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21/07/2021 | FRANCE | N°20PA02789,20PA02790,20PA02791

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 21 juillet 2021, 20PA02789,20PA02790,20PA02791


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une décision n° 417259 du 18 mai 2018, le Conseil d'Etat a attribué au tribunal administratif de Paris le jugement de la requête dont l'avait saisi la société Mediwin Limited, enregistrée le 12 janvier 2018, tendant à l'annulation de la décision du 27 juillet 2017 par laquelle le président du comité économique des produits de santé (CEPS) lui a indiqué qu'elle était redevable d'une remise exonératoire de la contribution dite du " taux L " au titre de l'année 2016, pour un montant de 169 553 e

uros, la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cette décis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une décision n° 417259 du 18 mai 2018, le Conseil d'Etat a attribué au tribunal administratif de Paris le jugement de la requête dont l'avait saisi la société Mediwin Limited, enregistrée le 12 janvier 2018, tendant à l'annulation de la décision du 27 juillet 2017 par laquelle le président du comité économique des produits de santé (CEPS) lui a indiqué qu'elle était redevable d'une remise exonératoire de la contribution dite du " taux L " au titre de l'année 2016, pour un montant de 169 553 euros, la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cette décision et l'appel à paiement de cette remise émis par l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Rhône-Alpes le 3 août 2017, complétée par deux mémoires distincts posant chacun une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 138-10 à L. 138-13 du code de la sécurité sociale.

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Par une décision n° 417260 du 18 mai 2018, le Conseil d'Etat a attribué au tribunal administratif de Paris le jugement de la requête dont l'avait saisi la société Pharma Lab, enregistrée le 12 janvier 2018, tendant à l'annulation de la décision du 27 juillet 2017 par laquelle le président du comité économique des produits de santé (CEPS) lui a indiqué qu'elle était redevable d'une remise exonératoire de la contribution dite du " taux L " au titre de l'année 2016, pour un montant de 169 739 euros, la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cette décision et l'appel à paiement de cette remise émis par l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Ile-de-France le 8 août 2017, complétée par deux mémoires distincts posant chacun une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 138-10 à L. 138-13 du code de la sécurité sociale.

Par deux ordonnances du 24 octobre 2018, portant respectivement les n° 1808637/6-3 et n° 1808090/6-3, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité dont il était saisi, respectivement, par la société Mediwin Limited et par la société Pharma Lab.

Par un jugement n° 1808090 et 1808637/6-1 en date du 24 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de la société Mediwin Limited et la requête de la société Pharma Lab.

Procédure devant la Cour :

I° Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 septembre 2020 et le 2 juin 2021 sous le n° 20PA02789, la société Pharma Lab et la société Mediwin Limited, représentées par le cabinet Colin - C..., avocats aux Conseils, demandent respectivement à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1808090 et 1808637/6-1 du tribunal administratif de Paris du 24 juillet 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 27 juillet 2017 par laquelle le président du Comité économique des produits de santé (CEPS) a indiqué à la société Pharma Lab qu'elle était redevable d'une remise exonératoire de la contribution dite du " taux L " au titre de l'année 2016, pour un montant de 169 739 euros, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

3°) d'annuler l'appel à paiement par la société Pharma Lab de cette remise exonératoire, émis par l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Ile-de-France le 8 août 2017 ;

4°) d'annuler la décision du 27 juillet 2017 par laquelle le président du Comité économique des produits de santé (CEPS) a indiqué à la société Mediwin Limited qu'elle était redevable d'une remise exonératoire de la contribution dite du " taux L " au titre de l'année 2016, pour un montant de 169 553 euros, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

5°) d'annuler l'appel à paiement par la société Mediwin Limited de cette remise exonératoire, émis par l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Rhône-Alpes le 3 août 2017 ;

6°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer les sommes de 169 739 euros et de 169 553 euros mises respectivement à leur charge ;

7°) à titre subsidiaire, de saisir à titre préjudiciel la cour de justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de la question de la conformité au droit de l'Union européenne du dispositif de l'assujettissement des entreprises commercialisant des spécialités pharmaceutiques d'importation parallèle à la contribution dite du " taux L " et, par suite, à la remise conventionnelle exonératoire de cette contribution, ainsi que de la conformité des modalités de calcul de cette contribution et de cette remise, et de surseoir à statuer sur ses conclusions jusqu'à ce que la cour se soit prononcée sur cette question ;

8°) de mettre à la charge de l'Etat et du comité économique des produits de santé la somme totale de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement du tribunal de Paris du 24 juillet 2020 n'est pas signé ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- le dispositif de contribution dite du " taux L " méconnait les articles 34, 101.1 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et porte atteinte aux règles de la concurrence ;

