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21/05/2021 | FRANCE | N°20PA03297

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 21 mai 2021, 20PA03297


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2007275 du 7 octobre 2020, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

P

ar une requête et un mémoire, enregistrés les 9 novembre 2020 et 3 mai 2021, M. A..., représen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2007275 du 7 octobre 2020, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 novembre 2020 et 3 mai 2021, M. A..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler le jugement n° 2007275 du 7 octobre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande ;

3°) d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté a été pris par une autorité incompétente ;

- il est insuffisamment motivé et est entaché d'un défaut d'examen complet de sa situation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît les dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision refusant un délai de départ volontaire méconnaît les dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'une erreur d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 26 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mach, premier conseiller,

- et les observations de Me D..., en présence de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant tunisien, né le 6 janvier 1991, déclare être entré en France en 2018. Par un arrêté en date du 22 juillet 2020, le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement du 7 octobre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par une décision du 26 février 2021, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris a admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, il n'y a pas lieu d'admettre l'intéressé à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les moyens communs à l'ensemble des décisions contestées :

3. M. A... reprend en appel les moyens qu'il avait soulevés en première instance tirés de l'incompétence du signataire de l'arrêté, de l'insuffisance de motivation de l'arrêté et du défaut d'examen complet de sa situation. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par les premiers juges.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. M. A... se prévaut de son entrée en France en 2018, de sa vie commune depuis octobre 2019 avec sa compagne, ressortissante française, ainsi que de la naissance le 25 novembre 2020 de leur fille. Toutefois, la réalité de cette communauté de vie n'est justifiée que par des documents établis en 2020 et 2021. En tout état de cause, cette relation présente un caractère récent à la date de la décision contestée. Par ailleurs, l'acte de reconnaissance de l'enfant à naître du 24 juillet 2020 ainsi que la naissance de l'enfant sont postérieurs à la décision attaquée. Enfin, M. A... n'établit pas, ni même n'allègue être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de 27 ans. Par suite, et eu égard au caractère récent de la présence en France de M. A... et de la relation qu'il entretient avec une ressortissante française à la date de la décision contestée, celle-ci n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

6. Si M. A... fait valoir qu'il a signé un contrat d'engagement réciproque avec le département en vue de rechercher un emploi, ce contrat a été signé le 24 mars 2021, postérieurement à la décision contestée. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5, le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé.

7. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de la décision : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) ".

8. Il est constant que l'enfant de M. A... est né le 25 novembre 2020, postérieurement à la décision attaquée. Par suite, et alors même que l'intéressé a reconnu son enfant par anticipation et soutient contribuer à son entretien et à son éducation depuis sa naissance, M. A... ne peut se prévaloir de la méconnaissance des dispositions citées au point 7.

En ce qui concerne le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

9. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de la décision : " II. - L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au deuxième alinéa de l'article L. 611-3, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 513-5, L. 552-4,

L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2 ; ".

10. Il résulte des motifs de la décision contestée que le préfet de la Seine-Saint-Denis a, pour refuser à M. A... le bénéfice d'un délai de départ volontaire, entendu se fonder sur les dispositions du 1° et des d) et f) du 3° du II de l'article L. 511-1. D'une part, ni les faits qui lui sont reprochés tenant au refus d'obtempérer à une sommation d'arrêter son véhicule qui ont donné lieu à un rappel à la loi, ni la circonstance qu'il soit enregistré au fichier automatisé des empreintes digitales pour avoir commis des faits de vol en réunion sans violence ne sont de nature à établir que le comportement de M. A... constitue une menace pour l'ordre public. D'autre part, M. A... dispose d'une résidence effective et permanente ainsi que d'une attestation de demande de duplicata de son passeport et présente ainsi des garanties de représentation suffisantes. En revanche, il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement prononcée le 4 juillet 2019. Il résulte de l'instruction que le préfet de la Seine-Saint-Denis aurait pris la même décision à l'égard de l'intéressé s'il ne s'était fondé que sur ce motif mentionné au 1° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le moyen tiré de de la méconnaissance des dispositions citées au point 9 doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

11. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de la décision : " III. - L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ volontaire, il lui appartient, en principe, d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle.

12. Il ressort des termes de la décision que, pour prendre à l'encontre de M. A... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, le préfet de la

Seine-Saint-Denis a pris en considération la durée de son séjour en France, l'absence de liens personnels et familiaux, l'existence d'une précédente obligation de quitter le territoire français ainsi que la menace pour l'ordre public que constitue son comportement. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A... ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Si l'intéressé n'a pas exécuté une précédente mesure d'éloignement et que sa présence sur le territoire français est récente, il est constant qu'à la date de la décision attaquée, M. A... entretenait une relation avec une ressortissante française, enceinte de ses oeuvres. Dans ces conditions, en prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, qui a pour effet de séparer M. A... pendant cette période de son enfant de nationalité française, né le 25 novembre 2020, le préfet a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 22 juillet 2020 en tant qu'il prononce à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Sur les frais liés au litige :

14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : M. A... n'est pas admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : L'arrêté du 22 juillet 2020 du préfet de la Seine-Saint-Denis est annulé en tant qu'il prononce à l'encontre de M. A... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Article 3 : Le jugement n° 2007275 du 7 octobre 2020 du Tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera délivrée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 7 mai 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme B..., président de chambre,

- Mme Portes, premier conseiller,

- Mme Mach, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2021.

Le rapporteur,

A-S MACHLe président,

M. B...Le greffier,

S. GASPAR

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20PA03297 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA03297
Date de la décision : 21/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie MACH
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : LOUAFI RYNDINA

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-05-21;20pa03297 ?
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