La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/06/2021 | FRANCE | N°19PA00631

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 04 juin 2021, 19PA00631


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Thyssenkrupp Ascenseurs a demandé au Tribunal administratif de Melun de la décharger de l'obligation de payer la somme de 230 610 euros mise à sa charge au titre du décompte des pénalités faisant suite à la résiliation du marché de maintenance des ascenseurs et des portes et barrières automatiques de garages conclu avec l'office public de l'habitat Kremlin-Bicêtre Habitat ou, à défaut, de réduire le montant de ces pénalités, et de condamner cet office à lui verser la somme de 38 736,68

euros TTC au titre du décompte de liquidation de ce marché.

Par un jugement n°...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Thyssenkrupp Ascenseurs a demandé au Tribunal administratif de Melun de la décharger de l'obligation de payer la somme de 230 610 euros mise à sa charge au titre du décompte des pénalités faisant suite à la résiliation du marché de maintenance des ascenseurs et des portes et barrières automatiques de garages conclu avec l'office public de l'habitat Kremlin-Bicêtre Habitat ou, à défaut, de réduire le montant de ces pénalités, et de condamner cet office à lui verser la somme de 38 736,68 euros TTC au titre du décompte de liquidation de ce marché.

Par un jugement n° 1608874 du 11 décembre 2018, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 février 2019 et le 16 avril 2020, la société Thyssenkrupp Ascenseurs, représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de la décharger de l'obligation de payer la somme de 230 610 euros mise à sa charge au titre du décompte des pénalités ci-dessus mentionné ou, à défaut, de réduire le montant des pénalités, et de condamner l'office public de l'habitat Kremlin-Bicêtre Habitat à lui verser la somme de 38 736,68 euros TTC au titre du décompte de liquidation du marché de maintenance des ascenseurs et des portes et barrières automatiques de garages conclu avec cet office ;

3°) de faire application de l'article 15 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du lot 1 en désignant un expert et de lui préciser sa mission ;

4°) de mettre à la charge de Kremlin-Bicêtre Habitat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne le lot n° 1 :

- les premiers juges ont commis une erreur manifeste d'appréciation et de droit en rejetant comme irrecevables ses demandes indemnitaires et de décharge des pénalités, faute de mise en œuvre par elle de la procédure d'expertise amiable prévue à l'article 15 du CCAP ;

- d'une part, elle a tenté de régler amiablement son différend avec Kremlin-Bicêtre Habitat par son courrier du 19 novembre 2015 ;

- d'autre part, il incombait à Kremlin-Bicêtre Habitat, qui a le premier considéré qu'il existait un différend, de mettre en œuvre le recours prévu à l'article 15 du CCAP ; notamment, Kremlin-Bicêtre Habitat ne pouvait prendre unilatéralement une décision de résiliation et d'application de pénalités d'un montant de 230 610 euros sans avoir préalablement sollicité le recours à l'expertise ;

- enfin, ce recours, qui était en tout état de cause, compte tenu de la décision de Kremlin-Bicêtre Habitat de résilier le marché et d'appliquer des pénalités pour un montant disproportionné, dépourvu d'utilité et d'efficacité, lui était inopposable.

En ce qui concerne le lot n° 2 :

- les premiers juges ont également commis une erreur manifeste d'appréciation et de droit en rejetant comme irrecevables, sur le fondement de l'article 37.2 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS), ses demandes indemnitaires et à fin de décharge des pénalités, faute de transmission au pouvoir adjudicateur d'un mémoire de réclamation dans un délai de deux mois courant à compter du jour où le différend est apparu ;

- d'une part, les premiers juges ne pouvaient considérer que le décompte de résiliation aurait été notifié le 28 février 2016 qui était un dimanche ;

- d'autre part et en tout état de cause, Kremlin-Bicêtre Habitat n'apporte pas la preuve de la date de notification du décompte de résiliation.