- les articles L. 138-10 et suivants du code de la sécurité sociale méconnaissent le principe d'égalité reconnu par le droit de l'Union européenne ;

- ces articles portent une atteinte illégale au règles de concurrence ;

- l'assiette de la contribution, et donc de la remise méconnait l'exigence d'objectivité et de rationalité du droit de l'Union européenne, qui devait nécessairement conduire le législateur à traiter de manière différente les entreprises dont le chiffre d'affaires est principalement ou exclusivement réalisé par la commercialisation des médicaments remboursables selon qu'elle est réalisée en ville ou dans les établissements de santé.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 mai 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'il n'y a pas lieu de transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité, et que les moyens ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au comité économique des produits de santé, à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Rhône-Alpes et à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Ile-de-France, qui n'ont pas présenté d'observations.

II° Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 septembre 2020 et le 2 juin 2021 sous le n° 20PA02790, la société Mediwin Limited, représentée par le cabinet Colin - C..., avocats aux Conseils, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1808637/6-3 du 24 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité suivante : " Les articles L. 138-10 à L. 138-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi n°2015-1702 du 21 décembre 2015, sont-ils conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution, et en particulier au principe d'égalité et à la liberté d'entreprendre ' ".

Elle soutient que :

- le comité économique des produits de santé (CEPS), après être revenu sur sa position selon laquelle la vente des spécialités importées concurrenceraient principalement les génériques et constituerait ainsi un obstacle à la substitution des ventes des princeps par celles des génériques, a décidé de fixer le prix des spécialités importées parallèlement à un niveau inférieur de 5 % à celui du princeps français, et le taux du remboursement pour uns spécialité importée parallèlement est identique à celui fixé pour la spécialité princeps commercialisée en France ; pour les spécialités appartenant à une catégorie de générique dotée d'un tarif forfaitaire de responsabilité (TFR), pour lesquelles le princeps est vendu au prix du générique, le prix de vente des spécialités importées est de 5% du TFR ;

- la vente des importations parallèles demeure faible en France, ces ventes représentant moins d'un millième du chiffre d'affaires total de la vente de médicaments remboursables en France en 2012 ; en Allemagne, le chiffre d'affaires total des ventes de médicaments issus d'importations parallèle, au prix fabriquant, s'élevait à presque 3 milliards d'euros en 2012 ; l'assujettissement à la contribution " taux L " des entreprises commercialisant des spécialités importées constitue un frein au commerce de ces spécialités en France ;

- le premier juge n'a pas examiné la question de savoir si les articles L. 138-10 à L. 138-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de l'article 4 de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015, méconnaissaient la liberté d'entreprendre ;

- l'ordonnance est mal fondée, en ce qu'elle ne retient pas comme étant sérieuses la question prioritaire de constitutionnalité relative à liberté d'entreprendre, et celle relative à l'égalité devant les charges publiques ; la requérante est fondée à se prévaloir de la différence de situation dans laquelle elle se trouve par rapport aux entreprises commercialisant en France des spécialités princeps françaises, qui lui donne droit à une différence de traitement par rapport à celui fixé par la loi pour ces entreprises ; la requérante est fondée à se prévaloir de la différence de situation dans laquelle elle se trouve par rapport aux entreprises commercialisant des spécialités pharmaceutiques auprès des établissements de santé, responsables de l'augmentation des dépenses de médicaments, qui lui donne droit à une différence de traitement par rapport à celui fixé par la loi pour ces entreprises ; la requérante est fondée à se prévaloir d'une spécificité lui donnant droit à bénéficier d'une exonération totale de taxe, à l'instar des entreprises diffusant des produits génériques ; la conformité à la Constitution des dispositions critiquées n'est pas acquise du fait de l'examen, fait par le Conseil constitutionnel, de la conformité à la Constitution de l'article 31 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

- la circonstance que l'article 30 de la loi n° 2016-1827 de financement de la sécurité sociale pour 2017 a introduit un taux différencié L(v) et L(h), selon que les médicaments sont dispensés en officine ou à l'hôpital, permet de déduire, a contrario et a posteriori, que les dispositions critiquées, en tant qu'elles n'ont pas distingué selon le mode de distribution des médicaments en officine ou dans les établissements de santé, étaient entachées d'inconstitutionnalité.

Par un courrier enregistré le 30 novembre 2020, l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Rhône-Alpes fait valoir qu'elle s'en remet à la sagesse de la Cour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut à la non-transmission au Conseil d'Etat des questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la société requérante.

Il soutient que :

- la question de la conformité des articles L. 138-10 et suivants du code de la sécurité sociale a fait l'objet d'une déclaration de conformité par le Conseil constitutionnel ;

- les articles en cause ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques, ni la liberté d'entreprendre.

