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30/06/2021 | FRANCE | N°20PA03160

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 30 juin 2021, 20PA03160


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... I... a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler, d'une part, la décision implicite par laquelle le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation présentée en qualité de victime, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, et d'autre part, la décision explicite du 5 décembre 2018 par laquelle le CIVEN a rejeté sa dem

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... I... a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler, d'une part, la décision implicite par laquelle le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation présentée en qualité de victime, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, et d'autre part, la décision explicite du 5 décembre 2018 par laquelle le CIVEN a rejeté sa demande, et de condamner le CIVEN à lui verser la somme de 148 986 euros au titre de la réparation intégrale des préjudices subis.

Par un jugement n° 1710236-1901180 du 31 août 2020, le Tribunal administratif de Melun a mis à la charge du CIVEN la réparation intégrale des préjudices subis, a condamné le CIVEN à verser à M. I... la somme de 10 000 euros à titre de provision, et a ordonné une expertise médicale en vue de l'évaluation des préjudices.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrée le 30 octobre 2020 et 28 avril 2021, le CIVEN demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise sur l'évaluation des dommages.

Il soutient que :

- M. I... n'a pas été exposé à une dose engagée supérieure à 1 millisievert (1mSv) ;

- M. I... a porté trois dosimètres individuels, qui ont révélé des doses nulles ;

- la reconstitution de la dosimétrie d'ambiance au Centre d'expérimentations militaires des oasis (CEMO) a indiqué que durant toute sa période de présence, les résultats mesurés par les filtres ont atteint un maximum de 0,026 Bq.m3, soit une dose inférieure à 1mSv.

Par un mémoire en reprise d'instance et un mémoire en défense, enregistré le 25 février 2021, Mme D... J... veuve I..., ayant droit de M. I..., représentée par Me H..., conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à la condamnation du CIVEN à lui verser, au titre de l'action successorale, la somme de 130 105 euros assortie des intérêts à taux légal avec leur capitalisation ;

3°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge du CIVEN au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- les nouvelles dispositions de la loi du 5 janvier 2010, dans leur rédaction issue de la loi du 28 décembre 2018, vont à l'encontre de l'esprit du législateur ;

- M. I... remplit les conditions de lieu, de temps et de pathologie pour être indemnisé ;

- le CIVEN ne rapporte pas la preuve de ce que M. I... a été exposé à une dose efficace inférieure à 1mSv.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B..., présidente,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- et les observations de Me H..., avocate de Mmes I... et M. I....

Considérant ce qui suit :

1. M. E... I... a présenté, le 7 mars 2017, une demande d'indemnisation en qualité de victime des essais nucléaires devant le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Par une décision implicite née de son silence, puis par une décision expresse du 5 décembre 2018, le CIVEN a rejeté sa demande, au motif que l'intéressé avait été exposé à des doses efficaces inférieures au seuil de 1 mSv (millisievert). Le CIVEN relève appel du jugement du 31 août 220 par lequel le tribunal administratif de Melun a mis à sa charge la réparation intégrale des préjudices subis par M. I..., l'a condamné à verser à M. I... une provision de 10 000 euros, et a ordonné une expertise en vue de l'évaluation des préjudices.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " I. Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./II. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit. (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : / 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ; / 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. / (...) ". Aux termes du I de l'article 4 de la même loi : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...) ". Aux termes de l'article 4 de ladite loi, dans sa rédaction issue de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : " V.- Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique ". Enfin, aux termes de l'article R. 1333-11 du code de la santé publique : " Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12 (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions éclairées par les travaux parlementaires, applicables au présent litige que, sauf s'il est établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 millisievert en exposition externe et en contamination interne, le demandeur qui satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie.

4. Il est constant que M. I... remplit les conditions de temps et de lieu de séjour définies à l'article 2 précitées de la loi du 5 janvier 2010 et qu'il est atteint d'une des maladies inscrites sur la liste des maladies mentionnée à l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 et annexée au décret du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Dès lors, il bénéfice de la présomption de causalité mentionnée ci-dessus.

