La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/04/2021 | FRANCE | N°16PA01675

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 30 avril 2021, 16PA01675


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... F... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 31 067 euros en réparation des préjudices résultant de l'accident médical non fautif dont elle a été victime lors de sa prise en charge au sein du centre hospitalier universitaire du Kremlin-Bicêtre en novembre 2009, ainsi que la somme de 3 000 euros pour abus de d

roit.

Par un jugement n° 1508412 du 18 mars 2016, le tribunal administrat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... F... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 31 067 euros en réparation des préjudices résultant de l'accident médical non fautif dont elle a été victime lors de sa prise en charge au sein du centre hospitalier universitaire du Kremlin-Bicêtre en novembre 2009, ainsi que la somme de 3 000 euros pour abus de droit.

Par un jugement n° 1508412 du 18 mars 2016, le tribunal administratif de Melun a condamné l'ONIAM à verser à Mme F... la somme de 25 900 euros et a mis les frais d'expertise à la charge de l'ONIAM.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 mai 2016 et 6 juillet 2017, l'ONIAM, représenté par Me E..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 1508412 du 18 mars 2016 du tribunal administratif de Melun et de rejeter la demande présentée par Mme F... devant ce tribunal ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant dire droit une nouvelle expertise médicale ;

3°) à titre très subsidiaire, d'une part, de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué à Mme F... les sommes de 16 100 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire jusqu'à la date du 21 mars 2016 et 7 000 euros au titre des souffrances endurées et, d'autre part, de limiter à 2 832 euros le montant de l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire subi par Mme F... depuis le jugement ;

4°) en tout état de cause, de rejeter les conclusions de Mme F... présentées, d'une part, au titre d'un prétendu abus de droit et, d'autre part, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les conditions posées par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique pour obtenir une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies, dès lors, d'une part, que le lien de causalité entre les soins réalisés et les préjudices allégués n'est pas direct et certain et, d'autre part, qu'aucun des seuils requis de gravité des préjudices n'est atteint ;

- à titre subsidiaire, une nouvelle expertise pourrait être ordonnée dès lors, d'une part, qu'aucune des deux expertises réalisées ne lui est contradictoire et, d'autre part, que les conclusions des deux experts consultés divergent ;

- à titre très subsidiaire, les indemnités perçues par Mme F... de la part de la caisse de sécurité sociale dont elle relève doivent être déduites, les souffrances endurées et le déficit fonctionnel temporaire subi jusqu'à la date du jugement ont justement été indemnisés par le tribunal, le déficit fonctionnel temporaire de 40 % postérieurement subi doit être indemnisé sur la base d'une indemnisation forfaitaire de 15 euros par jour et aucune condamnation ne peut être en 1'état prononcée au titre des dépenses de santé actuelles, des frais de tierce personne temporaire et du préjudice esthétique temporaire ;

- le refus d'adresser à Mme F... une offre d'indemnisation ne constitue en aucun cas un abus de droit.

Par des mémoires en défense et en appel incident, enregistrés les 27 février 2017 et 8 septembre 2017, Mme F..., représentée par Me D..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de rejeter la requête de l'ONIAM ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser, d'une part, une indemnité provisionnelle complémentaire de 52 607 euros et, d'autre part, une somme de 3 000 euros pour abus de droit ;

3°) d'ordonner une nouvelle expertise médicale aux fins de chiffrer les préjudices qu'elle subit ;

4°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par l'ONIAM ne sont pas fondés ;

- elle a droit à une indemnité provisionnelle totale de 28 707 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire partiel pour la période allant du 12 novembre 2009 au 11 septembre 2017 ;

- elle a droit à une indemnité provisionnelle de 40 000 euros au titre de la perte de gains professionnels ;

- une nouvelle expertise est nécessaire pour évaluer ses préjudices définitifs, dès lors que son état doit désormais être regardé comme consolidé ;

- la responsabilité de l'ONIAM est engagée pour abus de droit, en raison du caractère injustifié du refus d'indemnisation, lequel est à l'origine de graves difficultés financières pour elle et sa famille.

