Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Intersolvafarm a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler une décision non datée du ministre de l'agriculture et de l'alimentation en tant qu'elle refusait de lui délivrer un agrément définitif pour le modèle de boucle auriculaire à prélèvement de cartilage " Flexo plus geno " (FR 10).
Par un jugement n° 1718194 du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 mars 2020 et 18 mars 2021, la société Intersolvafarm, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1718194 du 16 janvier 2020 ;
2°) d'annuler la décision par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé de lui délivrer un agrément définitif pour le modèle de boucle auriculaire à prélèvement de cartilage " Flexo plus geno " (FR 10) ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'agriculture et de l'alimentation d'octroyer au produit " Flexo plus geno (FR 10) " l'agrément définitif prévu à l'article R. 212-72 du code rural et de la pêche maritime ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision contestée méconnaît l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration dès lors qu'elle ne mentionne pas le nom et la qualité de son auteur ; cette obligation a pour objet de permettre au destinataire d'une décision d'en identifier l'auteur et s'applique donc à l'ampliation d'une décision ;
- la décision contestée n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-1 et des 4° et 7° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ; l'agrément temporaire dont elle bénéficiait constitue une décision créatrice de droit malgré son caractère temporaire ;
- l'inviolabilité du dispositif avait été définitivement reconnue à la suite des tests en laboratoire, conformément à l'annexe n° 1 de l'arrêté du 26 juin 2012 ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant au critère de l'inviolabilité ;
- l'institut de l'élevage a soumis son dispositif à un test de pression, irrégulier car non prévu par l'annexe de l'arrêté du 26 juin 2012, qui ne prévoit qu'un test de traction ;
- l'agrément pouvait être délivré sous réserve d'une utilisation couplée au modèle Flexo Plus ;
- la décision contestée est motivée par l'existence d'une offre concurrente, ce qui porte atteinte aux principes de liberté du commerce et de l'industrie et de libre concurrence, en instituant un monopole de fait au profit de la société Allflex Chevillot.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 février 2021, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et la pêche maritime ;
- l'arrêté du 26 juin 2012 relatif à l'agrément des matériels d'identification destinés à l'identification officielle des animaux des espèces bovine, ovine, caprine et porcine ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Intersolvafarm a sollicité l'agrément de deux modèles de boucles auriculaires destinés à l'identification de bovins d'élevage, un modèle dit " à tête fermée ", " Flexo plus (FR 09) " et le modèle " Flexo plus geno (FR 10) ", qui permet à la fois l'identification de l'animal et le prélèvement de cartilage et dispose, pour ce faire, d'une " tête ouverte ". Par un courrier non daté, le ministre chargé de l'agriculture a accordé un agrément au modèle " Flexo Plus (FR 09) ", a abrogé l'agrément provisoire accordé le 4 août 2015 au modèle " Flexo plus geno (FR 10) " et a rejeté la demande d'agrément définitif de ce second modèle. La société Intersolvafarm a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de cette décision en tant qu'elle refusait de lui délivrer un agrément définitif pour le modèle de boucle auriculaire " Flexo plus geno (FR 10) ". Elle fait appel du jugement du 16 janvier 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la décision notifiée à la société requérante comporte une signature mais la qualité de ce signataire, ainsi que son nom et son prénom, n'apparaissent pas. La pièce produite par l'administration ne suffit pas à établir que l'original de la décision, qui n'est en outre pas datée, aurait porté les mentions requises par l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. En outre, la circonstance qu'un courrier comportant la même signature et ces mentions a été adressé à la société Intersolvafarm le 15 novembre 2016 ne suffit pas, compte tenu notamment des délais écoulés et du nombre des informations manquantes, pour considérer que la requérante pouvait identifier l'auteur de la décision contestée. La décision contestée a ainsi été prise en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration.
4. En deuxième lieu, l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 (...) sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. " Aux termes de l'article L. 211-2 du même code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2o de l'article L. 311-5 ; ".