La requête a été communiquée au comité économique des produits de santé qui n'a pas présenté d'observations.

III° Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 septembre 2020 et le 2 juin 2021 sous le n° 20PA02791, la société Pharma Lab, représentée par le cabinet Colin - C..., avocats aux Conseils, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1808090/6-3 du 24 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité suivante : " Les articles L. 138-10 à L. 138-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi n°2015-1702 du 21 décembre 2015, sont-ils conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution, et en particulier au principe d'égalité et à la liberté d'entreprendre ' ".

Elle soutient que :

- le comité économique des produits de santé (CEPS), après être revenu sur sa position selon laquelle la vente des spécialités importées concurrenceraient principalement les génériques et constituerait ainsi un obstacle à la substitution des ventes des princeps par celles des génériques, a décidé de fixer le prix des spécialités importées parallèlement à un niveau inférieur de 5 % à celui du princeps français, et le taux du remboursement pour uns spécialité importée parallèlement est identique à celui fixé pour la spécialité princeps commercialisée en France ; pour les spécialités appartenant à une catégorie de générique dotée d'un tarif forfaitaire de responsabilité (TFR), pour lesquelles le princeps est vendu au prix du générique, le prix de vente des spécialités importées est de 5% du TFR ;

- la vente des importations parallèles demeure faible en France, ces ventes représentant moins d'un millième du chiffre d'affaires total de la vente de médicaments remboursables en France en 2012 ; en Allemagne, le chiffre d'affaires total des ventes de médicaments issus d'importations parallèle, au prix fabriquant, s'élevait à presque 3 milliards d'euros en 2012 ; l'assujettissement à la contribution " taux L " des entreprises commercialisant des spécialités importées constitue un frein au commerce de ces spécialités en France ;

- le premier juge n'a pas examiné la question de savoir si les articles L. 138-10 à L. 138-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de l'article 4 de la loi n°2015-1702 du 21 décembre 2015, méconnaissaient la liberté d'entreprendre ;

- l'ordonnance est mal fondée, en ce qu'elle ne retient pas comme étant sérieuses la question prioritaire de constitutionnalité relative à liberté d'entreprendre, et celle relative à l'égalité devant les charges publiques ; la requérante est fondée à se prévaloir de la différence de situation dans laquelle elle se trouve par rapport aux entreprises commercialisant en France des spécialités princeps françaises, qui lui donne droit à une différence de traitement par rapport à celui fixé par la loi pour ces entreprises ; la requérante est fondée à se prévaloir de la différence de situation dans laquelle elle se trouve par rapport aux entreprises commercialisant des spécialités pharmaceutiques auprès des établissements de santé, responsables de l'augmentation des dépenses de médicaments, qui lui donne droit à une différence de traitement par rapport à celui fixé par la loi pour ces entreprises ; la requérante est fondée à se prévaloir d'une spécificité lui donnant droit à bénéficier d'une exonération totale de taxe, à l'instar des entreprises diffusant des produits génériques ; la conformité à la Constitution des dispositions critiquées n'est pas acquise du fait de l'examen, fait par le Conseil constitutionnel, de la conformité à la Constitution de l'article 31 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

- la circonstance que l'article 30 de la loi n° 2016-1827 de financement de la sécurité sociale pour 2017 a introduit un taux différencié L(v) et L(h), selon que les médicaments sont dispensés en officine ou à l'hôpital, permet de déduire, a contrario et a posteriori, que les dispositions critiquées, en tant qu'elles n'ont pas distingué selon le mode de distribution des médicaments en officine ou dans les établissements de santé, étaient entachées d'inconstitutionnalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut à la non-transmission au Conseil d'Etat des questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la société requérante.

Il soutient que :

- la question de la conformité des articles L. 138-10 et suivants du code de la sécurité sociale a fait l'objet d'une déclaration de conformité par le Conseil constitutionnel ;

- les articles en cause ne portent pas une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques ou à la liberté d'entreprendre, au regard de l'objectif d'équilibre des régimes de sécurité sociale, auquel la décision du Conseil Constitutionnel n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002 reconnaît la valeur constitutionnelle ; la décote tarifaire de 5 % concernant les importations parallèles ne génère que des économies très réduites pour l'assurance maladie, sans commune mesure avec celles générées par celle des spécialités génériques, ainsi l'exonération revendiquée par la requérante conférerait aux importateurs parallèles un avantage concurrentiel peu justifié par rapport aux laboratoires.

