Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Bouygues Energies et Services a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler le titre de recette n° 1554 d'un montant de 771 957 349 francs CFP, émis à son encontre le 22 juin 2018 par la Polynésie française au titre du solde du marché du lot n° 1 " climatisation-ventilation-désenfumage-gestion technique centralisée " relatif à la construction du centre hospitalier du Taaone à Pirae.
Par un jugement no 1800223 du 19 février 2019, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 avril 2019 et le 30 octobre 2020, la société Bouygues Energies et Services, représentée par la SELARL Altana, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ce titre de recette ;
3°) de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le titre de recette contesté ne contient pas les nom, prénom et qualité de l'émetteur, en méconnaissance de l'article 84 de la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 1995 ;
- le titre contesté ne peut être regardé comme contenant les bases de la liquidation de la créance dès lors qu'elle ne s'est pas vu communiquer l'ensemble des lettres visées par celui-ci, qui contiennent des éléments permettant de lever les incertitudes sur ces bases ;
- l'action introduite par elle devant la juridiction administrative n'a pas eu, au regard de l'article 2241 du code civil, d'effet interruptif de prescription de la créance prétendue de la Polynésie française, en l'absence de demande en justice formulée par cette dernière ;
- la prétendue créance de la Polynésie française est prescrite dès lors que celle-ci n'a pas formé, à l'occasion de l'instance devant la Cour, de demande reconventionnelle qui, seule, pouvait avoir valeur interruptive de prescription ;
- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs dès lors que les premiers juges ne pouvaient à la fois affirmer l'absence d'obligation de la Polynésie française de former une demande reconventionnelle et attacher à la procédure juridictionnelle devant la Cour un effet interruptif de prescription ;
- l'absence de décompte définitif relatif aux retenues opérées par la Polynésie française faisait obstacle à ce que cette dernière émette un titre exécutoire sur la base de ces retenues ;
- le délai de prescription trentenaire, à supposer qu'il lui soit opposé, méconnaîtrait l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il serait disproportionné avec le délai de prescription quadriennale opposable par la Polynésie française ;
- la Cour devrait appliquer, au regard des principes dont s'inspire le code civil, le délai de prescription quinquennale, alors même que la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile n'est pas applicable en Polynésie française, ou à défaut le délai de prescription quadriennale ;
- en l'absence de tout événement interruptif de prescription ou de décision de justice favorable à la Polynésie française depuis la notification du décompte, le titre de recette contesté ne pouvait valablement être émis.
Par un mémoire en défense et des pièces complémentaires, enregistré le 11 mars 2020 et le 29 août 2021, la Polynésie française, représentée par Me Dubois, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Bouygues Energies et Services de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Un mémoire a été enregistré pour la société Bouygues Energies et Services le 6 septembre 2021 qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004,
- la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 1995,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- et les observations de Me Louis des Cars pour la société Bouygues Energies et Services.
Une note en délibéré a été présentée pour la société Bouygues Energies et Services le
13 septembre 2021.
