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21/07/2021 | FRANCE | N°19PA01633

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 21 juillet 2021, 19PA01633


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eurovia Ile-de-France a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 2 266 006,08 euros TTC augmentée des intérêts moratoires au taux de 7,05% et de leur capitalisation au titre du solde du lot 3 du marché de réaménagement des pelouses centrales de l'hippodrome d'Auteuil.

Par un jugement n° 1718130/4-2 du 15 mars 2019, le Tribunal administratif de Paris a donné acte du désistement de la société Eurovia Ile-de-France de ses concl

usions en tant qu'elles portent sur la somme de 31 757,57 euros TTC et a rejeté le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eurovia Ile-de-France a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 2 266 006,08 euros TTC augmentée des intérêts moratoires au taux de 7,05% et de leur capitalisation au titre du solde du lot 3 du marché de réaménagement des pelouses centrales de l'hippodrome d'Auteuil.

Par un jugement n° 1718130/4-2 du 15 mars 2019, le Tribunal administratif de Paris a donné acte du désistement de la société Eurovia Ile-de-France de ses conclusions en tant qu'elles portent sur la somme de 31 757,57 euros TTC et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 mai 2019 et le 19 octobre 2020, la société Eurovia Ile-de-France, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1718130/4-2 du 15 mars 2019 du Tribunal administratif de Paris en tant que, par ce jugement, celui-ci a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) à titre principal, de condamner la ville de Paris à lui verser la somme, à parfaire par la révision, de 2 051 947,80 euros TTC augmentée des intérêts moratoires au taux de 7,05% et de leur capitalisation au titre du solde du marché ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;

4°) de mettre à la charge de la ville de Paris le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'une omission à statuer dès lors que le tribunal ne s'est pas prononcé sur la faute du maître d'ouvrage tenant à l'absence de mission d'organisation, de pilotage et de coordination sur la seconde phase des travaux ;

- elle a droit au paiement d'une somme de 37 985,89 euros TTC au titre des prestations complémentaires exécutées ou, à défaut, une somme de 5 591,50 euros HT admise par le CCIRA de Paris, qui n'entrent pas dans les prévisions du marché forfaitaire et des avenants 1 et 2 ;

- le maître d'ouvrage a commis une faute en modifiant les prestations à sa charge dans des proportions importantes en méconnaissance de l'article 15.3 du CCAG Travaux ;

- le maître d'ouvrage a commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché en décidant de ne pas recourir à un OPC pour la seconde phase des travaux ;

- le maître d'ouvrage a commis des manquements dans ses obligations de définition des besoins eu égard aux multiples modifications de projet intervenues en cours d'exécution ;

- le montant des préjudices qu'elle invoque n'ont pas été pris en compte par les avenants et les devis ;

- elle n'a pas commis de faute dans la mise en œuvre de la coactivité ayant contribué à l'allongement des délais ;

- la responsabilité de la ville de Paris est engagée à raison des sujétions imprévues ayant bouleversé l'économie du marché en dépassant le délai de plus de 16 mois ;

- une expertise doit être diligentée pour déterminer l'étendue des préjudices.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 décembre 2019, la ville de Paris, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Eurovia Ile-de-France la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société Eurovia Ile-de-France ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 18 septembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 octobre 2020 à 12 heures.

Les parties ont été informées, par lettre du 1er juin 2021, en application de l'article R.611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions fondées sur la responsabilité sans faute au titre des sujétions imprévues ayant bouleversé l'économie du contrat, qui procèdent d'une cause juridique distincte de la responsabilité contractuelle et qui sont nouvelles en appel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A..., première conseillère,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- les observations de Me Meyer, avocat de la société Eurovia Ile-de-France,

- et les observations de Me Schvartz, avocat de la ville de Paris.