Par un arrêt avant dire droit du 15 février 2018, la Cour a décidé qu'il sera procédé, avant de statuer sur les conclusions présentées par l'ONIAM et les conclusions d'appel incident de Mme F..., à une expertise médicale aux fins de déterminer si la présence du fragment de fil métallique dans l'organisme de Mme F... est à l'origine des douleurs alléguées, si l'état de l'intéressée peut désormais être regardé comme consolidé et d'évaluer l'ensemble de ses préjudices, et a réservé jusqu'en fin d'instance tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'était pas statué par cet arrêt.

Par un mémoire, enregistré le 11 décembre 2018, Mme F..., représentée par Me D..., demande à la Cour de désigner un autre expert pour mener à bien la mission définie par l'arrêt avant-dire-droit du 15 février 2018.

Le rapport de l'expertise diligentée par l'arrêt avant dire droit du 15 février 2018 a été enregistré le 13 décembre 2019.

Par une ordonnance du 5 février 2020, le président de la Cour a taxé et liquidé les frais de l'expertise confiée au professeur C... à la somme de 6 000 euros incluant l'allocation provisionnelle d'un montant de 5 000 euros accordée par l'ordonnance du 7 septembre 2018.

Par une ordonnance du 5 février 2020, le président de la Cour a taxé et liquidé les frais de l'expertise confiée au docteur Chedru à la somme de 2 400 euros incluant l'allocation provisionnelle d'un montant de 2 400 euros accordée par l'ordonnance du 3 avril 2019.

Par un mémoire, enregistré le 10 juillet 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me E..., conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens.

Par un mémoire, enregistré le 10 juillet 2020, Mme F..., représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'ordonner l'organisation d'une contre-expertise au regard de la conduite de l'expertise par le Dr C... et afin de répondre pleinement aux interrogations posées par l'arrêt avant dire droit du 15 février 2018 qui sera menée par le Dr Brigitte Mauroy, chirurgien urologue, exerçant à l'hôpital Saint Philibert à Lomme (59160) ou tout autre médecin urologue ;

2°) ou à défaut d'inviter les parties à conclure sur la liquidation des préjudices subis par Mme F....

Elle soutient que l'expertise diligentée par la Cour ne s'est pas déroulée dans des conditions impartiales et que l'expert n'a pas réalisé la mission dans des conditions satisfaisantes car il n'a pas réalisé ce pour quoi il avait été désigné.

Par ordonnance du 15 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 août 2020 à midi.

Par ordonnance du 7 août 2020, la clôture de l'instruction a été reportée au 14 septembre 2020 à midi.

Un mémoire et des pièces ont été enregistrés les 22 et 23 mars 2021 pour Mme F..., après la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme H... F..., alors âgée de 34 ans, mère de 4 enfants et enceinte de huit mois, a dû subir une interruption médicale de grossesse à la maternité de l'hôpital Antoine Beclère à Clamart le 4 novembre 2009. Elle souffrait par ailleurs de crises de coliques néphrétiques droites depuis plus d'une semaine. A l'occasion de son hospitalisation, un syndrome obstructif aigu du rein droit hyperalgique a été diagnostiqué. Un uroscanner a en effet montré une rupture de la voie excrétrice avec écoulement d'urine en dehors du rein et constitution d'un urinome péri-rénal. Elle a alors été transférée dans le service d'urologie du centre hospitalier du Kremlin-Bicêtre où un drainage de la voie excrétrice a été réalisé en urgence le 5 novembre 2009 mais la mise en place d'une sonde rénale " double J " a échoué en raison du caractère très distendu de l'uretère. Une ponction percutanée du rein droit est alors immédiatement effectuée pour mettre en place une sonde externe de néphrectomie. Une sonde " JJ " a finalement pu être posée lors d'une nouvelle intervention chirurgicale le 9 novembre 2009. Mme F... a pu quitter l'hôpital le 11 novembre 2009 mais a continué à ressentir des douleurs lombaires droites persistant à la prise d'antalgiques. Un scanner de contrôle réalisé le 24 décembre 2009 a mis en évidence la présence supposée localisée dans le pyélon droit d'un corps étranger métallique, un fragment de fil-guide d'une des sondes d'une longueur de 25 mm. Mme F... a subi de nouvelles interventions entre les 5 et 19 janvier 2010 aux centres hospitaliers universitaires du Kremlin-Bicêtre puis de Necker aux fins de retrait de ce corps étranger qui ont échoué. Par ailleurs, le traitement par antalgiques de Mme F... a été complété par des morphiniques par voie orale. Après une grossesse difficile, nécessitant la réalisation d'une nouvelle néphrostomie en octobre 2010 et un accouchement en décembre 2010, Mme F... a continué à souffrir de douleurs lombaires nécessitant la prise d'antalgiques et de morphiniques.

