Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme F... A... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011, en droits et majorations.
Par un jugement n° 1619151 du 17 avril 2019 du tribunal administratif de Paris, à qui la demande a été transmise par une ordonnance du 2 novembre 2016 du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Montreuil, la demande a été rejetée.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 13 juin 2019, le 7 octobre 2020 et le 30 novembre 2020, Mme A... et la succession de M. F... A..., représentés par Me C..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1619151 du 17 avril 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge ou, à titre subsidiaire, la réduction, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquels M. et Mme A... ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011, en droits et majorations ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme A... et la succession de M. F... A... soutiennent que :
- le tribunal a omis de statuer sur l'application de la convention franco-suisse ;
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ;
- les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ont été méconnues ;
- l'administration a implicitement mis en oeuvre les dispositions relatives à l'abus de droit ;
- les avances consenties par l'EURL Navajo et la SCI SLJ ne constituent pas des revenus réputés distribués, imposables sur le fondement du a) de l'article 111 du code général des impôts ;
- les conditions d'application de ces dispositions ne sont pas remplies, dès lors que l'administration ne démontre pas que les prêts consentis par la société Navajo à la SCI aurait eu le caractère de prêt consenti à M. A..., qui n'était tenu à aucun remboursement ;
- le compte courant de M. A... ayant augmenté au cours de l'année 2010, l'administration n'apporte pas la preuve que l'associé a disposé d'une avance de la part de la SCI SLJ ; s'agissant de l'année 2011, l'avance consentie par la société Navajo à la SCI a été partiellement affectée à une réduction de l'endettement et n'a pas constitué une avance à M. A... ;
- la compensation légale du fait du montant des soldes créditeurs du compte courant ouvert au nom de M. A... dans les livres de la société au cours des années d'imposition est applicable ;
- la SCI n'est pas une société interposée dès lors que l'emprunt présentait un intérêt économique pour elle ; l'existence des emprunts a été justifiée et la société Navajo n'a pas entendu réaliser de libéralité au profit de la SCI ;
- elle est fondée à se prévaloir de la réponse ministérielle à M. B... du 17 janvier 1958 et du paragraphe 130 du BOI-RPPM-RCM-10-20-20-20 ;
- les rectifications doivent être plafonnées à hauteur de la réduction du compte courant d'associé dans la SCI SLJ au cours de l'année 2011 ;
- l'application de la majoration pour manquement délibéré n'est pas justifiée.
Par des mémoires en défense enregistrés le 15 janvier 2020 et le 26 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées par un courrier du 12 mai 2021, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la solution du litige était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des moyens tirés de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif, qui se rattachent à une cause juridique distincte de celle dont relèvent les moyens soulevés avant l'expiration du délai d'appel.
Mme A... et la succession de M. A... ont présenté des observations enregistrées le 17 mai 2021, soutenant que les moyens invoqués sont dirigés contre le bien-fondé du jugement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 9 septembre 1966 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E... ;
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public ;
- et les observations de Me C..., pour Mme A... et la succession de M. F... A....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., alors résidents fiscaux suisses, ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces de leurs déclarations de revenus, à l'issue duquel une proposition de rectification du 21 novembre 2013 leur a été notifiée. En conséquence de ce contrôle, ils ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu sur le fondement du a) de l'article 111 du code général des impôts, au taux de 15 % prévu au a) du 2 de l'article 11 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966, assorties d'intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré prévue au a) de l'article 1729 du même code au titre des années 2010 et 2011. Mme A... et la succession de M. F... A... font appel du jugement du 17 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande introduite par M. et Mme A... tendant à la décharge, en droits et majorations, de ces impositions.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : a. Sauf preuve contraire, les sommes mises à la disposition des associés directement ou par personnes ou sociétés interposées à titre d'avances, de prêts ou d'acomptes (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que M. A... a créé le 27 février 2007 la société civile immobilière (SCI) SLJ, dont il détient 99,99 % des parts, qui est propriétaire de trois biens immobiliers mis à disposition à titre gratuit à ses associés. Au cours de la vérification de comptabilité dont a fait l'objet cette société, le service a constaté que M. A... détenait dans la SCI à la fin de l'année 2011 trois comptes courants créditeurs, les apports de M. A... correspondant au financement des travaux et constructions réalisés dans ces biens immobiliers, et qu'un prêt bancaire de 3 462 000 euros que la SCI avait contracté le 9 juin 2009 était remboursé par M. A.... Par ailleurs, la société Navajo a consenti le 22 novembre 2010 un prêt de 1 300 000 euros à la SCI sur une période de trois mois renouvelables au taux effectif global de 2,5 % par an, puis, le 26 décembre 2011, un second prêt de 800 000 euros pour une durée d'un an au même taux, très inférieur au taux du marché de l'ordre de 6 % à la même période.
