel son offre n'a pas été estimée recevable ;

- le pouvoir adjudicateur, qui a mal apprécié la signification du critère délai, lequel correspond au délai de réalisation des prestations et non au délai de récupération du matériel, a, en conséquence, utilisé une méthode de notation erronée qui a favorisé la société Tonkin et Taylor et l'a empêchée de remporter le marché ;

- les avantages octroyés à la société Tonkin et Taylor étaient destinés à combler son manque d'expérience des usages et de la réglementation relatifs aux études géotechniques en Nouvelle-Calédonie ;

- la province des Iles Loyauté a usé de manœuvres diverses pour permettre à la société Tonkin et Taylor, qui ne disposait pas du matériel nécessaire à la mesure des paramètres du forage, de remporter le marché ;

- l'analyse des offres n'a pas été impartiale dès lors que le maître d'œuvre qui l'a réalisée est étroitement lié, familialement, à la société Etra, sous-traitant de la société Tonkin et Taylor ;

- la procédure de présentation des offres est irrégulière dès lors que la société Tonkin et Taylor, d'une part, ne possédait pas d'assurance, en méconnaissance des documents contractuels et, d'autre part, a déclaré qu'elle ne pourrait s'occuper des missions " géomètres ", sans déclarer de sous-traitant à ce titre ;

- la procédure de présentation des offres est irrégulière en ce que la visite des lieux n'a pas eu lieu dans le cadre de la seconde consultation ;

- la procédure de présentation des offres est irrégulière en ce que, d'une part, la barge utilisée par l'entreprise attributaire n'est pas conforme à la législation en vigueur en

Nouvelle-Calédonie et, d'autre part, en ce que cette entreprise n'a pas fourni, en méconnaissance du règlement particulier de l'appel d'offres, une attestation sur l'honneur indiquant qu'elle était, ainsi que ses sous-traitants, en règle au regard de ses obligations fiscales et sociales ;

- il résulte de l'arrêté du président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie du

27 août 2018, autorisant les employés de la société Tonkin et Taylor à travailler sur le territoire du 3 au 29 septembre 2018, que la société a été autorisée à exercer en Nouvelle-Calédonie avant que le marché ne lui ait été notifié ;

- en faisant intervenir dans les eaux territoriales calédoniennes une barge étrangère sans justifier d'un arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en conseil privé l'autorisant à déroger au principe de monopole du pavillon national, la société Tonkin et Taylor a méconnu les articles 1 et 2 du décret du 29 octobre 1913 réservant, sauf certaines exceptions, au pavillon français la navigation de port en port en Nouvelle-Calédonie et ses dépendances ;

- le marché est entaché d'irrégularités d'une particulière gravité qui ne peuvent être régularisées et sont de nature à entraîner son annulation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2019, la province des Iles Loyauté, représentée par Me Pidjot-Allard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 400 000 francs CFP soit mise à la charge de la société A2EP Géotec au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions à fin d'annulation ou de résiliation du marché sont irrecevables dès lors qu'il concerne des prestations intellectuelles qui ne peuvent être, le cas échéant, restituées ; l'annulation du marché porterait ainsi une atteinte excessive à l'intérêt général et aux finances publiques ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 2 septembre 2020, la société Tonkin et Taylor International Ltd, représentée par Me Reuter, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 400 000 francs CFP soit mise à la charge de la société A2EP Géotec au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions à fin d'annulation ou de résiliation du marché sont irrecevables dès lors que les décisions juridictionnelles qui y feraient droit porteraient une atteinte excessive à l'intérêt général ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999, relatives à la Nouvelle-Calédonie ;

- la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 portant réglementation des marchés publics ;

- le décret du 29 octobre 1913 réservant, sauf certaines exceptions, au pavillon français la navigation de port en port en Nouvelle-Calédonie et dépendances ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mantz,

- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La province des Iles Loyauté a lancé un appel public à la concurrence, par avis publié le 3 mai 2018, pour l'attribution d'un marché portant sur la réalisation d'études géotechniques pour le nouveau pont de Lékiny-Ouvéa. Trois entreprises se sont portées candidates dont la société A2EP Géotec et la société Tonkin et Taylor. A la suite d'une première lecture de la commission d'appel d'offres, dans sa séance du 20 juin 2018, le pouvoir adjudicateur a déclaré l'appel d'offres infructueux et les entreprises ont été admises à négocier les termes de leur offre avec le maître d'œuvre, pendant une durée de deux semaines. A la suite d'une deuxième lecture de la commission d'appel d'offres en date du 19 juillet 2018, le marché a été attribué à la société Tonkin et Taylor, pour un montant de 52 167,521 francs CFP TTC. Il a été notifié à la société attributaire le 20 septembre 2018. La société A2EP Géotec, candidat évincé, et la société GEMCO, son sous-traitant, ont saisi le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'une demande tendant à l'annulation ou, à défaut, à la résiliation du marché précité. La société A2EP Géotec relève appel du jugement du 28 mai 2019 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté cette demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En énonçant que " La circonstance que l'avis d'attribution ait été publié postérieurement au délai de trente jours prévu par les dispositions de l'article 28-2 de la délibération du 1er mars 1967 est inopérante ", les premiers juges ont suffisamment motivé leur réponse au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 28-2 de la délibération n° 136/CP du

1er mars 1967, alors même qu'ils n'ont pas exposé les motifs les ayant conduits à cette appréciation, ceux-ci relevant du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini. Toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l'Etat dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l'excès de pouvoir jusqu'à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet.

4. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

5. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par la province des Iles Loyauté et la société Tonkin et Taylor :

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la date de la demande de la société A2EP Géotec devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, le marché avait été entièrement exécuté. Par suite, ses conclusions tendant, à titre subsidiaire, à la résiliation du marché étaient irrecevables.

7. En second lieu, si la province des Iles Loyauté soutient que la demande d'annulation du marché serait irrecevable dès lors qu'une mesure d'annulation porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, en considération du " réseau routier de l'île " et des " finances publiques ", elle n'apporte aucune précision utile de nature à permettre à la Cour d'apprécier la pertinence d'une telle argumentation qui, en tout état de cause, ne peut viser que l'appréciation par le juge de la nécessité de prononcer, après avoir constaté notamment l'existence d'un vice d'une particulière gravité, l'annulation du contrat et non pas la recevabilité des conclusions aux fins d'annulation. Enfin, la circonstance qu'à la date de la demande de la société A2EP Géotec devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, le marché était achevé n'est pas de nature à priver d'objet une mesure d'annulation et ne révèle par elle-même aucune atteinte à l'intérêt général. Ces fins de non-recevoir opposée aux conclusions à fin d'annulation doivent, par suite, être écartées.

En ce qui concerne les vices invoqués par la société A2EP Géotec et leurs conséquences :

8. Aux termes de l'article 28 de la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 portant réglementation des marchés publics : " Dans le cas où plusieurs offres seraient tenues pour équivalentes, tous éléments considérés, la commission de dépouillement pour départager les candidats, peut demander à ceux-ci de présenter de nouvelles offres. Hormis ce cas, la commission ne peut discuter avec les candidats que pour leur faire préciser ou compléter la teneur de leurs offres. / Le chef de service intéressé, après décision de l'autorité visée à l'article 4 ci-dessus, avise les soumissionnaires de l'acceptation ou du rejet de leurs offres. / Dans le cas où il n'a pas été donné suite à un appel d'offres, tous les candidats en sont avisés ". Aux termes de l'article 28-2 de la même délibération : " Dans un délai de trente jours à compter de la notification du marché, le représentant légal de la collectivité ou de l'établissement porte à la connaissance du public le nom du titulaire ainsi que le montant du marché par un avis d'attribution publié par voie de presse et/ou diffusé sur son profil acheteur ". Aux termes de l'article 34 de cette délibération : " Les marchés sont dits de "gré à gré" lorsque l'autorité compétente de la collectivité ou de l'établissement public engage sans formalité, les discussions qui lui paraissent utiles et attribue ensuite librement le marché au candidat qu'elle a retenu. L'autorité compétente est tenue de mettre en compétition, par une consultation écrite ou dématérialisée au moins sommaire, les candidats susceptibles d'exécuter un tel marché ". Aux termes de l'article 35 de ladite délibération : " Il ne peut être passé de marché de gré à gré que dans les cas suivants : (...) 9°) - Pour les travaux, fournitures ou services dont la valeur pour le montant total de l'opération, s'établit entre 20.000.000 F CFP et 40.000.000 F CFP, après consultation de la commission prévue à l'article 13-1 (...) La passation d'un marché de gré à gré de... fournitures ou de services d'un montant supérieur à 40 millions est subordonné à l'avis préalable de la commission prévue à l'article 13-1 ". Et aux termes de l'article 13-1 de cette délibération : " Il est institué dans chaque collectivité publique une commission d'appel d'offres (...) ".