5. Pour refuser à M. I... la reconnaissance de la qualité de victime des essais nucléaires français, le CIVEN soutient que ce dernier a été exposé à une dose engagée inférieure à la limite de 1 millisievert. Il se prévaut de ce que l'intéressé a porté trois dosimètres individuels qui ont montré une dose nulle lors des trois essais souterrains en cause, de ce que les mesures d'exposition interne de M. I... aux rayonnements ionisants, résultant des dosimétries d'ambiance effectuées à In Ecker et à Oasis 2, ont été évaluées à moins d'1 mSv dans les douze mois suivant chaque tir.

6. Il résulte de l'instruction que M. I..., appelé du contingent affecté au site des essais nucléaires français d'In Ecker (Algérie), du 17 juillet 1965 au 23 juillet 1966, a été contemporain de trois essais nucléaires souterrains, Corindon, Tourmaline et Grenat, effectués les 1er octobre 1965, 1er décembre 1965 et 16 février 1966. M. I... soutient, sans être contredit, que dans le cadre de ses fonctions de magasinier et de vaguemestre, il réceptionnait des véhicules revenant notamment d'opérations au point zéro pour réparations, et que ces activités impliquaient notamment le maniement des pièces détachées neuves ou usagées provenant desdits véhicules, de sorte qu'une contamination par transmission cutanée ou par inhalation n'est pas à exclure.

7. Il résulte également de l'instruction que M. I... n'a porté de dosimètres individuels, lesquels ne mesurent que la contamination externe, qu'à trois reprises, lors des trois essais nucléaires dont il a été contemporain, sans qu'aucun autre relevé ait été réalisé. Si le CIVEN soutient que la dosimétrie d'ambiance reconstituée à In Ecker et à Oasis 2 était constamment inférieure à 1mSv, il ressort des pièces produites par le CIVEN que les données de la radioactivité bêta dans l'air à la base-vie n'ont pas été mesurées le 1er octobre 1965, jour de l'essai Corindon, et que ces mesures n'ont pas été retrouvées pour tout le mois de décembre 1965, soit durant l'essai Touramilin. Il résulte en outre de l'instruction que les données de la radioactivité bêta dans l'air à Oasis 2 n'ont pas été mesurées les 1er et 2 octobre 1965, et qu'elles n'ont pas été retrouvées pour tout le mois de décembre 1965, périodes des essais Corindon et Tourmaline. Ainsi, les données de la radioactivité bêta dans l'air relatives aux trois essais nucléaires dont M. I... a été contemporain font défaut. Enfin, il n'est pas contesté par le CIVEN, qui ne produit aucune donnée relative au cas de personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, que M.I... n'a fait l'objet d'aucune surveillance radio-toxicologique mesurant sa contamination interne lors de son séjour au centre d'expérimentation militaire des oasis. Dès lors, le CIVEN, qui n'établit pas que M. I... a été exposé à une dose efficace engagée inférieure à 1 mSv, ne renverse pas la présomption de causalité.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le CIVEN n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a mis à sa charge la réparation intégrale des préjudices subis par M. I..., l'a condamné à verser à M.I... une provision de 10 000 euros, et a ordonné une expertise en vue de l'évaluation des préjudices.

Sur les conclusions tendant à ce que soit ordonnée une expertise :

9. Il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise, celle-ci ayant déjà été ordonnée par les premiers juges.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CIVEN le versement à Mme I... d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête du CIVEN est rejetée.

Article 2 : Le CIVEN versera à Mme I... une somme de 1 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), à Mme D... I..., M. F... I... et mme séverine I... épouse C....

Copie en sera adressée à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme B..., présidente de chambre,

- Mme G..., présidente assesseure,

- Mme A..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2021.

La présidente-rapporteure,

M. B...L'assesseure la plus ancienne,

M. G...La greffière,

S. GASPAR

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 20PA03160 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA03160
Date de la décision : 30/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Application dans le temps - Texte applicable.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Mireille HEERS
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : CABINET TEISSONNIERE-TOPALOFF-LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-06-30;20pa03160 ?
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