Une note en délibéré, présentée pour la ville de Paris, a été enregistrée le 24 juin 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Par un appel d'offre ouvert, la ville de Paris a engagé une procédure d'attribution d'un marché public de travaux, à prix global et forfaitaire, relatif à l'aménagement des pelouses centrales de l'hippodrome d'Auteuil, situé dans le Bois-de-Boulogne à Paris, comprenant neuf lots séparés. La société Eurovia Ile-de-France s'est vu attribuer le lot n° 3 " voirie, réseaux divers, petites maçonneries, mobiliers standards " pour un montant prévisionnel de 4 453 038,39 euros HT et pour une durée d'exécution des travaux fixée à 21 mois. Par deux avenants signés les 20 février 2012 et 6 mars 2013, ce montant a été porté à la somme de 4 886 481,11 euros HT. Les travaux ont été réceptionnés le 23 juin 2014. La ville de Paris a établi le décompte général à la somme de 6 181 404,90 euros TTC et l'a notifié à la société Eurovia le 24 mars 2016, qui l'a signé avec réserves le 3 mai 2016. La société Eurovia Ile-de-France a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à lui verser la somme de 2 266 006,08 euros TTC au titre du solde du marché. Le Tribunal administratif de Paris a, par jugement du 15 mars 2019, donné acte du désistement de la société Eurovia Ile-de-France de ses conclusions en tant qu'elles portent sur la somme de 31 757,57 euros TTC et a rejeté le surplus de sa demande. La société Eurovia Ile-de-France relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la condamnation de la ville de Paris à lui verser une somme en exécution de ce marché.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que la société Eurovia Ile-de-France se prévalait, à l'appui du moyen tiré de la faute du maître d'ouvrage notamment dans ses pouvoirs de coordination des opérations, de l'absence de mission d'organisation, de pilotage et de coordination lors de la seconde phase des travaux. La circonstance que le tribunal n'a pas répondu à l'intégralité de l'argumentation présentée à l'appui du moyen tiré de la faute alléguée du maître d'ouvrage ne saurait toutefois constituer une omission de statuer sur ce moyen dès lors que le tribunal s'est expressément prononcé au point 11 du jugement attaqué en énonçant que les éléments avancés et produits par la société à l'encontre du maître d'ouvrage étaient insuffisamment étayés et probants pour établir une carence dans la mission de coordination. Par suite, le tribunal n'a pas entaché son jugement d'omission à statuer.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les préjudices résultant des perturbations subies :

3. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

4. Aux termes de l'article 15.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux : " 15.1. Le montant des travaux s'entend du montant des travaux évalués, au moment de la décision d'augmentation ou de diminution du montant des travaux, à partir des prix initiaux du marché définis à l'article 13.1.1, en tenant compte éventuellement des prix nouveaux, fixés en application de l'article 14.3 ou devenus définitifs en application de l'article 14.4. / Le montant contractuel des travaux est le montant des travaux résultant des prévisions du marché, c'est-à-dire du marché initial éventuellement modifié par les avenants intervenus. ". Aux termes de l'article 15.3 du même cahier : " 15.3. Si l'augmentation du montant des travaux, par rapport au montant contractuel, est supérieure à l'augmentation limite définie à l'alinéa suivant, le titulaire a droit à être indemnisé en fin de compte du préjudice qu'il a éventuellement subi du fait de cette augmentation au-delà de l'augmentation limite. / L'augmentation limite est fixée : - pour un marché à prix forfaitaires, à 5 % du montant contractuel ; (...) ".

5. La société Eurovia Ile-de-France soutient que le maître d'ouvrage a commis une faute dans la conception et la mise en œuvre du marché en modifiant les prestations à sa charge dans des proportions importantes, pour un montant de 2 247 520,47 euros, pour un marché de 4 886 481,11 euros HT, en méconnaissance de l'article 15.3 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux. Toutefois, ces dispositions n'ont pas pour objet de fixer une limite maximale d'augmentation de la masse de travaux mais uniquement de permettre le paiement à l'entrepreneur de travaux supplémentaires dès lors que la masse initiale a été augmentée de plus de 5%, sans que la circonstance que le marché ait été conclu à prix forfaitaire y fasse obstacle. Par suite, et ainsi que le fait valoir la ville de Paris, l'augmentation de la masse des travaux au-delà de 5% par rapport au montant initial des travaux n'est pas par elle-même constitutive d'une méconnaissance de l'article 15.3 du CCAG Travaux et, par suite, d'une faute du maître d'ouvrage.

6. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L'expert peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre l'initiative, avec l'accord des parties, d'une telle médiation. (...) ".