La requête a été communiquée au comité économique des produits de santé et à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Ile-de-France, qui n'ont pas présenté d'observations.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- le Traité sur l'Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel modifiée ;

- la décision du Conseil Constitutionnel du 18 décembre 1998, n° 98-404 DC ;

- la décision du Conseil Constitutionnel du 12 décembre 2002, n° 2020-463 DC ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- les observations de Me C..., représentant les sociétés Pharma Lab et Mediwin Limited.

Des notes en délibéré, présentées par le cabinet Colin - C... pour les sociétés Pharma Lab et Mediwin Limited, ont été enregistrées le 28 juin 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées n° 20PA02789, n° 20PA02790 et n° 20PA02791 sont dirigées contre les mêmes actes et ont fait l'objet d'une instruction commune. En conséquence, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

Sur la régularité des ordonnances n° 1808637/6-3 et n°1808090/6-3 :

2. A l'appui de leurs demandes, les sociétés requérantes ont notamment demandé au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question, répondant selon elles au critère d'une question prioritaire de constitutionnalité, de savoir si les articles L. 138-10 à L.138-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de l'article 4 de la loi n°2015-1702 du 21 décembre 2015, méconnaissent la liberté d'entreprendre. Le tribunal n'a pas statué sur ces conclusions.

3. Par suite, il y a lieu d'annuler les ordonnances attaquées en tant qu'elles ont omis de statuer sur la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la liberté d'entreprendre des articles L. 138-10 à L.138-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de l'article 4 de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015.

Sur les demandes de transmission au Conseil d'Etat de questions prioritaires de constitutionnalité :

4. L'article L. 138-10 du code de la sécurité sociale issu de la loi n°2015-1702 du 21 décembre 2015, dans sa rédaction alors en vigueur, institue une contribution à la charge des entreprises assurant l'exploitation d'une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques, au sens des articles L.5124-1 et L. 5124-2 du code de la santé publique. Cette contribution est due lorsque le chiffre d'affaires hors taxes réalisé au cours de l'année civile en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer, au titre des spécialités pharmaceutiques visées, minoré de plusieurs remises, a évolué de plus d'un taux (L), taux déterminé par la loi par rapport au même chiffre d'affaires de l'année précédente. Cet article prévoit que sont exonérées du versement de la contribution " taux L " les ventes des médicaments génériques, à l'exception de ceux dont le prix public est aligné sur celui du médicament princeps, ainsi que les ventes des médicaments orphelins. L'article L. 138-12 du même code fixe le mode de calcul du montant total de la contribution.

5. L'article L. 138-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction alors en vigueur, prévoit que les entreprises redevables de la contribution du " taux L " qui ont conclu une convention avec le comité économique des produits de santé (CEPS), pour au moins 90 % de leur chiffre d'affaires réalisé au cours de l'année civile au titre des médicaments mentionnés à l'article L. 138-10 qu'elles exploitent, peuvent signer avec le comité, avant le 31 janvier de l'année suivant l'année civile au titre de laquelle la contribution est due, " un accord prévoyant le versement, sous forme de remise, à un des organismes mentionnés à l'article L. 213-1 désigné par le directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, de tout ou partie du montant dû au titre de la contribution ". Les entreprises signataires d'un tel accord sont alors dispensées de verser la contribution " taux L " si la somme des remises qu'elles versent en application de l'accord signé est supérieure à 80 % du total des montants dont elles sont redevables, en application de l'article L. 138-10, au titre de la contribution.

6. Les sociétés requérantes soutiennent que ces dispositions ne sont conformes ni aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, ni à la liberté d'entreprendre, garantis par la Constitution.

7. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

8. Et aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. (...) ". En application de l'article 23-2 de la même ordonnance, il est procédé à la transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité " si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. (...) ".

9. D'une part, dès lors que la remise prévue à l'article L. 138-13 du code de la sécurité sociale est égale à " tout ou partie du montant dû au titre de la contribution " due en application de l'article L. 138-10 de ce code, les dispositions en cause doivent être regardées comme étant applicables au litige.

10. D'autre part, par sa décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, le Conseil constitutionnel s'est prononcé dans ses seuls motifs sur la constitutionnalité des dispositions de l'article 31 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, qui a introduit dans le code de la sécurité sociale les articles L. 138-10 à L. 138-19, dans leur rédaction alors applicable. Il n'a pas statué, notamment, sur le grief tiré de la différence de situation entre les entreprises commercialisant des médicaments dans le circuit de ville et celles commercialisant des médicaments dans les établissements de santé au regard de la croissance respective des ventes de ces médicaments, et ne s'est pas prononcé sur la constitutionnalité de cet article 31 dans le dispositif de sa décision. Par suite, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir que la conformité à la Constitution des dispositions critiquées ne peut pas être regardée comme acquise du fait de l'intervention de cette décision.