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, d'une part, la province des Iles Loyauté a informé la société requérante, par courrier en date du 28 août 2018, du rejet de son offre et que, d'autre part, l'avis d'attribution paru le 22 janvier 2019 dans " Les Nouvelles Calédoniennes " indique le nom du titulaire, la société Tonkin et Taylor International Ltd, ainsi que le montant du marché, à savoir 52 167 522 francs CFP TTC. Dans ces conditions, la société requérante ne peut soutenir que le principe de transparence dans les marchés publics aurait été méconnu. Aucune disposition législative ou réglementaire issue de la délibération du 1er mars 1967, notamment parmi celles susvisées, n'impose en outre la motivation de la décision de rejet de l'offre d'un soumissionnaire, qu'il s'agisse d'une procédure d'appel d'offres ou d'un marché de gré à gré, ni au demeurant la communication du nom de l'attributaire et des notes obtenues par les différents candidats au regard des critères précisés dans le règlement d'appel d'offres.

10. En second lieu, aux termes de l'article 27-2 de la délibération du 1er mars 1967 susvisée : " La commission d'appel d'offres (...) se fonde sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché. / Ces critères peuvent porter notamment sur le prix des prestations, le coût d'utilisation, la valeur technique ou le délai d'exécution. D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché. / Chacun des critères retenus fait l'objet d'une pondération. / Les critères ainsi que leur pondération sont indiqués dans le règlement particulier d'appel d'offres (...) ".

11. Il résulte de l'instruction que les critères de jugement des offres du marché et leur pondération, ainsi que les méthodes et formules de notation des offres, étaient fixés, de manière claire, à l'article 7.1 du règlement particulier de l'appel d'offres du marché, conformément aux dispositions susvisées de l'article 27-2 de la délibération du 1er mars 1967. Par suite, la société A2EP Géotec n'est fondée à soutenir ni qu'elle n'aurait pas reçu l'information appropriée sur les critères de sélection des offres, leur pondération et leur articulation ainsi que sur les modalités de calcul de la notation, ni que le " poids des critères techniques, financiers, humains finalement retenus par la province des Iles Loyauté " serait entaché d'opacité, la seule circonstance que son offre ne représenterait que 57% de celle de la société Tonkin et Taylor en matière de prix, à la supposer établie, n'étant pas pertinente à cet égard.

12. En troisième lieu, la société A2EP Géotec ne saurait utilement se prévaloir de la circonstance que l'avis d'attribution du marché a été publié postérieurement au délai de trente jours prévu par l'article 28-2 de la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967, qui n'est pas en lien direct avec son éviction.

13. En quatrième lieu, si la société A2EP Géotec soutient que la province des Iles Loyauté a refusé de lui communiquer l'Analyse Marché Travaux (AMT), " contrairement aux obligations de publicité prévues par la délibération n° 136/CP ", elle n'apporte au soutien de ce moyen aucune précision utile de manière à permettre à la Cour d'en apprécier le bien-fondé.

14. En cinquième lieu, au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. La société A2EP Géotec soutient que l'analyse des offres est entachée d'irrégularité au regard de ce principe dès lors que la phase de négociation correspondant au marché dit de " gré à gré " a été confiée au maître d'œuvre, la société Gemoce, dont le gérant serait, selon elle, étroitement lié aux gérants, qui seraient de la même famille que lui, de la société Etra, sous-traitant de la société Tonkin et Taylor. Toutefois, la seule circonstance que la société Gemoce et la société Etra soient domiciliées à la même adresse et que leurs gérants portent les mêmes patronymes ne saurait suffire, en l'absence de tout autre élément, à établir que le principe d'impartialité aurait été méconnu.