Considérant ce qui suit :
1. La Polynésie française a délégué la maitrise d'ouvrage de la construction du centre hospitalier de la Polynésie française sur le site du Taaone à Pirae, en juillet 2003, à l'Etablissement des Grands Travaux (EGT), devenu l'Etablissement d'Aménagement et de Développement (EAD), puis l'Etablissement d'Aménagement et de Construction (EAC) et, en dernier lieu, l'établissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement (TNAD). Par un marché EGT/16/04 signé le 12 août 2004, l'EGT a confié l'exécution du lot n° 1 " climatisation -ventilation - désenfumage - gestion technique centralisée " à un groupement solidaire d'entreprises constitué de la société ETDE, mandataire du groupement, et de la société Gainair, pour un montant final de 3 440 092 070 francs CFP HT. La réception des travaux a été prononcée avec réserves le 20 septembre 2010. Le 28 avril 2011, l'EAD a notifié au groupement précité le décompte général du marché, lequel présentait un solde débiteur de 772 583 084 francs CFP concernant la société ETDE et un solde créditeur de 625 735 francs CFP concernant la société Gainair. La société EDTE a contesté ce décompte, par un mémoire en réclamation du
17 mai 2011, demandant notamment à la Polynésie française le versement d'une somme de 406 754 176 francs CFP au titre du solde du marché du lot n° 1. Par un arrêt n° 12PA03270 du 21 février 2017, la présente Cour a rejeté la demande présentée par la société Bouygues Energies et Services, venant aux droits de la société EDTE, devant le Tribunal administratif de la Polynésie française, tendant à la condamnation de la Polynésie française à lui verser cette dernière somme. En outre, suite à l'annulation, par un arrêt n° 13PA02647 de la présente Cour du 16 décembre 2014, d'un titre exécutoire émis le 14 novembre 2012 par le directeur général de l'EAC à l'encontre de la société requérante aux fins de recouvrement de la somme précitée de 772 583 084 francs CFP, la Polynésie française a émis, le 22 juin 2018, un nouveau titre de recette à l'encontre de la société Bouygues Energies et Services aux fins de recouvrement de la somme de 771 957 349 francs CFP au titre du solde du marché du lot n° 1. La société Bouygues Energies et Services relève appel du jugement du 19 février 2019 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce dernier titre de recette.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. A supposer qu'en soutenant que le jugement attaqué serait entaché d'une contradiction de motifs dès lors que les premiers juges n'auraient pu, à la fois, affirmer l'absence d'obligation de la Polynésie française de former une demande reconventionnelle et attacher à la procédure juridictionnelle devant la Cour un effet interruptif de prescription, la société Bouygues Energies et Services ait entendu invoquer l'irrégularité de ce jugement, un tel moyen relève en tout état de cause du bien-fondé de celui-ci et non de sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 84 de la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 1995 portant adoption de la réglementation budgétaire, comptable et financière de la Polynésie française et de ses établissements publics : " Constituent des actes exécutoires de plein droit les titres de recettes ou ordres de recettes que la Polynésie française ou ses établissements publics dotés d'un comptable public délivrent pour le recouvrement des recettes de toute nature qu'ils sont habilités à recevoir. / (...) Les titres exécutoires doivent comporter les éléments suivants : l'identité et l'adresse géographique et postale du débiteur ; la nature de la créance ; la référence au texte ou au fait générateur sur lesquels est fondée l'existence de la créance ; les bases de la liquidation de la créance ; l'imputation budgétaire donnée à la recette ; le montant de la somme à recouvrer ; la date à laquelle le titre est émis ; les délais et voies de recours dont le contribuable dispose pour contester le titre ; les modalités de paiement ".
4. En premier lieu, la société requérante soutient que le titre de recette contesté est entaché d'irrégularité dès lors qu'il ne comporte pas les informations relatives aux nom, prénom et qualité de l'émetteur du titre. Si la Polynésie française fait valoir que ces mentions ne sont pas au nombre de celles rendues obligatoires par l'article 84 de la délibération du 23 novembre 1995 susvisée, il résulte en tout état de cause de l'instruction que ce titre était accompagné, lors de sa notification, d'un document intitulé " état liquidatif ", daté du 20 juin 2018, qui comportait toutes ces mentions de sorte que la requérante a directement disposé des informations réclamées. A supposer que la société doive également être regardée comme soutenant que ce titre a été émis par une autorité incompétente, il résulte de l'arrêté n° 1184 VP du 16 février 2016, publié au Journal Officiel de la Polynésie française du 18 février 2016, que Mme A..., émetteur de l'état liquidatif et donc du titre de recette, a reçu délégation de signature du vice-président du gouvernement de la Polynésie française, ministre du budget, des finances et des énergies, pour signer notamment, en son nom, les actes concernant la liquidation des recettes du service. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du titre litigieux et, à le supposer soulevé, celui tiré de l'incompétence de son auteur, doivent être écartés.
5. En second lieu, si la société Bouygues Energies et Services invoque le défaut de transmission de l'intégralité des éléments formant les bases de liquidation du titre de recette contesté, elle n'apporte au soutien de ce moyen, déjà soulevé, dans des termes similaires, devant le Tribunal administratif de la Polynésie française, aucun élément nouveau susceptible de remettre en cause l'appréciation que les premiers juges ont, à bon droit, portée sur ce moyen qui doit, dès lors, être écarté par adoption des motifs retenus par le tribunal.
