Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris :
1°) d'annuler la décision du 6 février 2018 par laquelle le centre d'action sociale de la ville de Paris a refusé de reconnaître le caractère professionnel des affections dont elle souffre ;
2°) de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 535 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime.
Par un jugement n° 1802288, 1813480/2-3 du 12 mars 2020, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 6 février 2018, a enjoint à la ville de Paris de réexaminer la demande de reconnaissance du caractère professionnel des affections dont souffre Mme E... et a rejeté le surplus des demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, des mémoires et des pièces, enregistrés les 27 avril 2020, 6 juillet 2020, 9 novembre 2020, 14 décembre 2020, 8 février 2021, 18 mai 2021 et 25 mai 2021, Mme E..., représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1802288, 1813480/2-3 du 12 mars 2020 en tant que le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions indemnitaires ;
2°) de condamner la ville de Paris et le centre d'action sociale de la ville de Paris à lui verser la somme de 535 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Paris et du centre d'action sociale de la ville de Paris le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué a rejeté à tort les conclusions dirigées contre le centre d'action sociale de la ville de Paris comme irrecevables dès lors qu'il ne constitue pas une entité distincte de la ville de Paris, que la demande indemnitaire préalable adressée à la ville de Paris doit être regardée comme étant également adressée au centre d'action sociale de la ville de Paris et qu'il appartenait à la ville de Paris de la transmettre au centre d'action sociale de la ville de Paris en application de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- elle a été victime de harcèlement moral depuis 2003 ;
- elle a subi un préjudice financier qu'elle évalue à la somme de 535 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2020, le centre d'action sociale de la ville de Paris, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme E... le versement de la somme de 1 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable faute de demande préalable ;
- les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2021, la ville de Paris, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme E... le versement de la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 27 avril 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 mai 2021 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., première conseillère,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- et les observations de Me Belahouane, avocat de la ville de Paris et du centre d'action sociale de la ville de Paris.
Une note en délibéré et des pièces, présentées par Mme E..., ont été enregistrées les 29 juin 2021 et 30 juin 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... a été recrutée par la ville de Paris le 5 août 2003 en tant qu'agent de la surveillance spécialisée de 2ème classe stagiaire, affectée à la direction de la prévention et de la protection. Ayant accédé par voie de concours à un corps du ministère de l'intérieur, elle a été mise en congé sans traitement à compter du 2 avril 2004. N'ayant pas été titularisée dans ce corps, elle a été réintégrée à la ville de Paris le 19 avril 2005 et titularisée dans le grade d'agent de la surveillance spécialisée de 2ème classe. A la suite de sa réussite au concours interne, Mme E... a été nommée adjoint administratif du centre d'action sociale de la ville de Paris à compter du 1er mai 2007 et radiée des cadres de la ville de Paris. Par courrier du 23 mai 2018 adressé à la ville de Paris, Mme E... a sollicité le versement d'une somme de 535 000 euros en réparation des préjudices subis résultant du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime d'août 2003 à avril 2007 à la ville de Paris et d'avril 2007 au 29 avril 2015 au centre d'action sociale de la ville de Paris. Mme E... relève appel du jugement du 12 mars 2020 en tant que le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions indemnitaires dirigées contre la ville de Paris et le centre d'action sociale de la ville de Paris.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable. Aux termes de l'article L. 114-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les dispositions des sections 1 et 2 du présent chapitre ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents ". Aux termes de l'article L. 114-2 du même code : " Lorsqu'une demande est adressée à une administration incompétente, cette dernière la transmet à l'administration compétente et en avise l'intéressé. "
3. Aux termes de l'article L. 123-6 du code de l'action sociale et des familles : " Le centre d'action sociale est un établissement public administratif communal ou intercommunal. Il est administré par un conseil d'administration présidé, selon le cas, par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale. (...) ". Aux termes de l'article L. 123-7 du même code : " Le centre communal ou intercommunal dispose des biens, exerce les droits et assume les engagements des anciens bureaux de bienfaisance et des anciens bureaux d'assistance, sans qu'il puisse être porté atteinte aux affectations régulièrement établies. / Il dispose des ressources dont bénéficiaient les établissements d'assistance et de bienfaisance auxquels il est substitué. " Aux termes de l'article R. 123-39 du même code : " Le centre communal d'action sociale de Paris, dénommé "centre d'action sociale de la ville de Paris", est soumis à l'ensemble de la législation et de la réglementation applicables aux centres communaux d'action sociale sous réserve des dispositions de la présente sous-section. ".