5. Le service a également constaté que les fonds correspondant à ces prêts, qui n'ont pas été enregistrés, ont été immédiatement appréhendés par M. A..., ainsi qu'en attestent les mouvements du compte bancaire de la SCI. Après avoir rappelé que la société Navajo a perçu au titre de la tournée intitulée " M'arrêter là " une somme de 15 430 676 euros, dont 12 000 096 euros avaient déjà été appréhendés par M. A... en franchise d'impôt grâce à un premier montage juridique, le service a estimé que le solde de 3 430 580 euros avait été appréhendé par M. A... à hauteur de 2 300 000 euros au travers d'une avance consentie par la société Navajo à la SCI SLJ, qui s'est endettée sans motif auprès de la société Navajo, dès lors qu'elle n'était pas en mesure de rembourser les prêts en l'absence de revenus. Il en a conclu que l'opération avait été réalisée dans le seul but de permettre à M. A... d'appréhender, par l'interposition de la SCI, une partie du bénéfice généré par la tournée en conférant à ces distributions le caractère de prêts consentis par la société Navajo, dont M. A... détient la totalité des parts, prêts qui n'ont pas fait l'objet d'un début de remboursement. Estimant que les avances avaient en fait été consenties à M. A... en sa qualité de bénéficiaire réel de la distribution, il a imposé M. A... à l'impôt sur le revenu sur le fondement des dispositions précitées du a) de l'article 111 du code général des impôts, au taux de 15 % prévu au a) du 2 de l'article 11 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966, la retenue à la source ne s'appliquant pas en application du 2 de l'article 119 bis du même code.
6. Il résulte toutefois de l'instruction que l'administration, aussi bien en défense qu'au stade de la procédure contradictoire de rectification, conteste en réalité que les sommes en litige mises à la disposition de l'associé par une société interposée ont le caractère d'avances, de prêts ou d'acomptes effectués par la société Navajo au profit de M. A..., par l'interposition de la SCI SLJ. Ainsi, le ministre, qui utilise d'ailleurs le terme " prêt " entre guillemets et fait référence à plusieurs reprises à un " précédent " montage, reconnaît que les sommes en cause ne résultent pas de prêts, mais d'un montage à visée dissimulatrice, en indiquant que les versements reçus par M. A... correspondent à une partie des bénéfices de la tournée " M'arrêter là ", que l'intéressé a perçue en franchise d'imposition au travers d'apparents remboursements de comptes courants d'associé créditeur et de conventions de prêts entre la société Navajo et la SCI SLJ, cette société n'étant qu'un intermédiaire. Ce faisant, contrairement à ce que soutient le ministre, l'administration ne s'est pas bornée à qualifier des opérations, à interpréter des actes et à tirer les conséquences fiscales du virement de la SCI SLJ à M. A... le lendemain du versement des prêts à la SCI, mais a déduit de la succession d'opérations décrite qu'à travers " d'apparents remboursements de compte courant d'associé créditeur ", " le service ayant démontré que la SCI SLJ n'a fait que s'interposer entre la société Navajo et M. A... ", ce dernier était le bénéficiaire réel des sommes en cause, ce qui lui a permis de percevoir le solde de la tournée en franchise d'impôt, après avoir restitué aux opérations en cause la véritable portée que les parties avaient voulu leur donner et qui avait été dissimulée, dans le seul but d'éluder l'impôt. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que l'administration a fait application de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales sans leur accorder les garanties y afférentes.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... et la succession de M. A... sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande. Ce jugement doit, dès lors, être annulé et les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquels M. et Mme A... ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011, en droits et majorations, sur le fondement du a) de l'article 111 du code général des impôts, doivent être déchargées.
Sur les frais liés au litige :
8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des frais que Mme A... et la succession de M. A... ont exposés, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1619151 du 17 avril 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Mme A... et la succession de M. F... A... sont déchargées des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquels M. et Mme A... ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011, en droits et majorations, sur le fondement du a) de l'article 111 du code général des impôts.
Article 3 : L'État versera à Mme A... et à la succession de M. F... A... la somme globale de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et à la succession de M. A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au directeur national des vérifications de situations fiscales.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- M. E..., président assesseur,
- Mme Marion, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 juin 2021.
Le rapporteur,
F. E...Le président,
S.-L. FORMERY
La greffière,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01918