6. En troisième lieu, d'une part, l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties.
7. D'autre part, aux termes de l'article 2.3.3 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) concernant les marchés publics passés au nom de la Polynésie française et de ses établissements publics : " 2 - Le décompte général, signé par la personne responsable du marché, doit être notifié au titulaire (...) 3 - Le titulaire doit, dans un délai de trente jours compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer à la personne responsable du marché, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve, cette acceptation lie définitivement les parties sauf en ce qui concerne le montant des intérêts moratoires ; ce décompte devient ainsi le décompte général et définitif du marché. / Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par le titulaire dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis à la personne responsable du marché dans le délai indiqué au premier alinéa du présent article. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 7.2. ". Aux termes de l'article 7.2.3 du même CCAG : " 1 - Si, dans le délai de trois mois à partir de la date de réception par la personne responsable du marché de la lettre ou du mémoire du titulaire mentionné aux 1 et 2 de l'article 7.2.2, aucune décision n'a été notifiée au titulaire, ou si celui-ci n'accepte pas la décision qui lui a été notifiée, le titulaire peut saisir le tribunal administratif compétent. (...) ".
8. Il résulte des motifs de l'arrêt de la présente Cour n° 13PA02647 du
16 décembre 2014, devenu définitif, que, d'une part, le décompte général du marché n'était pas devenu définitif lorsque la société ETDE a recherché devant le Tribunal administratif de la Polynésie française la responsabilité contractuelle du maître de l'ouvrage au titre du règlement des comptes de l'opération de travaux et que, d'autre part, en l'absence de règlement définitif des comptes du marché, la créance de la Polynésie française correspondant au solde débiteur du décompte général n'était pas exigible tant que la procédure d'appel engagée par la société à l'encontre du jugement de ce tribunal du 15 mai 2012 rejetant sa demande visant à la condamnation de cette collectivité à lui verser la somme de 406 754 176 francs CFP au titre du solde du marché était pendante. Par suite, la créance de la Polynésie française n'étant pas définitivement acquise, aucune prescription n'a pu courir à son encontre jusqu'à l'issue de cette procédure. Il s'ensuit que doit être écarté le moyen tiré par la requérante de ce que l'action introduite par elle devant la juridiction administrative n'aurait pas eu d'effet interruptif de prescription de cette créance, en l'absence de demande en justice ou de conclusions reconventionnelles formées par la Polynésie française devant le Tribunal administratif de la Polynésie française puis devant la Cour aux fins de condamnation de cette société à lui verser le solde du décompte général du marché.
9. En outre, il résulte de l'arrêt n° 12PA03270 du 21 février 2017, également devenu définitif, que la Cour a rejeté la demande présentée par la société Bouygues Energies et Services visant à la condamnation de la Polynésie française à lui verser la somme de 406 754 176 francs CFP au titre du solde du marché du lot n° 1. Il s'ensuit que le décompte général du marché est lui-même devenu définitif, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la Cour n'a pas de nouveau fixé le solde du marché, précédemment notifié à la société ETDE dans les conditions mentionnées au point 1. Ce n'est ainsi que postérieurement à cet arrêt, conformément aux motifs de l'arrêt de la Cour du 16 décembre 2014 précité, que le solde débiteur dégagé du décompte général du marché, devenu définitif, a permis au maître d'ouvrage de liquider sa créance et d'en exiger le paiement par l'entreprise. Dès lors, la société Bouygues Energies et Services n'est pas fondée à soutenir qu'à la date d'émission du titre de recette contesté, la créance de la Polynésie française dont il vise à assurer le recouvrement aurait été prescrite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la nature et la durée de la prescription applicable.
10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Bouygues Energies et Services n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Bouygues Energies et Services demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Bouygues Energies et Services une somme de 1 500 euros à verser à la Polynésie française sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Bouygues Energies et Services est rejetée.
Article 2 : La société Bouygues Energies et Services versera à la Polynésie française une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bouygues Energies et Services, à la Polynésie française et à l'établissement public Tahiti Nui Aménagement et Développement.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente,
- Mme Briançon, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2021.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La présidente,
M. HEERS
La greffière,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre des outre-mer et au Haut-Commissaire en Polynésie française en ce qui les concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 19PA01363