En ce qui concerne les pénalités :

- les pénalités pour retard d'intervention et pour mauvais fonctionnement sont infondées dans leur principe dès lors qu'elles ne sont ni décrites ni justifiées par Kremlin-Bicêtre Habitat ;

- elle a en outre multiplié les efforts pour mener à bien ses interventions, alors même qu'une grande partie des dysfonctionnements constatés ne relevaient pas de sa responsabilité ;

- les pénalités appliquées, qui représentent plus de 359% du montant annuel hors taxes du lot 1 et plus de 1 935% du montant annuel hors taxes du lot 2 sont manifestement excessives.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 novembre 2019 et le 28 octobre 2020, l'office public de l'habitat Kremlin-Bicêtre Habitat conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Thyssenkrupp Ascenseurs de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- s'agissant du lot n°1, c'est à bon droit que les premiers juges ont opposé à la requérante le non-respect de la procédure contractuelle de règlement des litiges par voie d'expertise ;

- le moyen tiré de ce qu'il lui aurait incombé d'engager la procédure d'expertise préalable prévue à l'article 15 du CCAP du lot 1 est infondé dès lors que ce n'est pas lui qui a saisi le tribunal administratif d'un différend relatif à l'exécution du marché ;

- le moyen tiré de ce que le recours à l'article 15 du CCAP aurait été inutile est infondé ;

- s'agissant du lot n° 2, la circonstance que le 28 février 2016, date de notification de la décision de résiliation et du décompte de liquidation, ait été un dimanche est sans incidence sur la validité de cette date en tant que point de départ du délai de deux mois prévu à l'article 37.2 du CCAG-FCS ;

- le moyen tiré de ce que la date de notification du décompte de résiliation ne serait pas établie est infondé dès lors que son courrier de résiliation du 24 février 2016 comporte un tampon attestant de sa réception par la société requérante le 28 février 2016 ;

- les pénalités contestées sont fondées tant dans leur principe que dans leur montant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 ;

- l'arrêté interministériel du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS) ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- et les observations de Me Le Fustec, avocat de l'office public de l'habitat Kremlin-Bicêtre Habitat.

Considérant ce qui suit :

1. L'office public de l'habitat Kremlin-Bicêtre Habitat a notifié à la société Thyssenkrupp Ascenseurs, le 3 août 2015, un " marché d'entretien portant sur les ascenseurs et ouvertures automatiques de garages de Kremlin-Bicêtre Habitat ", composé d'un lot n° 1 " Maintenance des ascenseurs ", d'un montant de 49.999,95 euros HT, prévu pour une durée d'un an renouvelable trois fois, et d'un lot n° 2 " Maintenance des portes et barrières automatiques de garages ", d'un montant de 2 640 euros HT, également prévu pour une durée d'un an renouvelable trois fois. Le marché a pris effet à la date du 1er septembre 2015. Estimant que l'exécution des deux lots du marché était très insatisfaisante, tant au regard du respect des délais prévus par les documents contractuels que du fonctionnement correct des installations, Kremlin-Bicêtre Habitat a mis en demeure le titulaire du marché, par lettre en date du 9 novembre 2015, de mettre en œuvre l'ensemble des prescriptions du marché sous peine de résiliation de celui-ci. Cette mise en demeure étant restée, selon Kremlin-Bicêtre Habitat, infructueuse, ce dernier, compte tenu du préjudice estimé par lui ainsi que des plaintes répétées des locataires résultant des manquements constatés a, par lettre du 24 février 2016, procédé à la résiliation du marché, aux torts du titulaire, et adressé à ce dernier le décompte des pénalités et le décompte de liquidation du marché, arrêté à la somme de 211 411,56 euros en faveur de l'office. Par une lettre du 13 mai 2016, la société Thyssenkrupp Ascenseurs a contesté les deux décomptes précités et adressé à Kremlin-Bicêtre Habitat une réclamation tendant à l'annulation des pénalités infligées à hauteur de 230 610 euros et au paiement d'un reliquat de factures à hauteur de 38 736,68 euros. Par deux lettres en date du 30 août 2016 et du 18 octobre 2016, Kremlin-Bicêtre Habitat a rejeté la réclamation du titulaire du marché. La société Thyssenkrupp Ascenseurs relève appel du jugement du 11 décembre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la condamnation de Kremlin-Bicêtre Habitat à lui verser la somme de 38 736,68 euros TTC et, d'autre part, à l'annulation des pénalités infligées à hauteur de 230 610 euros ou, à titre subsidiaire, à la réduction de ce montant, au titre du solde du décompte de résiliation du marché.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