15. En sixième lieu, la société A2EP Géotec invoque une rupture du principe d'égalité de traitement des candidats dès lors que son offre relative au critère " délai " n'a pas été déclarée recevable par la commission d'appel d'offres sans que le pouvoir adjudicateur l'ait invitée, dans le cadre du marché dit de " gré à gré ", à modifier cette offre, alors que par ailleurs, ce dernier, en réponse à un courriel du 4 juillet 2018 de la société Tonkin et Taylor, aurait invité celle-ci à réajuster son offre relative au critère " prix ". En défense, la province des Iles Loyauté soutient qu'elle ne pouvait solliciter de la société requérante la présentation d'une nouvelle offre sans méconnaître les stipulations susvisées de l'article 28 de la délibération du 1er mars 1967, lesquelles ne prévoient cette possibilité qu'en cas d'offres tenues pour équivalentes, circonstance non vérifiée en l'espèce. Toutefois, il ressort de l'examen de la délibération n° 136/CP du

1er mars 1967 que l'article 28 est applicable à la procédure de marché sur appel d'offres et non à la procédure de marché dit de " gré à gré " qui est prévue à l'article 34, et au regard de laquelle le pouvoir adjudicateur peut librement engager les discussions qui lui paraissent utiles aux fins d'attribuer le marché à l'offre économiquement la plus avantageuse. La province des Iles Loyauté n'est dès lors pas fondée à soutenir qu'elle devait s'abstenir d'inviter la société A2EP Géotec à présenter une nouvelle offre. L'analyse des offres relative à cette procédure de marché dit de " gré à gré " ne saurait toutefois être entachée d'irrégularité pour le motif invoqué dès lors que par courrier du 27 juin 2018, le pouvoir adjudicateur, suivant les préconisations de la commission d'appel d'offres, a suffisamment invité la société requérante à modifier son offre au regard des critères " valeur technique " et " délai ", en lui demandant de fournir " de plus amples précisions " sur son mémoire technique, notamment concernant la justification des délais proposés. En outre et en tout état de cause, la seule circonstance que, par son courriel en réponse à la société Tonkin et Taylor, le pouvoir adjudicateur ait demandé à cette dernière de prendre " les dispositions nécessaires par rapport à (son) offre ", dans le prolongement de la lettre du 27 juin 2018 qu'il lui avait adressée et par laquelle il lui demandait de bien vouloir transmettre " une offre avec des pistes d'économie sur certains postes de dépense ", le pouvoir adjudicateur ne saurait être regardé comme ayant accordé un avantage injustifié à la société Tonkin et Taylor.

16. En septième lieu, la société A2EP Géotec soutient qu'en estimant que son offre était irrecevable au motif qu'elle aurait été conditionnée à la disponibilité de la barge, la province des Iles Loyauté a méconnu la procédure de passation du contrat dès lors qu'elle a fait application d'un critère inexistant dans les documents contractuels. Il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal de dépouillement des offres en deuxième lecture de la commission d'appel d'offres, dans sa séance du 19 juillet 2018, que le tableau de synthèse des offres des trois candidats relativement au critère " délai " comporte une ligne faisant mention d'un " délai contractuel plafond " de trois mois, dont il ressort des observations de la commission accompagnant ce tableau qu'il correspond, d'une part, au délai maximal de réalisation des prestations du marché mais également, d'autre part, au délai maximal suivant directement la date d'attribution du marché dans lequel les prestations devaient être achevées. Sur la base de ce " délai contractuel plafond ", l'offre de la société A2EP Géotec, dont le délai de réalisation des prestations était de 11 semaines, soit moins de trois mois, mais qui ne prévoyait pas une exécution du marché dans les trois mois suivant la date d'attribution de celui-ci en raison de la disponibilité de la barge " Caroce " à compter de février 2019 seulement, a été déclarée non recevable et la société a obtenu la note de 0 sur 20. Toutefois, il ne résulte pas des dispositions de l'article 7.1 du règlement particulier de l'appel d'offres relatives au critère " délai ", particulièrement imprécises et aux termes desquelles " la pondération tiendra compte du délai global proposé et de la qualité du planning et adéquation avec le délai proposé ", qu'un " délai contractuel plafond " de trois mois ait été prévu. Par suite, en opposant à la société A2EP Géotec un tel délai en tant qu'élément d'appréciation de son offre, le pouvoir adjudicateur a fait application d'un critère non prévu par le règlement de la consultation. Ce manquement, qui ne saurait être regardé comme révélant une intention de favoriser la société Tonkin et Taylor, a toutefois été susceptible d'exercer une influence sur la présentation de l'offre de la société A2EP Géotec et, en conséquence, sur son classement final dès lors qu'à l'issue de l'examen des deux autres critères, la société A2EP Géotec comptabilisait 68 points contre 65 seulement pour la société Tonkin et Taylor.