2. Une première expertise a été ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Melun et confiée à un chirurgien urologue qui a déposé son rapport le 7 juin 2011 dans lequel il conclut à l'absence de faute dans les diverses prises en charge de Mme F... et considère que les douleurs alléguées par l'intéressée sont exclusivement liées au syndrome obstructif sur son haut appareil urinaire droit, l'obstacle à l'origine de ce syndrome siégeant au niveau de l'uretère pelvien, dans le petit bassin, bien en aval anatomiquement par rapport au corps étranger para-rénal siégeant dans la fosse lombaire droite.

3. En janvier 2012, Mme F... a été déclarée par le médecin du travail inapte à tous les postes dans l'entreprise qui l'employait et a été licenciée. Le 11 janvier 2012, un uroscanner a été réalisé, lequel a permis de visualiser le corps étranger comme enclavé dans l'uretère droit, à la jonction pyélo-urétérale. En revanche, le rein droit y apparaissait de taille, de morphologie et de contours normaux. L'uretère droit y apparaissait encore légèrement dilaté. Le chef du service d'urologie de l'hôpital européen Georges-Pompidou à Paris, a indiqué, par courrier du 8 février 2012, qu'après avoir examiné cet uroscanner en réunion de concertation pluridisciplinaire, il estimait que la présence du fil métallique s'était compliquée d'une effraction urétérale avec un urinome qui pourrait tout à fait expliquer les douleurs lombaires subies par Mme F... et qu'il posait en conséquence l'indication formelle d'une chirurgie par voie traditionnelle pour procéder à l'extraction de ce corps étranger. Cette intervention n'a toutefois pas été réalisée.

4. Mme F... a alors saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'Ile-de-France qui a confié la réalisation d'une seconde expertise au chef du département d'urologie de l'hôpital Saint-Philibert à Lomme (Nord). Son rapport a été déposé le 29 novembre 2012. Cet expert conclut, comme le premier expert, à l'absence de toute faute dans les diverses prises en charge de Mme F.... S'agissant de l'origine des douleurs de Mme F..., il a indiqué que " l'expérience que l'on a de ce genre d'accident dans la communauté urologique laisse penser que ce corps étranger est parfaitement toléré et non susceptible d'engendrer des douleurs invalidantes, ni d'ailleurs aucun événement indésirable. En l'occurrence, chez Mme F..., il faut imaginer que l'extrémité proximale du fil guide reste fichée dans la partie haute de l'uretère et soit responsable des phénomènes douloureux décrits par Mme F.... (...) Cette complication est tout à fait exceptionnelle. ".

5. Par un avis du 23 janvier 2013, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'Ile-de-France, après avoir relevé comme critère de gravité fondant sa compétence un arrêt temporaire des activités professionnelles d'au moins six mois, a estimé que Mme F... avait subi un dommage causé par un accident médical non fautif dont les conséquences sont anormales au regard de l'état de santé de l'intéressée comme de l'évolution prévisible de celui-ci. La commission a donc estimé qu'il appartenait à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) d'indemniser les préjudices subis par Mme F... au titre de la solidarité nationale. Toutefois, par une décision du 13 mai 2013, confirmée, sur recours gracieux, le 25 septembre 2013, l'ONIAM a refusé de présenter une offre d'indemnisation.

6. Mme F... a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande d'indemnisation et par jugement n° 1508412 du 18 mars 2016, l'ONIAM a été condamné à lui verser la somme de 25 900 euros et les frais d'expertise ont été mis à sa charge. L'ONIAM relève appel de ce jugement dont il demande l'annulation et, à titre subsidiaire, qu'une nouvelle expertise médicale soit ordonnée avant dire droit et, à titre très subsidiaire, d'une part, de confirmer le jugement en tant qu'il a alloué à Mme F... les sommes de 16 100 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire jusqu'à la date du 21 mars 2016 et 7 000 euros au titre des souffrances endurées et, d'autre part, de limiter à 2 832 euros le montant de l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire subi par Mme F... depuis le jugement. Par un appel incident, Mme F... demande à la Cour de rejeter la requête de l'ONIAM et de le condamner à lui verser, d'une part, une indemnité provisionnelle complémentaire de 52 607 euros et, d'autre part, une somme de 3 000 euros pour abus de droit.