5. La décision par laquelle le ministre chargé de l'agriculture a refusé de délivrer à la société Intersolvafarm un agrément définitif pour le modèle de boucle auriculaire à prélèvement de cartilage " Flexo plus geno (FR 10) " a été prise en réponse à une demande de la société. Dès lors, elle n'avait pas à être précédée d'une procédure contradictoire préalable. Par ailleurs, la circonstance que la décision par laquelle le ministre chargé de l'agriculture a abrogé l'agrément provisoire accordé à ce modèle aurait été prise à l'issue d'une procédure irrégulière est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision contestée refusant un agrément définitif. Ainsi, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de refus d'agrément au regard des dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 212-8 du code rural et de la pêche maritime : " Un décret définit les matériels et procédés permettant d'identifier les animaux en vue d'assurer leur traçabilité et celle de leurs produits, les conditions d'utilisation de ces matériels et procédés ainsi que les conditions dans lesquelles ces matériels et ceux qui les fabriquent sont agréés par l'autorité administrative ". Aux termes de l'article D. 212-74 du même code : " L'agrément est délivré après avis de l'Institut de l'élevage (...) sur la conformité des repères d'identification à des spécifications techniques décrites dans un cahier des charges. / Ce cahier des charges est homologué par le ministre chargé de l'agriculture. La vérification de la conformité des repères d'identification à des spécifications techniques décrites dans un cahier des charges comporte des tests de laboratoires et, le cas échéant, de terrain, dont les modalités de réalisation par espèce sont fixées par arrêté du ministre chargé de l'agriculture. / Au vu de résultats intermédiaires non concluants, l'agrément d'un repère d'identification peut être refusé, sans attendre les résultats complets des tests. / Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, un agrément provisoire peut être délivré pour des repères d'identification dont la conformité n'a pas été vérifiée à l'issue de tests de terrain ou pour des repères d'identification utilisés à des fins expérimentales ou à des fins de tests d'un modèle si aucune donnée technique officielle n'est encore disponible. L'agrément provisoire est délivré pour une période maximale de trente mois. (...) / La conformité des repères d'identification agréés par rapport aux spécifications techniques décrites dans le cahier des charges peut être vérifiée par la réalisation de tests officiels sur les matériels issus des chaînes de fabrication / (...) ".
7. Aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 26 juin 2012 relatif à l'agrément des matériels d'identification destinés à l'identification officielle des animaux des espèces bovine, ovine, caprine et porcine : " Les cahiers des charges contenant les spécifications techniques auxquelles doivent répondre les repères d'identification homologués pour les bovins, ovins, caprins, porcins par le ministre chargé de l'agriculture en application de l'article D. 212-74 susvisé figurent en annexe de cet arrêté. " Selon le point 1.5 du cahier des charges, relatif à l'espèce bovine, intitulé " inviolabilité " : " Le repère n'est pas réutilisable (art. 2 du règlement UE 911/2004) : / - toute séparation des éléments mâle et femelle du système d'encliquetage doit conduire à la destruction du repère le rendant de ce fait non-réutilisable (état irréapposable), / - en cas de ré-apposition frauduleuse, des traces restent apparentes. / Repère irréapposable (ou non réutilisable) : repère qui présente une rupture (totale ou partielle) du système d'encliquetage ou d'un allongement de la longueur du fût ne permettant pas la réapposition du repère en conditions normales (au moyen d'une pince) ".
8. Aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 26 juin 2012 relatif à l'agrément des matériels d'identification destinés à l'identification officielle des animaux des espèces bovine, ovine, caprine et porcine : " Les modalités de réalisation des tests préliminaires, des tests de laboratoire et, le cas échéant, de terrain permettant de vérifier la conformité des matériels d'identification aux spécifications techniques décrites dans le cahier des charges homologué figurent en annexe de cet arrêté. / Les modalités de réalisation de ces tests figurent en partie 2 de chacune des annexes du présent arrêté ". Aux termes du point 2.1 du cahier des charges relatives à l'espèce bovine annexé à cet arrêté : " L'évaluation des matériels repose sur 3 phases de test successives selon une progression en mode " pas à pas " : - Etape 1, tests préliminaires, / - Etape 2, tests de laboratoire, - Etape 3, essais de terrain. NB : Chaque phase de test doit être réalisée avec succès pour que la phase suivante soit engagée (...) ". Aux termes du point 2.3.1 : " Les tests de laboratoires ont pour but : (...) d'évaluer l'inviolabilité du repère (...) ".