- S'agissant de la question de la conformité de ces dispositions aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques :

11. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Pour assurer le respect du principe d'égalité devant les charges publiques, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il s'assigne. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

12. En premier lieu, les sociétés requérantes soutiennent que les ventes des spécialités d'importation parallèles concourent à la réalisation de l'objectif de maîtrise des dépenses de l'assurance maladie dès lors qu'à l'instar des ventes des spécialités génériques elles sont réalisées à un prix inférieur à celui des médicaments princeps vendus par les laboratoires de référence. Elles en déduisent que les ventes des spécialités d'importation parallèle devraient bénéficier, comme celles des médicaments génériques, de l'exonération de la contribution de " taux L ", et de l'exonération correspondante de la remise de cette contribution. Elles estiment ainsi qu'en traitant de façon différente des entreprises dont les ventes génèrent des économies pour le système de l'assurance maladie, les dispositions législatives en cause méconnaissent le principe d'égalité devant la loi

13. Cependant, les dispositions des articles L. 138-10 et suivants du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi du 21 décembre 2015, organisent une régulation a posteriori des dépenses de médicaments, mise en œuvre sous la forme de contributions versées par les laboratoires pharmaceutiques lorsque le taux d'évolution de leur chiffre d'affaires hors taxe dépasse un taux fixé chaque année par la loi de financement de la sécurité sociale. Ce dispositif, de même que celui instauré initialement par la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, répond au double objectif de contribution des entreprises pharmaceutiques au financement de l'assurance maladie et de modération des dépenses de santé. En particulier, il répond à l'objectif de préserver 1'assurance maladie d'une augmentation, soit trop importante, soit trop rapide, des dépenses de médicaments par rapport à la tendance anticipée et prévue par l'objectif national des dépenses d'assurance maladie et, ainsi, de préserver l'équilibre financier de la sécurité sociale, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle ainsi que cela ressort, notamment, de la décision du Conseil Constitutionnel du 12 décembre 2002, n° 2020-463 DC.

14. Au regard de ces objectifs, en particulier de celui relatif à la préservation de l'équilibre financier de la sécurité sociale, d'une part, dès lors que les entreprises commercialisant des spécialités d'importation parallèles sont tenues d'effectuer une décote sur le prix de vente de seulement 5% du prix du princeps français correspondant, ces entreprises se trouvent, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, dans une situation très différente de celle des entreprises tenues de vendre des spécialités génériques à un prix inférieur de 60 % à celui du prix du princeps français, qui seules sont exonérées de la contribution " taux L " et de la remise correspondante. Par suite, et dans cette mesure, la question de la conformité des dispositions en cause aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques est dépourvue de caractère sérieux.

15. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 4, il résulte des dispositions de l'article

L. 138-10 du code de la sécurité sociale que, pour leur part, les ventes des médicaments génériques dont le prix public est aligné sur celui du médicament princeps ne sont pas exonérées de la contribution " taux L " et de la remise correspondante. Si les requérantes font valoir que, dans ce cas, le prix de vente des spécialités d'importations parallèles est inférieur de 5% à celui du prix commun au princeps français et aux spécialités génériques, elles n'apportent aucun élément probant ni aucun début d'argumentation utile sur le poids du chiffre d'affaire concerné et celui de la remise correspondante. Dans ces conditions, et en l'état de l'instruction, la question de la conformité des dispositions en cause aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doit également être regardée comme dépourvue de caractère sérieux dans cette mesure.

16. En deuxième lieu, les sociétés requérantes soutiennent que les articles L. 138-10 à L. 138-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi du 21 décembre 2015, méconnaissent le principe d'égalité avec les entreprises françaises exploitant les spécialités princeps dès lors que les spécialités importées sont vendues à un prix inférieur de 5% aux prix respectifs des spécialités princeps françaises correspondantes. Elles en déduisent que les dispositions législatives en cause, en assujettissant de la même façon à la contribution taux L, et à la remise correspondante, les entreprises qui commercialisent des spécialités d'importation parallèle et celles qui commercialisent des spécialités princeps françaises, alors que ces entreprises se trouvent dans une situation différente quant à l'incidence de leurs ventes sur les dépenses de l'assurance maladie, ne sont pas justifiées par des raisons d'intérêt général ni par l'objectif de maîtrise des dépenses d'assurance maladie, et méconnaissent le principe d'égalité devant la loi.