7. Dès lors que les conclusions des deux premières expertises ne permettaient pas de déterminer avec suffisamment de certitude le lien de causalité entre les douleurs alléguées par Mme F... et la présence du fragment de fil métallique dans son organisme, que l'ONIAM n'avait pas été attrait aux opérations d'expertise et que Mme F... a fait valoir que son état devait désormais être regardé comme consolidé et que ses préjudices définitifs pouvaient être évalués, une expertise médicale complémentaire a été ordonnée par l'arrêt avant dire droit du 15 février 2018 afin de déterminer si la présence du fragment de fil métallique dans l'organisme de Mme F... est à l'origine des douleurs alléguées, si l'état de l'intéressée peut désormais être regardé comme consolidé et d'évaluer l'ensemble de ses préjudices. Le rapport des experts médicaux, le chirurgien urologue et gynécologue, qui a sollicité l'intervention d'un sapiteur neuropsychiatre, a été enregistré au greffe de la Cour le 13 décembre 2019.

I Sur les conclusions de Mme F... tendant à ce qu'une nouvelle expertise médicale soit diligentée :

8. D'une part, la seule circonstance que l'expert désigné par l'arrêt avant dire droit du 15 février 2018 ait maintenu la convocation de l'ensemble des parties à l'expertise le 12 décembre 2018 alors que Mme F... l'avait informé de son indisponibilité à cette date n'est pas, contrairement à ce que soutient cette dernière, de nature à établir que l'expert aurait un préjugé défavorable à l'encontre de Mme F... ou qu'il existerait, comme elle l'allègue, " un climat de méfiance faisant peser un doute légitime sur l'impartialité avec laquelle l'expert allait conduire sa mission " qui justifierait une perte de confiance à l'égard de l'expert et une crainte légitime de ne pas être entendue. Par ailleurs, il ressort du compte-rendu de l'expertise que l'expert a néanmoins personnellement entendu Mme F... qui s'est présentée le 28 janvier 2019 assistée de son médecin conseil, a noté ses doléances et qu'il a pris en compte les dires de son conseil. Il n'est donc pas établi que l'expertise ordonnée par la Cour ne se soit pas déroulée dans des conditions impartiales.

9. D'autre part, les circonstances que les réponses de l'expert aux questions posées par Mme F... dans son dire récapitulatif du 29 novembre 2019 ne soient pas celles qu'elle attendait et que l'expert ait fait siennes les conclusions du sapiteur neurologue, qui étaient concordantes avec celles qu'il souhaitait prononcer, ne sont pas de nature à établir, contrairement à ce que soutient Mme F..., que " l'expert C... n'a pas réalisé la mission dans des conditions satisfaisantes car il n'a pas réalisé ce pour quoi il avait été désigné ".

10. Par suite, une nouvelle expertise médicale, qui serait la quatrième à être diligentée, ne présenterait pas d'utilité pour la solution du litige. Il s'en suit que les conclusions susvisées de Mme F... doivent être rejetées.

II Sur le principe de la responsabilité de l'ONIAM :

11. Aux termes du II de l'article L. 1142 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail./ Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'incapacité permanente supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 19 janvier 2011 pris en application de cette dernière disposition : " " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. / À titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : / 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; / 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence ".

12. Il résulte des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que lorsque la responsabilité de l'établissement hospitalier qui a pratiqué des soins n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à l'acte de soins pratiqué et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité fixé à l'article D. 1142-1 du même code. En vertu de l'article L. 1142-22 du même code, la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par l'ONIAM.