4. Il résulte de l'instruction que si Mme E... a adressé une demande préalable à la ville de Paris par courrier du 23 mai 2018, elle n'a adressé aucune demande en ce sens au centre d'action sociale de la ville de Paris, lequel est son employeur depuis le 1er mai 2007. D'une part, le centre d'action sociale de la ville de Paris est un établissement public doté d'une personnalité morale et d'un patrimoine propre, distincts de ceux de la ville de Paris en application des articles L. 123-6 et L. 123-7 du code de l'action sociale et des familles. Les circonstances que la maire de Paris préside le conseil d'administration du centre d'action sociale, lequel est chargé de gérer l'action sociale de la ville, et qu'elle ait annoncé un projet de fusion avec la direction de l'action sociale de l'enfance et de la santé de la ville de Paris est sans incidence sur l'obligation pour Mme E... qui recherche la responsabilité du centre d'action sociale de la ville de Paris de lui adresser une demande indemnitaire préalable. D'autre part, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la ville de Paris était tenue de transmettre la demande préalable dont elle l'avait saisie au centre d'action sociale de la ville de Paris en application de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que l'article L. 114-1 du même code n'impose pas une telle obligation dans les relations entre l'administration et ses agents. Par ailleurs, le centre d'action sociale de la ville de Paris en sa qualité d'employeur de Mme E... n'étant pas chargé d'agir au nom et pour le compte de la ville de Paris, la demande indemnitaire préalable adressée à la ville de Paris en vue d'obtenir la réparation des préjudices nés des fautes commises par les deux établissements ne peut, en tout état de cause, être regardée comme ayant été adressée à la fois à la ville de Paris et au centre d'action sociale de la ville de Paris. Enfin, il résulte de l'instruction que le centre d'action sociale de la ville de Paris a été mis en cause en première instance à raison des conclusions dirigées contre lui et a opposé une fin de non-recevoir aux conclusions indemnitaires pour absence de demande préalable. La circonstance que le centre d'action sociale de la ville de Paris a présenté un mémoire en défense en première instance n'est pas, contrairement à ce que fait valoir Mme E..., de nature à régulariser ses conclusions indemnitaires. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté les conclusions indemnitaires dirigées contre le centre d'action sociale de la ville de Paris comme irrecevables.
5. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
6. Les points 2 et 3 du jugement attaqué indiquent les motifs pour lesquels le tribunal a estimé que les conclusions indemnitaires présentées par Mme E... étaient partiellement irrecevables. Le tribunal n'était pas tenu de répondre aux arguments que Mme E... développait au soutien de la recevabilité de ses conclusions, et notamment celui tiré de la méconnaissance de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration, lequel était inopérant. Par suite, le jugement attaqué satisfait aux exigences de motivation posées par l'article L. 9 du code de justice administrative.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
7. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) / Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. ".
8. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
9. Il résulte de l'instruction que Mme E... a été radiée des cadres de la ville de Paris à compter du 1er mai 2007. Par suite, elle n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la ville de Paris à raison d'agissements de harcèlement moral dont elle aurait été victime dans le cadre de son activité professionnelle postérieurement au 1er mai 2007.
10. Pour la période du 1er août 2003 au 1er mai 2007, Mme E... soutient avoir été victime de pressions subies sur son lieu de travail et de harcèlement de ses collègues en vue de lui faire cesser ses fonctions. D'une part, elle n'apporte aucun élément de fait, ni aucune précision sur la nature des agissements qui seraient imputables à ses collègues et à sa hiérarchie. D'autre part, si elle soutient avoir fait l'objet d'agressions physiques, le récépissé de la plainte déposée le 24 mars 2003 indique sans autre précision un litige entre professionnels et l'agression physique dont elle a été victime le 30 mars 2006 pendant le service constitue un incident isolé qui, pour regrettable qu'il soit, ne saurait relever d'agissements répétés susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Enfin, si Mme E... fait valoir que sa titularisation a été retardée, il résulte de l'instruction que l'intéressée a, alors qu'elle était agent de la surveillance spécialisée de 2ème classe stagiaire affectée à la direction de la prévention et de la protection, été reçue au concours à un corps du ministère de l'intérieur et qu'elle n'a été titularisée dans le grade d'agent de la surveillance spécialisée de 2ème classe que lors de sa réintégration à la ville de Paris le 19 avril 2005 au motif qu'elle n'avait pu être titularisée dans le corps du ministère de l'intérieur. Si elle soutient qu'elle n'a pu obtenir sa mutation, il résulte de l'instruction que sa demande concernant un poste d'agent de la surveillance spécialisée des musées de Paris a été refusée faute de poste vacant. La circonstance qu'elle n'a pas été reçue aux épreuves orales du concours d'agent chef ne saurait par elle-même constituer un agissement constitutif de harcèlement moral. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la ville de Paris a méconnu les dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 et a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la ville de Paris et du centre d'action sociale de la ville de Paris, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme que Mme E... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de Mme E... une somme de 1 000 euros à verser au centre d'action sociale de la ville de Paris et une somme de 1 000 euros à verser à la ville de Paris sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Mme E... versera respectivement au centre d'action sociale de la ville de Paris et à la ville de Paris une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., au centre d'action sociale de la ville de Paris et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 18 juin 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme C..., présidente de chambre,
- Mme Julliard, présidente assesseure,
- Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juillet 2021.
La rapporteure,
A-S A...La présidente,
M. C...
La greffière,
S. GASPARLa République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA01254