17. Cependant, s'il est vrai que les spécialités d'importations parallèles et les spécialités princeps de référence sont dans une situation différente au regard de leur prix de vente en France, cette différence, induisant un avantage économique aux spécialités princeps de référence, reste très limitée compte tenu de la faiblesse de la décote imposée sur le prix de vente, limitée à 5% du prix du princeps de référence. Or, comme le fait valoir le ministre des solidarités et de la santé, ces entreprises se trouvent également dans une situation différente au regard des contraintes pesant sur les entreprises pour obtenir, respectivement, l'autorisation d'importation parallèle et l'autorisation de mise sur le marché, l'obtention de cette dernière nécessitant des formalités et des justifications plus lourdes que celle d'une autorisation d'importation parallèle. De plus et surtout, comme le fait valoir le ministre, elles se trouvent dans une situation différente au regard du coût de fabrication des médicaments, cette différence se traduisant par un avantage économique au profit des entreprises commercialisant des spécialités d'importations parallèles. En effet, l'importateur de spécialités parallèles fait 1'acquisition de la spécialité dans un autre Etat, membre de l'Union européenne ou partie à l'Accord économique européen, à des conditions tarifaires attractives, et il supporte en règle générale des coûts moindres que ceux du laboratoire exploitant ayant supporté la charge du coût des études cliniques et des frais nécessaires à 1'obtention d'une autorisation de mise sur le marché pour la France. Dans ces conditions, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions en cause, qui sont fondées sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts que le législateur s'est assigné, méconnaîtraient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques en ce qu'elles soumettent les ventes des spécialités d'importations parallèles et les spécialités princeps de référence à la même imposition.

18. En troisième lieu, les requérantes exposent que la contribution " taux L ", comme la remise exonératoire de cette contribution, est calculée notamment en fonction de la croissance du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France par l'ensemble des entreprises vendant des spécialités pharmaceutiques, qui tient compte aussi bien de la croissance des dépenses de médicaments dans les officines situées en ville que de la croissance de ces dépenses dans les établissements de santé. Elles ajoutent que les spécialités d'importations parallèles sont commercialisées exclusivement ou quasi-exclusivement dans les officines de ville et non dans les établissements de santé, de sorte qu'en application des modalités de calcul fixées à l'article L. 138-12 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction alors applicable, les entreprises exploitant ces spécialités sont soumises à une remise exonératoire de la contribution " taux L " assise à hauteur de 50 % sur l'augmentation de dépenses de santé dans les établissements de santé alors qu'elles n'ont aucune part à cette augmentation. Les requérantes précisent encore que la croissance du chiffre d'affaire des ventes de médicaments auprès des officines situées en ville a été nulle au cours de l'année 2016 en cause, tandis que celle des ventes de médicaments aux établissements hospitaliers a connu une forte augmentation, avec une croissance de 43,2 % pour les médicaments bénéficiant d'une autorisation temporaire d'utilisation et de 11,7% pour les médicaments susceptibles d'être rétrocédés. Les requérantes déduisent de ces éléments que les modalités du calcul de la contribution et de la remise, qui tiennent compte de la différence entre le taux de la croissance réelle du montant hors taxe des ventes des médicaments par rapport au taux (L) de croissance déterminé par la loi, par rapport au montant hors taxe des ventes des médicaments de l'année précédente, les a pénalisées indûment au regard de l'objectif de l'équilibre financier de la sécurité sociale. Elles soutiennent ainsi qu'en adoptant les dispositions en cause, le législateur ne s'est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels retenus en fonction de l'objectif d'équilibre financier de la sécurité sociale qu'il s'était assigné.

19. Cependant, d'une part, les sociétés requérantes n'apportent aucune précision sur l'évolution des ventes en France des spécialités d'importations parallèles au cours de l'année 2016 en cause, et n'allèguent d'ailleurs pas qu'il aurait été inférieur au taux de croissance des ventes des médicaments auprès des établissements de santé. De plus, comme le fait valoir le ministre des solidarités et de la santé, l'article L. 138-12 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction alors applicable, prévoit que le montant de la contribution due par chaque entreprise redevable est déterminé au prorata de son chiffre d'affaires, de sorte que la répartition de la contribution est individualisée, et, en outre, que cette contribution est plafonnée à 10 % du montant hors taxe des ventes de médicaments réalisées en France par l'entreprise. Ainsi, la remise exonératoire de cette contribution est également plafonnée, à un niveau inférieur à 10 % du montant hors taxe des ventes de médicament réalisées en France par l'entreprise. Dans ces conditions, et en l'absence de toute argumentation contraire étayée et de toutes précisions utiles, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la contribution " taux L " et la remise exonératoire correspondante ne reposeraient pas sur des critères objectifs et rationnels fixés par le législateur en fonction de l'objectif d'équilibre financier de la sécurité sociale.

20. D'autre part, les requérantes n'apportent pas d'éléments susceptibles de démontrer que les dispositions en cause seraient susceptibles d'entraîner une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques du fait de la prise en compte du taux de la croissance du montant hors taxe des ventes de tous les médicaments, sans distinction entre celui des ventes réalisées dans le secteur de la ville et celui des ventes réalisées auprès des établissements de santé.

21. Enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la circonstance que l'article 30 de la loi n° 2016-1827 de financement de la sécurité sociale pour 2017 a introduit un taux différencié L(v) et L(h), selon que les médicaments sont dispensés en officine ou à l'hôpital, ne permet pas en elle-même de déduire, a contrario et a posteriori, que les dispositions critiquées auraient méconnu les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

22. Dans ces conditions, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions en cause, qui sont fondées sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts que le législateur s'est assigné, méconnaîtraient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques au motif que les modalités du calcul de la contribution et de la remise exonératoire tiennent compte de la croissance du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France par les entreprises vendant des spécialités pharmaceutiques, que ce soit dans les officines de la ville ou auprès des établissements de santé.

23. Il suit de là qu'en l'état de l'instruction, la question de la conformité aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques des dispositions en cause est dépourvue de caractère sérieux.

- S'agissant du caractère sérieux de la question de la conformité de ces dispositions à la liberté d'entreprendre :

24. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des limitations justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

25. En premier lieu, les sociétés requérantes reprennent leur argumentation, analysée au point 18, relative aux conséquences de la prise en compte, dans le calcul de la contribution et de la remise, du taux de croissance des ventes des spécialités pharmaceutiques commercialisées tant auprès des établissements de santé qu'auprès des officines dans le secteur de ville, pour soutenir que les articles L. 138-10 à 138-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi du 21 décembre 2015, portent atteinte à la liberté d'entreprendre des entreprises commercialisant des spécialités pharmaceutiques d'importation parallèle.

26. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 19, les sociétés requérantes n'apportent aucune précision sur l'évolution des ventes en France des spécialités d'importations parallèles au cours de l'année 2016 en cause. De plus elles n'établissent pas, ni même n'allèguent, l'existence d'obstacles, qui seraient indépendants de la volonté des sociétés distributrices de spécialités d'importations parallèles, à ce que celles-ci distribuent ces spécialités pharmaceutiques non seulement auprès des officines dans le secteur de la ville, mais également auprès des établissements de santé alors que, selon leurs propres écritures, comme cela ressort des éléments mentionnés au point 18, le marchés ventes auprès de ces établissements représente une part significative du marché national et est en pleine croissance. Ainsi, il ne résulte pas des éléments produits par les requérantes, ni de leur argumentation, que le désavantage économique allégué, que les importateurs de spécialités parallèles subiraient en raison des résultats pour l'année 2016 de l'application des modalités du calcul de la contribution " taux L " et de la remise exonératoire, serait spécifiquement imputable aux dispositions en cause, et non aux choix commerciaux effectués par les entreprises concernées. Il suit de là que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les articles L. 138-10 à 138-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi du 21 décembre 2015, auraient porté à la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif constitutionnel de préservation de l'équilibre financier de la sécurité sociale poursuivi par la loi.

27. En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que le paiement de la remise exonératoire qui leur incombe est de nature à affecter la poursuite de leur activité d'importation de spécialités pharmaceutiques, portant ainsi également atteinte à leur liberté d'entreprendre. Cependant, elles n'apportent aucune argumentation étayée ni aucun début de preuve à l'appui de cette allégation.

28. Il suit de là qu'en l'état de l'instruction, la question de la conformité des dispositions en cause à la liberté d'entreprendre est dépourvue de caractère sérieux.

29. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par les sociétés Pharma Lab et Mediwin Limited.

Sur la régularité du jugement :

30. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ".

31. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué comporte l'ensemble des signatures prévues par ces dispositions. Si l'expédition du jugement notifiée à la société Pharma Lab et à la société Mediwin Limited ne comporte pas ces signatures, cette circonstance n'est pas de nature à entacher le jugement attaqué d'irrégularité. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative auraient été méconnues doit être écarté.

32. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

33. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Pharma Lab et Mediwin Limited qui, d'ailleurs, n'assortissent pas leur moyen d'une argumentation étayée, il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments avancés par les requérantes, se sont prononcés sur l'ensemble des moyens soulevés. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

34. En premier lieu, aux termes de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres. ".

35. Les requérantes se prévalent de l'avis émis le 19 décembre 2013 par l'autorité de la concurrence, selon lequel la vente des importations parallèles demeure faible en France, ces ventes représentant moins d'un millième du chiffre d'affaires total de la vente de médicaments remboursables en France en 2012, et précisent qu'au cours de la même année le chiffre d'affaires total des ventes de médicaments issus d'importations parallèle en Allemagne, s'élevait à près 3 milliards d'euros. Elles soutiennent que ces éléments tendent à démontrer que l'assujettissement des entreprises commercialisant des spécialités importées à la contribution " taux L ", ou à la remise exonératoire, constitue un frein au commerce de ces spécialités en France, et en déduisent que les dispositions en cause sont constitutives d'une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

