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07/10/2021 | FRANCE | N°21PA00633

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 07 octobre 2021, 21PA00633


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2020 par lequel la préfète de l'Allier lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel elle sera éloignée et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2009482/4 du 20 juillet 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a

rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 8 févri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2020 par lequel la préfète de l'Allier lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel elle sera éloignée et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2009482/4 du 20 juillet 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 8 février 2021, Mme C..., représentée par

Me Güner, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2009482/4 du 20 juillet 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2020 de la préfète de l'Allier ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

S'agissant de la régularité du jugement :

- il est entaché d'une omission à statuer sur le moyen tiré du caractère disproportionné de la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français ;

- il est insuffisamment motivé s'agissant du moyen tiré de ce que le préfet s'est estimé en situation de compétence liée pour refuser de lui accorder un délai de départ volontaire ;

S'agissant de la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- le préfet n'a pas demandé un avis médical pour s'assurer que son état de santé était compatible avec une mesure d'éloignement ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de la légalité de la décision portant refus de délai de départ volontaire :

- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- elle n'a pas été entendue préalablement à cette décision ;

- cette décision méconnaît les dispositions du III de l'article L.511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la durée de l'interdiction est disproportionnée.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 juin 2021, le préfet de l'Allier conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 9 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Renaudin a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante mauricienne née en octobre 1998, est entrée en France le 15 décembre 2017 sous couvert de son passeport, puis s'y est maintenue irrégulièrement. Par un arrêté du 5 janvier 2020, la préfète de l'Allier lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans. Mme C... fait appel du jugement du 20 juillet 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le jugement attaqué mentionne, en ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, que, eu égard aux circonstances déjà énoncées, la préfète de l'Allier a fait une exacte application des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en faisant interdiction à Mme C... de retourner sur le territoire français et en fixant à deux ans la durée de cette interdiction. Dès lors que les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile laissent une marge d'appréciation à l'autorité administrative pour fixer la durée de l'interdiction de retour en tenant compte d'un certain nombre de critères, en mentionnant que ces dispositions n'avaient pas été méconnues en fixant à deux ans la durée de l'interdiction, contrairement à ce que soutient Mme C..., le jugement a implicitement mais nécessairement répondu au moyen du caractère disproportionné de cette durée qui avait été soulevé. De même s'agissant de cette décision d'interdiction de retour, le jugement attaqué relève, à propos du droit à être entendue soulevé par l'intéressée, que cette dernière, lors de son audition du 5 janvier 2020, a été informée qu'une mesure d'éloignement était susceptible d'être prise à son encontre et invitée à présenter ses observations. Ainsi le jugement attaqué a suffisamment répondu à ce dernier moyen. En ce qui concerne le moyen tiré de ce que le préfet s'était estimé en situation de compétence liée pour refuser d'accorder un délai de départ volontaire à Mme C..., le jugement indique que la préfète de l'Allier ne s'est pas estimée en situation de compétence liée, et n'a pas méconnu l'étendue de son pouvoir d'appréciation, en ayant préalablement mentionné les éléments contenus dans l'arrêté relatifs à l'examen du cas particulier de l'intéressée tels que sa vie privée et familiale, les risques de traitement contraire à la CEDH et son droit au séjour notamment. Le jugement attaqué, qui n'avait pas à répondre à tous les arguments avancés par les parties, n'est donc pas entaché d'omission à statuer, ni insuffisamment motivé.

Au fond :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. Aux termes des dispositions alors codifiées à l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) " :

4. Si Mme C... soutient que la préfète aurait dû s'assurer que son état de santé était compatible avec une mesure d'éloignement, il ressort du procès-verbal d'audition de gendarmerie qu'elle s'est bornée à indiquer qu'il avait été constaté par une prise de sang qu'elle avait trop de globules rouges et prenait en conséquence un traitement pour réguler son taux de fer. A la date de sa décision, la préfète ne disposait donc pas d'éléments d'information suffisamment précis pour considérer que l'intéressée ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement en raison de son état de santé. Par suite, la préfète n'était pas tenue de recueillir un avis médical avant de prendre l'arrêté contesté. Si les pièces médicales produites en première instance indiquent que l'intéressée suit un traitement pour une polyglobulie, la requérante, qui n'a pas sollicité de titre de séjour en qualité d'étrangère malade, n'établit pas en tout état de cause que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni qu'elle serait dans l'incapacité de poursuivre son traitement dans son pays d'origine. Par suite, les dispositions précitées de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont pas été méconnues.

5. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

6. Mme C... fait valoir qu'elle était présente en France depuis plus de deux ans à la date de la décision contestée et qu'elle y dispose d'attaches familiales, notamment un oncle et une tante qui l'hébergent. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la requérante est célibataire et sans charge de famille et qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches dans son pays d'origine où résident ses parents, ses frères et sœurs et où elle a elle-même vécu la majeure partie de sa vie. Enfin, si l'intéressée produit en appel un contrat de travail à durée indéterminée du 2 mars 2020 pour un emploi d'aide à domicile, cette seule circonstance, postérieure à la décision contestée, ne permet pas de justifier d'une insertion professionnelle en France. Dans ces conditions, le préfet n'a pas porté au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :

7. Aux termes de l'article L. 511-1 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version alors en vigueur : " II. L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) ".

8. Il ressort des termes de la décision contestée que la préfète de l'Allier s'est fondée sur les dispositions précitées du II 3° b° de l'article L. 511-1 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour décider que Mme C... était obligée de quitter sans délai le territoire français. Préalablement, la préfète de l'Allier a considéré notamment que l'intéressée n'avait jamais effectué de démarche pour régulariser sa situation, qu'elle était célibataire et sans attaches familiales ou personnelles intenses en France, alors qu'elle en avait dans son pays d'origine. Il ne ressort donc pas de cet arrêté que la préfète de l'Allier se serait estimée en situation de compétence liée pour refuser d'accorder à la requérante un délai de départ volontaire.

9. Le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation de cette décision doit être écarté, Mme C... ne justifiant pas d'une insertion particulière en France ni qu'elle ne pourrait suivre son traitement médical dans son pays d'origine, faisant obstacle à son éloignement sans délai.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

10. Aux termes des dispositions alors codifiées à l'article L.511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...). / La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier, sixième et septième alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (... ) ".

11. Le droit d'être entendu n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français dont elle assortit l'obligation de quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement. Une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si l'intéressé a été privé de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision.

12. Si Mme C... soutient qu'elle n'a pas été en mesure de faire valoir ses observations sur l'interdiction de retour sur le territoire français, il est constant qu'elle a été entendue par les services de gendarmerie lors de son audition du 5 janvier 2020 préalablement à la mesure d'éloignement envisagée à son encontre. En outre, elle ne fait état d'aucun élément, autre que ceux pris en compte par l'autorité préfectorale sur la base de ses déclarations pour l'édiction de cette mesure. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du droit de Mme C... à être entendue doit être écarté.

13. Pour prononcer à l'encontre de Mme C... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, la préfète de l'Allier s'est fondée sur la circonstance que l'intéressée était entrée récemment sur le territoire, qu'elle s'y est maintenue irrégulièrement et qu'elle ne justifie pas de liens anciens, stables et intenses en France. Il ne ressort pas des pièces du dossier, que contrairement à ce qu'elle allègue, elle justifierait de liens, notamment familiaux, particuliers et anciens en France. Ainsi, la préfète n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en faisant interdiction à Mme C..., qui ne se prévaut d'aucune circonstance humanitaire, de retourner sur le territoire français. Compte tenu de ces circonstances, elle n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en fixant à deux ans la durée de cette interdiction, qui n'est pas disproportionnée, quand bien même la requérante ne représente pas une menace pour l'ordre public et n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 janvier 2020. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Allier.

Délibéré après l'audience du 9 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. D..., premier vice-président,

- M. Diémert, président-assesseur,

- Mme Renaudin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 octobre 2021.

La rapporteure,

M. RENAUDINLe président,

J. D...

La greffière,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA00633 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00633
Date de la décision : 07/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Mathilde RENAUDIN
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : GUNER

Origine de la décision
Date de l'import : 19/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-10-07;21pa00633 ?
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