17. En huitième lieu, ainsi qu'il a été dit aux points 15 et 16, le pouvoir adjudicateur ne saurait être regardé comme ayant eu l'intention de favoriser la société Tonkin et Taylor. Par suite, la société A2EP Géotec n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait consenti des avantages à la société attributaire en contrepartie de son manque d'expérience des usages et de la réglementation en Nouvelle-Calédonie, à supposer même celui-ci établi.

18. En neuvième lieu, si la société A2EP Géotec invoque un défaut de visite obligatoire du site prévu par le règlement particulier de l'appel d'offres, il résulte de l'instruction qu'elle a réalisé cette visite des lieux lors de la première consultation. A supposer même qu'une seconde visite ait été obligatoire dans le cadre de la seconde consultation, la société n'établit aucun lien entre ce défaut d'une seconde visite et son éviction.

19. En dixième lieu, si la société A2EP Géotec invoque un défaut de conformité du matériel utilisé par la société Tonkin et Taylor au regard de la règlementation néo-calédonienne, en méconnaissance de l'article 13-2 de la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967, ces dispositions sont sans rapport avec le moyen invoqué. La société n'apporte en outre aucune précision utile sur ce prétendu défaut de conformité, dont elle n'établit pas en tout état de cause qu'il serait en rapport direct avec son éviction.

20. En onzième lieu, la société A2EP Géotec invoque, pour la première fois en appel, un défaut d'assurance de la société Tonkin et Taylor au regard de sa responsabilité civile professionnelle. Il résulte toutefois de l'instruction que le moyen manque en fait, la société attributaire ayant transmis à la province des Iles Loyauté, en date du 29 mai 2018, une attestation d'assurance " responsabilité civile et professionnelle ".

21. En douzième lieu, si la société A2EP Géotec soutient que la société Tonkin et Taylor aurait déclaré ne pas pouvoir prendre en charge elle-même certaines missions sans toutefois déclarer de sous-traitant à ce titre, il résulte de l'instruction que le moyen manque également en fait, la société Tonkin et Taylor ayant, par son acte d'engagement signé par elle le 4 juillet 2018, déclaré deux sous-traitants, les sociétés Coque Service et Etra, et annexé à cet acte les actes spéciaux relatifs à chacun de ces sous-traitants.

22. En treizième lieu, si la société A2EP Géotec invoque un défaut de respect de la part de la société Tonkin et Taylor de l'attestation sur l'honneur indiquant qu'elle est en règle au regard de ses obligations fiscales et sociales, il ressort du procès-verbal de dépouillement des offres de première lecture que la société attributaire a produit cette déclaration. En tout état de cause, la société A2EP Géotec n'explique pas en quoi ce prétendu manquement serait en rapport direct avec son éviction.

23. En quatorzième lieu, la société A2EP Géotec n'établit pas en quoi la circonstance que le président de la Nouvelle-Calédonie a pris un arrêté, en date du 27 août 2018, autorisant des employés de la société Tonkin et Taylor à travailler en Nouvelle-Calédonie entre le 3 septembre et le 14 septembre 2018, période postérieure à la date d'attribution du marché à cette société par le pouvoir adjudicateur, serait en rapport direct avec son éviction.

