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18/06/2021 | FRANCE | N°21PA00364

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3eme chambre, 18 juin 2021, 21PA00364


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... et Mme E... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les deux arrêtés du 9 novembre 2020 par lesquels le préfet de police a prononcé leur transfert aux autorités suédoises.

Par un jugement n° 2019543-2019544 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé ces arrêtés.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête n° 21PA00364 et un mémoire ampliatif enregistrés les 21 janvier 2021 et 22 mars 2021, le préfet de police demande

la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme A......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... et Mme E... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les deux arrêtés du 9 novembre 2020 par lesquels le préfet de police a prononcé leur transfert aux autorités suédoises.

Par un jugement n° 2019543-2019544 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé ces arrêtés.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête n° 21PA00364 et un mémoire ampliatif enregistrés les 21 janvier 2021 et 22 mars 2021, le préfet de police demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de ce que l'absence de remise des pages 15 et 16 de la brochure B aurait entaché la procédure d'irrégularité et privé les intéressés de la garantie prévue à l'article 4 du règlement n° 604/2013 ;

- les autres moyens soulevés devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.

II. Par une requête n° 21PA00365 enregistrée le 21 janvier 2021, le préfet de police demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 17 décembre 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme A... devant le tribunal.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de ce que l'absence de remise des pages 15 et 16 de la brochure B aurait entaché la procédure d'irrégularité et privé les intéressés de la garantie prévue à l'article 4 du règlement n° 604/2013 ;

- les autres moyens soulevés devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.

Les requêtes ont été communiquées à M. et Mme A..., qui n'ont pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan né le 18 mai 1968, et Mme A..., ressortissante afghane née le 8 mars 1974, ont fait l'objet de deux arrêtés du 9 novembre 2020, notifiés le même jour, par lesquels le préfet de police a décidé leur transfert aux autorités suédoises. Le préfet de police relève appel du jugement 17 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé ces arrêtés et lui a enjoint de réexaminer les demandes d'asile de M. et Mme A....

2. Le document enregistré sous le n° 21PA00365 constituant un doublon de la requête présentée par le préfet de police enregistrée sous le numéro 21PA00364, il doit être rayé du registre du greffe de la cour et joint à la requête n° 21PA00364, sur laquelle il est statué par le présent arrêt.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

3. En vertu du paragraphe 3 de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 et des paragraphes 2 et 3 de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'intégralité des informations qui, en application des paragraphes 1 de chacun de ces articles, doivent être fournies aux personnes concernées dans une langue qu'elles comprennent ou dont on peut raisonnablement penser qu'elles la comprennent, figure dans des brochures communes rédigées par la Commission.

4. Pour annuler les décisions de transfert du 9 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a retenu le moyen tiré de ce que le préfet de police ne justifiait pas avoir satisfait à cette obligation dès lors que les étiquettes figurant sur les brochures B qui ont été remises à M. et Mme A... mentionnaient qu'elles contenaient treize pages, alors qu'elles doivent en compter seize. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A... se sont vu remettre, le 25 septembre 2020, le guide du demandeur d'asile ainsi que les documents d'information A et B, intitulés respectivement " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande " et " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", qui constituent les brochures communes prévues par les dispositions de l'article 4 du règlement précité, en langue dari, langue qu'ils ont déclaré comprendre. Par suite, la circonstance que les étiquettes apposées sur les brochures B mentionnaient treize pages au lieu de seize ne saurait démontrer, à elle seule, que les documents en cause n'ont pas été communiqués aux intéressés dans leur intégralité, alors au demeurant que M. et Mme A... ont apposé leur signature sans émettre la moindre observation lors de la remise des documents, ni d'ailleurs lors de leurs entretiens individuels du même jour, au cours desquels ils ont reconnu avoir reçu l'information sur les règlements communautaires. Enfin, en tout état de cause, les informations mentionnées aux pages 14 et 15 de la brochure B sont reprises aux pages 7, 8 et 9 de la brochure A, et la page 16 est uniquement une page de garde. Il en résulte que c'est à tort que, pour annuler les décisions contestées du 9 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a retenu le moyen tiré de ce qu'elles avaient été prises au terme d'une procédure irrégulière.

5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par M. et Mme A... :

6. En premier lieu, par l'arrêté n° 2020-00799 du 1er octobre 2020, publié au bulletin municipal de la ville de Paris le 9 octobre 2020, le préfet de police a donné délégation à Mme C..., attachée principale d'administration de l'État, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figurent les arrêtés de transfert. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire des arrêtés attaqués doit donc être écarté.