36. Cependant, les articles L. 138-10 à 138-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi du 21 décembre 2015, instituent une contribution qui s'applique tant aux ventes des spécialités princeps françaises, ou à celles des médicaments génériques français réalisées au même prix que celles du princeps correspondant, qu'aux ventes des spécialités d'importation parallèle. De plus, il ressort des écritures mêmes des requérantes que l'importance du chiffre d'affaires des ventes de médicaments issus d'importations parallèle réalisé en Allemagne est liée à la faiblesse du prix de la vente de ses spécialités, qui est effectuée au prix coutant par l'importateur de spécialités parallèles, ce dernier bénéficiant en règle générale de conditions tarifaires attractives lors de 1'acquisition de la spécialité dans un autre Etat, membre de l'Union européenne ou partie à l'Accord économique européen, ainsi qu'il a été dit au point 17. Or il ressort également des écritures mêmes des requérantes que le prix de vente en France d'une spécialité d'importation parallèle s'effectue à un niveau inférieur de seulement 5 % à celui du princeps français correspondant, quand bien même le prix du princeps français, contrairement à celui de la spécialité issue d'une importation parallèle, intègre les coûts des études cliniques et les frais nécessaires à 1'obtention d'une autorisation de mise sur le marché, comme il a également été dit au point 17.

37. Dans ces conditions, et en l'absence de toute autre argumentation étayée, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions en cause seraient constitutives d'une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en méconnaissance des principes de libre circulation des marchandises.

38. En deuxième lieu, aux termes de l'article 101.1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur (...) ".

39. Ainsi qu'il a été interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, s'il concerne le comportement des entreprises et ne vise pas les mesures législatives ou réglementaires émanant des Etats membres, cet article, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3 du traité sur l'Union européenne, impose aux Etats de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer son effet utile à l'égard des entreprises. Constitue notamment une telle mesure tout acte par lequel un Etat membre impose ou favorise la conclusion d'ententes contraires à l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

40. Les requérantes n'apportent aucune argumentation étayée à l'appui de leur allégation selon laquelle les dispositions en cause constitueraient des mesures susceptibles d'éliminer l'effet utile des stipulations de l'article 101.1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations ne peut dès lors qu'être écarté.

41. En troisième lieu, aux termes de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. ".

42. Les requérantes n'apportent aucun élément probant ni aucune argumentation étayée tendant à établir que les dispositions en cause affecteraient le commerce entre les Etats membres ou auraient pour effet de permettre à certains distributeurs de spécialités pharmaceutiques d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de cet article ne peut dès lors qu'être écarté.

43. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 12 à 22 du présent arrêt, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les articles L. 138-10 et suivants du code de la sécurité sociale méconnaitraient le principe d'égalité reconnu par le droit de l'Union européenne, ou l'exigence d'objectivité et de rationalité des critères fixés par la loi au regard des objectifs poursuivis par le législateur.

44. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation et de décharge présentées par les sociétés Pharma Lab et Mediwin Limited doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles ni de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense.

Sur les frais liés à l'instance :

45. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la société Pharma Lab et à la société Mediwin Limited de la somme qu'elles demandent au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Les ordonnances n° 1808090/6-3 et n° 1808637/6-3 du tribunal administratif de Paris sont annulées tant qu'elles ont omis de statuer sur la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la liberté d'entreprendre des articles L. 138-10 à L. 138-13 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de l'article 4 de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par les sociétés Pharma Lab et Mediwin Limited.

Article 3 : La requête n° 20PA02789 des sociétés Pharma Lab et Mediwin Limited, et le surplus de leurs requêtes n° 20PA02790 et n° 20PA02791, sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Pharma Lab, à la société Mediwin Limited, au comité économique des produits de santé, à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales d'Ile-de-France, à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Rhône-Alpes et au ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- M. A..., présidente de chambre,

- Mme B..., première conseillère,

- Mme D..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juillet 2021.

L'assesseure la plus ancienne,

A. B...La présidente - rapporteur,

H. A...

La greffière,

C. POVSE

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 20PA02789, 20PA02790, 20PA02791


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02789,20PA02790,20PA02791
Date de la décision : 21/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Validité des actes administratifs - violation directe de la règle de droit - Principes généraux du droit - Égalité devant les charges publiques.

Procédure.

Sécurité sociale - Cotisations - Assiette - taux et calcul des cotisations.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Hélène VINOT
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SCP COLIN - STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-07-21;20pa02789.20pa02790.20pa02791 ?
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