En ce qui concerne le lot n°1 :

2. Aux termes de l'article 6 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du lot n° 1 du marché litigieux intitulé " Pièces constitutives du marché " : " Les pièces constitutives du marché sont des pièces générales et des pièces particulières (...). Les pièces constitutives des marchés prévalent dans l'ordre où elles sont mentionnées ci-dessous ". / 6.1 Pièces particulières. Les pièces particulières au marché sont : 6.1.1 L'acte d'engagement (...) 6.1.4 Le C.C.A.P.(...) 6.2 Pièces générales.(...) 6.2.1 L'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ainsi que le décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 (...) ". Aux termes de l'article 14.1 du même CCAP : " (...) le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché pour faute du titulaire dans les cas suivants et conditions suivantes : (...) e) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels (...) h) Carence du titulaire à assurer le fonctionnement correct des installations qui lui sont confiées ; (...) Sauf dans les cas prévus aux i), j), k) ci-dessus, une mise en demeure, assortie d'un délai d'exécution, doit avoir été préalablement notifiée au titulaire et être restée infructueuse (...) ". Et aux termes de l'article 15 de ce CCAP : " Tout litige survenant lors de l'application du présent marché et qui ne pourrait être réglé à l'amiable entre les parties, le sera par voie d'expertise. / L'expert sera désigné d'un commun accord et proposera son arbitrage dans les 20 jours suivant sa mission lettre recommandée avec accusé de réception. / Dans le cas où l'une des parties contesterait le résultat de l'expertise, la juridiction compétente pour trancher en dernier ressort, sera le tribunal compétent dont dépend le siège du pouvoir adjudicateur, saisi dans les huit jours suivant la réception du rapport de l'expert, sur l'initiative de la partie qui serait en désaccord avec ses conclusions. Faute de saisie du tribunal dans ce délai, le rapport de l'expert est réputé avoir recueilli l'agrément des parties. ". Ces dernières stipulations font obstacle à la recevabilité, devant le tribunal administratif, d'une demande qui n'aurait pas été précédée de la mise en œuvre de la procédure d'expertise qu'elles prévoient.

3. En premier lieu, la circonstance que la société Thyssenkrupp Ascenseurs aurait tenté de régler amiablement le différend l'opposant à Kremlin-Bicêtre Habitat, ainsi qu'en attesterait la lettre du 19 novembre 2015 adressée par elle en réponse à la mise en demeure de l'office public du 9 novembre 2015, à la supposer même établie, est en tout état de cause sans incidence sur la recevabilité de ses conclusions indemnitaires dès lors qu'il est constant que cette tentative de règlement amiable n'a pas abouti et que la procédure d'expertise prévue à l'article 15 du CCAP n'a pas été mise en œuvre.

4. En second lieu, en se bornant à mettre en demeure la société Thyssenkrupp Ascenseurs, par deux lettres des 16 octobre 2015 et 9 novembre 2015, de respecter ses engagements contractuels sous peine de résiliation du marché, à la suite notamment de trois pétitions de locataires se plaignant de carences dans la maintenance des ascenseurs, Kremlin-Bicêtre Habitat ne saurait être regardé comme ayant fait survenir un litige dans l'application du marché au sens de l'article 15 du CCAP. En outre, l'office public, en tirant les conséquences de ses mises en demeure restées infructueuses par la prise d'une décision de résiliation du marché accompagnée de l'application de pénalités pour un montant de 230 610 euros, n'a pas davantage fait survenir un litige dans l'application du marché mais s'est borné à mettre en œuvre les stipulations contractuelles prévues aux articles 14.1, 22 et 23 du CCAP, lesquelles ne prévoient pas que ces mesures doivent être précédées du recours à une expertise préalable. Dès lors, la société Thyssenkrupp Ascenseurs qui, par son mémoire réceptionné par l'office public le 13 mai 2016 en contestation du décompte de liquidation, a fait survenir le présent litige, n'est fondée à soutenir ni que Kremlin-Bicêtre Habitat aurait, le premier, considéré qu'il existait un différend dans l'application du marché et qu'il lui aurait, par suite, incombé de mettre en œuvre la procédure d'expertise prévue à l'article 15 du CCAP ni qu'elle aurait " délibérément agi contre sa propre volonté " et " violé ses propres obligations contractuelles ".