7. En deuxième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

8. Les décisions de transfert en litige visent, notamment, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention de Genève du 28 juillet 1951, le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elles mentionnent que M. et Mme A... ont demandé l'asile en France le 25 septembre 2020 et que leurs empreintes, comparées aux bases de données européennes, ont révélé qu'ils avaient précédemment déposé une demande d'asile en Suède, le 17 décembre 2015, et en Allemagne, le 15 septembre 2020. Les décisions contestées mentionnent également que les autorités allemandes et suédoises ont été saisies le 5 octobre 2020 d'une demande de reprise en charge des intéressés, en application des article 18-1-b et 18-1-d du règlement (UE) n° 604/2013, à laquelle les secondes ont répondu favorablement par une décision du 8 octobre 2020, au titre du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Elles indiquent en outre qu'au vu des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. et Mme A..., leur situation ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au respect de leur droit à la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et enfin, qu'ils n'établissent pas de risque personnel en cas de remise aux autorités de l'État responsable de leur demande d'asile. Dans ces conditions, la motivation de ces décisions a été suffisante pour permettre à M. et Mme A... de contester utilement leur bien-fondé s'agissant de l'État responsable et du critère retenus par le préfet de police. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation des arrêtés en litige et du défaut d'examen sérieux des demandes de M. et Mme A... doivent être écartés.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermi­nation mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) /5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantis­sant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. /(...) ". Aux termes de l'article R. 741 1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. Lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'enregistrement de sa demande relève du préfet de département et, à Paris, du préfet de police. (...) ".

10. La conduite de l'entretien par une personne qualifiée en vertu du droit national constitue une garantie pour le demandeur d'asile. Il ressort des mentions des comptes rendus d'entretien individuel menés le 25 septembre 2020 et produits par le préfet de police en première instance, que ceux-ci ont été " conduit[s] par un agent qualifié de la préfecture de police par le biais d'ISM interprétariat en dari ", langue que les intéressés ont déclaré comprendre, comme il a déjà été dit. Dès lors que le préfet de police était compétent pour enregistrer la demande d'asile de M. et Mme A... et procéder à la détermination de l'État responsable de cette demande, les services de la préfecture de police, et en particulier les agents recevant les demandeurs d'asile, doivent être regardés, en l'absence de tout élément contraire versé au dossier, comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement (UE) n° 604/2013, de personne qualifiée en vertu du droit national pour mener l'entretien prévu à cet article. Par ailleurs, aucune disposition n'impose que le compte rendu de l'entretien individuel prévu à l'article 5 précité du règlement (UE) n° 604/2013 mentionne l'identité de l'agent qui a mené l'entretien. Par suite, les moyens tirés de ce que les arrêtés contestés méconnaissent les dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent être écartés.

11. En quatrième lieu, si M. et Mme A... soulèvent le moyen tiré du défaut de base légale des arrêtés en litige, il ressort des motifs de ces derniers que le préfet de police a fondé ces décisions sur les dispositions de l'article 18-1-d du règlement n° 604/2013, les autorités suédoises ayant déjà rejeté leur demande d'asile ainsi que les intéressés l'ont déclaré lors de leurs entretiens individuels. Par suite, les moyens tirés du défaut de base légale doivent être écartés.

12. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 " 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Enfin, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ".

13. D'une part, les arrêtés contestés ont seulement pour objet de renvoyer M. et Mme A... en Suède et non en Afghanistan, leur pays d'origine. La Suède, État membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'est pas établi ni même sérieusement soutenu qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Suède dans la procédure d'asile, ou que les demandes d'asile des intéressés ne seront pas traitées dans des conditions respectant l'ensemble des garanties exigées par le droit d'asile. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités suédoises, alors même que leur demande d'asile aurait été définitivement rejetée, n'évalueront pas, avant de procéder à leur éventuel éloignement, les risques auxquels ils seraient exposés en cas de retour en Afghanistan. Enfin, M. et Mme A... ne produisent aucun document de nature à établir qu'ils seraient personnellement exposés à des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de transfert aux autorités suédoises.

14. D'autre part, la faculté laissée à chaque État membre par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. En l'espèce, il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'en s'abstenant de faire usage de cette faculté, le préfet de police aurait entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé ses arrêtés du 9 novembre 2020.

D E C I D E :

Article 1er : Les productions enregistrées sous le n° 21PA00365 sont rayées du registre du greffe de la cour pour être jointes à la requête n° 21PA00364.

Article 2 : Le jugement n° 2019543-2019544 du 17 décembre 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 3 : Les demandes présentées par M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Paris sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. D... A... et à Mme E... A....

Copie sera adressée pour information au préfet de police.

Délibéré après l'audience publique du 15 juin 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président,

- Mme Marie-Dominique Jayer, premier conseiller,

- Mme Gaëlle B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juin 2021.

Le rapporteur,

G. B... Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Nos 21PA00364-21PA00365 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3eme chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00364
Date de la décision : 18/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaelle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-06-18;21pa00364 ?
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