7. La société Eurovia Ile-de-France soutient que l'allongement du chantier est imputable aux fautes du maître d'ouvrage et demande en conséquence la réparation des préjudices résultant de l'allongement de ce chantier. Elle fait valoir, d'une part, qu'en retenant des prestations en plus-value de 1 111 428,11 euros HT et des prestations en moins-value de 1 136 092,36 euros HT pour un montant du marché, après avenants, de 4 886 481,11 euros HT, le maître d'ouvrage a procédé à de multiples modifications du projet en cours d'exécution du marché, représentant la moitié du montant du marché et a ainsi commis une faute dans l'estimation des besoins et dans la conception du marché. Si la ville de Paris conteste les modalités de calculs de la société et soutient que les modifications ne présentent pas de caractère substantiel, il résulte de l'instruction que des ajouts et suppressions de prestations ont été apportés en cours d'exécution du marché et que l'ampleur des travaux modificatifs atteint la moitié du montant des travaux. La société Eurovia Ile-de-France fait valoir, d'autre part, que la ville de Paris a commis une faute dans sa mission de coordination des travaux en ne recourant pas à une mission d'organisation, de pilotage et de coordination lors de la seconde phase des travaux.

8. L'instruction devant la Cour ne permettant pas, en l'état, notamment de déterminer les fautes commises et d'évaluer l'étendue des préjudices supportés, une expertise s'avère nécessaire afin de permettre à la Cour de déterminer et d'apprécier, d'une part, l'origine et l'étendue de l'allongement des travaux et, d'autre part, l'existence et l'étendue exacte du préjudice éventuellement subi par la société Eurovia Ile-de-France du fait de l'allongement global du chantier, des manquements éventuels directement imputables à la ville de Paris, maître d'ouvrage, ainsi que des montants qui lui ont été alloués par les deux avenants à son marché et qui pourraient couvrir, en partie ou en totalité, ces préjudices. Il y a lieu dès lors, avant de statuer sur la requête de la société Eurovia Ile-de-France, d'ordonner une mesure d'expertise aux fins et conditions précisées ci-après.

DECIDE :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de la société Eurovia Ile-de-France, procédé par un expert désigné par le président de la Cour, à une expertise avec mission :

1°) de se faire communiquer l'ensemble des pièces du marché et toutes autres pièces utiles à l'exécution de sa mission ;

2°) de dresser un constat des difficultés rencontrées par la société Eurovia Ile-de-France dans l'exécution des travaux qui lui ont été confiés au titre du lot n° 3 du marché et de déterminer l'origine et l'étendue des retards ayant affecté l'exécution de ce lot en précisant s'ils sont imputables à l'allongement global du chantier ou à des causes propres à l'exécution de ce lot ;

3°) de donner notamment un avis motivé sur ces causes en précisant, le cas échéant par comparaison avec d'autres marchés comparables :

- si chacune des deux parties a accompli les diligences qui lui étaient dévolues conformément aux règles de l'art et aux obligations contractuelles ;

- si, eu égard aux caractéristiques et spécificités du marché et à l'ampleur des modifications par rapport aux coûts estimés initialement, au détail des coûts réellement exposés et aux travaux exécutés, l'allongement du chantier est imputable à un éventuel manquement dans la définition des besoins et dans la conception du marché ;

- si, eu égard aux caractéristiques et spécificités du marché, l'allongement du chantier est imputable à un éventuel défaut de coordination au cours de la seconde phase des travaux ;

- dans le cas de causes multiples, les éléments permettant d'évaluer les proportions relevant de chacune d'elles ;

4°) d'évaluer, le cas échéant, les conséquences financières des difficultés et retards rencontrés par la société Eurovia Ile-de-France à la suite de l'allongement du chantier en précisant, pour les différents chefs de préjudices, la cause des coûts supplémentaires exposés et, en cas de causes multiples, la part revenant à chacune de ces causes ainsi que d'indiquer si une partie ou la totalité de ces coûts a déjà été prise en compte par les deux avenants au marché de la société Eurovia Ile-de-France ;

5°) de recueillir tous éléments et faire toutes autres constatations utiles de nature à éclairer la Cour dans son appréciation des responsabilités éventuellement encourues et des préjudices subis.

Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la Cour dans sa décision le désignant.

Article 3 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 4 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eurovia Ile-de-France et à la ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme C..., présidente de chambre,

- Mme Julliard, présidente assesseure,

- Mme A..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juillet 2021.

La rapporteure,

A-S A...La présidente,

M. C...La greffière,

S. GASPARLa République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19PA01633


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01633
Date de la décision : 21/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05 Marchés et contrats administratifs. - Exécution financière du contrat.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie MACH
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : CLL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-07-21;19pa01633 ?
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