5. En troisième lieu, la société Thyssenkrupp Ascenseurs ne saurait utilement soutenir que le recours à la procédure décrite à l'article 15 du CCAP se serait révélé en tout état de cause, au regard de la position prise par Kremlin-Bicêtre Habitat, inefficace et en conséquence inutile, dès lors qu'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur l'opportunité de la mise en œuvre d'une telle procédure. Par suite, la société Thyssenkrupp Ascenseurs n'est pas fondée à soutenir que pour ce motif, qui n'est en tout état de cause pas établi, le recours à l'article 15 du CCAP lui serait inopposable.

6. Enfin et ainsi qu'il a été dit au point 4, la société Thyssenkrupp Ascenseurs a fait survenir le présent litige par sa contestation contenue dans son mémoire du 13 mai 2016. Par suite, faute pour la société d'avoir sollicité de Kremlin-Bicêtre Habitat, à la date d'enregistrement de sa demande devant le Tribunal administratif de Melun, le recours à la procédure prévue à l'article 15 du CCAP, ses conclusions à fin de décharge des pénalités à hauteur d'un montant de 179 510 euros présentées devant ce tribunal étaient irrecevables, sans que la société requérante puisse utilement faire valoir qu'elle a demandé à Kremlin-Bicêtre Habitat, par lettre du 25 janvier 2019, postérieure au jugement attaqué, de désigner un expert commun dans le cadre de l'article 15 précité pour trancher cette contestation. Il en résulte que ses conclusions indemnitaires, alors même que la société n'a pas précisé l'imputation respective des différentes factures dont elle demande le paiement à l'un ou l'autre des deux lots du marché, étaient en tout état de cause également irrecevables en ce qu'elles concerneraient le lot n° 1.

En ce qui concerne le lot n° 2 :

7. D'une part, aux termes de l'article 3.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du lot n° 2 du marché litigieux intitulé " Pièces contractuelles " : " Les pièces contractuelles du marché sont les suivantes : 3.1.1 Pièces particulières : - L'acte d'engagement et ses annexes ; - Le présent Cahier des Clauses Administratives Particulières (C.C.A.P), (...) 3.1.2 Pièces générales : - Le cahier des clauses administratives générales (C.C.A.G.) applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services (arrêté du 19 janvier 2009...) ". Aux termes de l'article 12 du même cahier intitulé " Contestations " : " En cas de contestation sur l'interprétation ou l'exécution du présent contrat, le différent sera porté devant le tribunal compétent du lieu de situation du Kremlin-Bicêtre Habitat ". Et aux termes de l'article 14 de ce cahier intitulé " Dérogations au CCAG-FCS " : " L'article 5 du CCAP déroge à l'article 11 du CCAG-FCS concernant les pénalités de retard. L'article 10.2 du CCAP déroge à l'article 31.2 du CCAG-FCS concernant les modalités de résiliation ".

8. D'autre part, aux termes de l'article 32 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS), dans sa rédaction applicable : " 32.1 Le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché pour faute du titulaire dans les cas suivants : (...) c) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels (...) ". Aux termes de l'article 34 du CCAG-FCS : " 34.1 La résiliation fait l'objet d'un décompte de résiliation, qui est arrêté par le pouvoir adjudicateur et notifié au titulaire (...) 34.5 La notification du décompte par le pouvoir adjudicateur au titulaire doit être faite au plus tard deux mois après la date d'effet de la résiliation du marché (...) ". Aux termes de l'article 37 du CCAG-FCS : " 37.1 Le pouvoir adjudicateur et le titulaire s'efforceront de régler à l'amiable tout différend éventuel relatif à l'interprétation des stipulations du marché ou à l'exécution des prestations objet du marché. 37.2 Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation exposant les motifs et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Ce mémoire doit être communiqué au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. 37.3 Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception du mémoire de réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation ".