9. Enfin, aux termes de l'article 10 du même arrêté : " Une fois les tests visés à l'article 6 du présent arrêté effectués, l'Institut de l'élevage (...) rend son avis au ministre chargé de l'agriculture. Ensuite, le ministre chargé de l'agriculture statut sur la demande d'agrément du matériel et fait part de sa décision au fabricant ou au revendeur du matériel d'identification concerné (...) ".
10. D'une part, il ressort de ces dispositions que l'Institut de l'élevage rend un avis au ministre chargé de l'agriculture. La société requérante ne peut dès lors utilement soutenir que la réalisation d'essais de terrain aurait définitivement validé l'inviolabilité de son dispositif.
11. D'autre part, si le cahier des charges relatif à l'espèce bovine ne mentionne pas, parmi les tests en laboratoires, de test de " pression ", l'institut de l'élevage n'a pas pour autant soumis le modèle en cause à un test non prévu par les textes, dès lors qu'il est prévu que l'inviolabilité du repère doit être évaluée.
12. Enfin, il ressort du rapport définitif de l'institut de l'élevage du 28 juillet 2017 que, s'agissant du critère d'inviolabilité, si les boucles Flexo Plus Geno ont passé le test de traction, " le concept de prélèvement basé sur une tête ouverte permet de séparer les éléments mâle et femelle en exerçant une pression (et non un étirement) sur la pointe de la partie mâle au travers de la tête ouverte de la partie femelle (...) Une telle séparation des éléments conduit à un état réutilisable. La boucle " déclippée " peut alors être " reclippée " sans difficulté à la manière d'une boucle neuve. Une telle opération ne laisse pas apparaître de traces suffisamment apparentes pour éviter la confusion entre une boucle neuve et une boucle réutilisée. De ce point de vue, le modèle FR 10 Flexo Plus Geno ne respecte pas l'exigence d'inviolabilité ". En se bornant à faire valoir que le rapport provisoire établi par l'Institut de l'élevage le 15 juillet 2015 avait relevé que les boucles Flexo Plus Geno avait passé le test de traction et que des essais de terrains ont été menés, la société Intersolvafarm n'apporte aucun élément de nature à contredire les constatations de l'Institut quant à la possibilité d'une réutilisation des produits d'identification en cause en cas de séparation par pression. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le ministre chargé de l'agriculture aurait entaché la décision contestée d'une erreur de fait ou méconnu les dispositions précitées de l'article R. 212-72 du code rural et de la pêche maritime.
13. En quatrième lieu, il ressort des dispositions précitées que l'agrément d'un repère d'identification pour bovin implique qu'il satisfasse aux spécifications techniques prévues par le cahier des charges correspondance et notamment qu'il remplisse le critère d'inviolabilité. Par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que l'utilisation couplée des modèles Flexo Plus FR 09 et Flexo Plus Geno FR 10 permet de répondre à ce critère.
14. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision contestée serait motivée par la circonstance que le modèle de repère d'identification permettant le prélèvement d'échantillons de cartilage d'une société concurrente a été agréé. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance de la liberté du commerce et de l'industrie et du principe de libre concurrence doivent être écartés.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Intersolvafarm est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision non datée du ministre de l'agriculture et de l'alimentation en tant qu'elle refusait de lui délivrer un agrément définitif pour le modèle de boucle auriculaire à prélèvement de cartilage " Flexo plus geno " (FR 10).
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
16. Le motif retenu dans le présent arrêt pour annuler la décision contestée n'implique pas nécessairement que l'administration fasse droit à la demande d'agrément de la société Intersolvafarm. En revanche, ce motif implique que l'administration procède à un nouvel examen de cette demande.
Sur les frais liés au litige :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1718194 du 16 janvier 2020 et la décision du ministre de l'agriculture et de l'alimentation contestée sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'agriculture et de l'alimentation de réexaminer la demande de la société Intersolvafarm.
Article 3 : L'Etat versera à la société Intersolvafarm une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Intersolvafarm et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Délibéré après l'audience du 20 mai 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Gobeill, premier conseiller,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 juin 2021.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA00982 2