24. Enfin, aux termes de l'article 1er du décret du 29 octobre 1913 réservant, sauf certaines exceptions, au pavillon français la navigation de port en port en Nouvelle-Calédonie et dépendances : " La navigation d'un port à un autre de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances est réservée au Pavillon national, sauf les exceptions prévues ci-après. ". L'article 2 de ce décret dispose que : " Les navires étrangers de provenance extérieure peuvent être autorisés à se rendre sur différents points de la côte pour y effectuer leurs opérations dans les conditions fixées par arrêté du Gouverneur, en Conseil privé. ".

25. La société A2EP Géotec soutient qu'en faisant intervenir dans les eaux territoriales calédoniennes une barge étrangère sans justifier d'un arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en conseil privé l'autorisant à déroger au principe de monopole du pavillon national, la société Tonkin et Taylor aurait méconnu les dispositions qui précèdent, lesquelles réservent, sauf certaines exceptions, au pavillon français la navigation en Nouvelle-Calédonie. Toutefois, en vertu du 8° de l'article 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999, la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière de navigation entre les ports de son territoire. Dans ce champ, elle est compétente pour décider de faire en faveur d'un navire étranger, en application de l'article 2 du décret du 29 octobre 1913 réservant, sauf certaines exceptions, au pavillon français la navigation de port en port en Nouvelle-Calédonie et dépendances, une exception au monopole institué par l'article 1er de ce décret au bénéfice des navires battant pavillon national. Cette exception n'étant subordonnée à aucune condition particulière, la société Tonkin et Taylor n'était pas tenue de justifier d'un arrêté du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, pris en Conseil privé, aux fins d'installer et, le cas échéant, de faire naviguer sa barge dans les eaux territoriales de la Nouvelle-Calédonie. Il résulte en outre de l'instruction que la direction des affaires maritimes de la Nouvelle-Calédonie a autorisé la société Tonkin et Taylor à installer et exploiter sa barge dans le cadre des prestations du marché et sous condition de respect des exigences réglementaires de son pavillon. Dès lors, le moyen doit être écarté.

26. Il résulte de ce tout ce qui précède que c'est seulement pour le motif mentionné au point 16 que la procédure de passation du marché en cause est entachée d'un manquement, de la part de la province des Iles Loyauté, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction, ainsi qu'il a été également dit, que ce manquement découle d'une volonté de favoriser le candidat attributaire. Dès lors, un tel vice, eu égard à sa portée et aux conditions dans lesquelles il a été commis, et alors qu'il n'affecte ni la licéité du contrat ni les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, n'est pas de nature à entraîner l'annulation du contrat en cause.

27. Il résulte de tout ce qui précède que la société A2EP Géotec n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nouvelle Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation ou, à défaut, et pour le motif mentionné au point 6 du présent arrêt, à la résiliation du marché de reconnaissance géotechnique pour la reconstruction du pont de Lekiny à Ouvéa.

Sur les frais liés au litige :

28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la province des Iles Loyauté, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société A2EP Géotec demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société A2EP Géotec une somme de 1 500 euros à verser à la province des Iles Loyauté ainsi qu'à la société Tonkin et Taylor sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société A2EP Géotec est rejetée.

Article 2 : La société A2EP Géotec versera à la province des Iles Loyauté la somme de mille cinq cents euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La société A2EP Géotec versera à la société Tonkin et Taylor International Ltd la somme de mille cinq cents euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société A2EP Géotec, à la province des Iles Loyauté, à la société Tonkin et Taylor International Ltd et à la société GEMCO.

Copie en sera adressée au Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 24 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- Mme Briançon, présidente assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 octobre 2021

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

M. HEERS La greffière,

S. GASPAR

La République mande et ordonne au ministre des Outre-Mer, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

11

N° 19PA02710


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02710
Date de la décision : 08/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-005 Marchés et contrats administratifs. - Formation des contrats et marchés. - Formalités de publicité et de mise en concurrence.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : SELARL REUTER - DE RAISSAC

Origine de la décision
Date de l'import : 19/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-10-08;19pa02710 ?
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