9. Il résulte des stipulations de l'article 37 précédemment citées du cahier des clauses administratives générales que, lorsqu'intervient, au cours de l'exécution d'un marché, un différend entre le titulaire et l'acheteur, résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans un délai de deux mois, un mémoire de réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat. En revanche, dans l'hypothèse où l'acheteur a résilié unilatéralement le marché, puis s'est abstenu d'arrêter le décompte de liquidation dans le délai qui lui était imparti, si le titulaire ne peut saisir le juge qu'à la condition d'avoir présenté au préalable un mémoire de réclamation et s'être heurté à une décision de rejet, les stipulations de l'article 37 relatives à la naissance du différend et au délai pour former une réclamation ne sauraient lui être opposées.

10. Ainsi qu'il a été dit au point 1, Kremlin-Bicêtre Habitat a, par sa lettre du 24 février 2016, procédé à la résiliation du marché et adressé à la société Thyssenkrupp Ascenseurs un décompte de liquidation du marché, arrêté à la somme de 211 411,56 euros au crédit de l'office. Ce décompte doit être regardé comme une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'office public. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que la société Thyssenkrupp Ascenseurs était en désaccord avec ce décompte, il résulte des stipulations de l'article 37.2 du CCAG-FCS ainsi que de ce qui a été dit au point 9 que celle-ci devait communiquer son mémoire en réclamation au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion, ce jour devant être regardé comme celui où lui a été notifié le décompte de liquidation.

11. Il ressort de l'examen du tampon de réception par la société Thyssenkrupp Ascenseurs de la lettre du 24 février 2016 de Kremlin-Bicêtre Habitat que le deuxième chiffre du jour du mois de février 2016 qui y figure est illisible alors que les autres éléments de cette date, à savoir le premier chiffre du jour, le mois et l'année sont, quant à eux, parfaitement lisibles. Or, si la société Thyssenkrupp Ascenseurs soutient que Kremlin-Bicêtre Habitat n'apporte pas la preuve de la date de notification du décompte de résiliation, elle n'invoque toutefois aucune précision utile à l'appui de ce moyen, autre que celle tenant à ce que le décompte de résiliation n'avait pu être notifié le 28 février 2016 qui était un dimanche. Notamment, elle ne conteste sérieusement ni, d'une part, que le décompte de liquidation était contenu dans le pli contenant la lettre du 24 février 2016, ni, d'autre part, que la date apposée par le tampon appartenait à la troisième décade du mois de février 2016 et était nécessairement antérieure ou correspondante au 29 février 2016. Par suite, et à supposer même que la date apposée par le tampon soit celle du 29 février 2016, le mémoire de réclamation de la société Thyssenkrupp Ascenseurs, en date du 13 mai 2016, a nécessairement été communiqué au-delà du délai de deux mois courant à compter de la date de notification du décompte de liquidation. Par suite, les conclusions de la société Thyssenkrupp Ascenseurs à fin de décharge des pénalités à hauteur d'un montant de 51 100 euros, présentées devant le tribunal, étaient irrecevables. Il en résulte que ses conclusions indemnitaires, alors même que la société n'a pas précisé l'imputation respective des différentes factures dont elle demande le paiement à l'un ou l'autre des deux lots du marché, étaient en tout état de cause également irrecevables en ce qu'elles concerneraient le lot n° 2.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Thyssenkrupp Ascenseurs n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande comme irrecevable. Sa requête ne peut, par suite, qu'être rejetée, y compris ses conclusions à fin de désignation d'un expert.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Kremlin-Bicêtre Habitat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Thyssenkrupp Ascenseurs demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Thyssenkrupp Ascenseurs une somme de 1 500 euros à verser à l'office public de l'habitat Kremlin-Bicêtre Habitat sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Thyssenkrupp Ascenseurs est rejetée.

Article 2 : La société Thyssenkrupp Ascenseurs versera à l'office public de l'habitat Kremlin-Bicêtre Habitat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Thyssenkrupp Ascenseurs et à l'office public de l'habitat Kremlin-Bicêtre Habitat.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2021 à laquelle siégeaient :

- Mme B..., présidente de chambre,

- M. C..., premier conseiller,

- Mme A..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2021.

Le rapporteur,

P. C...

La présidente,

M. B... La greffière,

A. BENZERGUA

La République mande et ordonne au préfet du Val-de-Marne en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA00631


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00631
Date de la décision : 04/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-08-01 Marchés et contrats administratifs. - Règles de procédure contentieuse spéciales. - Recevabilité.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : NIVAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 06/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-06-04;19pa00631 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award