A. En ce qui concerne le lien de causalité :

13. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise diligentée par l'arrêt avant-dire-droit du 15 février 2018, enregistré au greffe de la Cour le 13 décembre 2019, que Mme F... a commencé à se plaindre de violentes douleurs de la fosse lombaire droite le 4 novembre 2019 avant qu'aucun geste thérapeutique ne soit réalisé et que s'il est certain que le fil radio opaque situé dans la fosse lombaire droite de Mme F... est un fragment de fil guide de la néphrostomie réalisée le 5 novembre 2009, ce corps étranger ne peut expliquer le fond douloureux permanent dont se plaint Mme F... puisque celui-ci est apparu spontanément avant tout geste thérapeutique. En effet, si les premières douleurs rénales droites ressenties en 2009 paraissaient liées à l'obstruction du haut appareil urinaire droit, le drainage des voies urinaires ne les a pas calmées, leur origine restant donc inexpliquée. Par ailleurs, des douleurs aiguës intermittentes pouvant correspondre à un syndrome d'irritation du nerf génito-fémoral droit provoqué par la présence d'un corps étranger métallique laissé en place lors de l'intervention réalisée le 5 novembre 2019 à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre se greffent sur ces douleurs chroniques. Les conclusions de cette troisième expertise rejoignent, s'agissant du fond douloureux permanent dont se plaint Mme F..., celles de l'expert chirurgien urologue qui a écarté tout lien entre ces douleurs lombaires droites chroniques de survenue spontanée et la présence du fragment de fil métallique dans son organisme. Par suite, d'une part, le lien de causalité entre le fond douloureux permanent dont se plaint Mme F... et la présence du fragment de sonde laissé en place lors de l'intervention du 5 novembre 2019 à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre n'est pas établi et, d'autre part, le lien de causalité doit être regardé comme établi entre ce fragment de sonde enclavé dans l'uretère droit et les douleurs aiguës intermittentes ressenties qui peuvent correspondre à un syndrome d'irritation du nerf génito-fémoral droit.

B. En ce qui concerne l'anormalité des conséquences de l'accident médical :

14. Ainsi qu'il a été dit au point 12 ci-dessus, il résulte des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique qu'un accident médical ne peut ouvrir droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale que, entre autres conditions, s'il a eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci.

15. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

16. Il ne résulte pas de l'instruction que le fragment de sonde se serait cassé à l'occasion d'un acte accompli dans des conditions difficiles ou particulières, puisque la rupture du fil est très probablement intervenue lors de l'extraction de la première sonde " JJ " et de la mise en place de la deuxième sonde le 9 novembre 2009. D'une part, le second rapport d'expertise estimait qu'une telle rupture était très rare, un urologue ne cassant une extrémité de sonde qu'une ou deux fois au cours de sa carrière. D'autre part, le fragment peut alors être extrait à l'occasion d'une urétéroscopie complémentaire ou bien subsiste dans le corps du patient sans causer un quelconque dommage. La survenance de douleurs aiguës intermittentes causées par la persistance d'un fragment de sonde dans le corps d'un patient est ainsi rarissime. Dans ces conditions, les conséquences de l'acte médical en cause peuvent être regardées comme anormales dès lors que, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible, ce que ne conteste d'ailleurs pas l'ONIAM.

C. En ce qui concerne la gravité des préjudices :

17. Aux termes de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique, présente notamment le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné un taux d'incapacité permanente supérieur à 24 % ou, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %.

18. D'une part, il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise diligentée par l'arrêt avant-dire-droit du 15 février 2018, enregistré au greffe de la Cour le 13 décembre 2019, que les douleurs aiguës intermittentes liées à la présence d'un fragment de sonde situé dans l'uretère de Mme F... a entrainé un déficit fonctionnel permanent de 5 %, inférieur donc au taux d'incapacité permanente supérieur à 24 % ouvrant droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale.

19. D'autre part, il résulte de l'instruction et du même rapport d'expertise que les douleurs aiguës intermittentes dont souffre Mme F... du fait de cet accident chirurgicale n'entraînent pas une inaptitude à toute activité professionnelle et que les périodes d'incapacité temporaire liées à la présence de ce fil métallique ont été une incapacité temporaire totale de 22 jours correspondant à l'hospitalisation au sein de l'hôpital du Kremlin Bicêtre du 5 au 14 janvier 2010 et de l'hôpital Necker du 15 au 26 janvier 2010 puis une incapacité temporaire partielle à 30 % de 15 jours en raison de l'arrêt de travail post chirurgical du 26 janvier au 10 février 2010. Par suite, l'accident médical survenu en novembre 2009 n'a pas davantage entraîné un arrêt temporaire des activités professionnelles de Mme F... pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois.

20. Enfin, il résulte de l'instruction et du même rapport d'expertise que l'état de santé de Mme F... peut être regardé comme consolidé à la date du 11 janvier 2012 et qu'elle a subi avant cette consolidation 15 jours d'incapacité temporaire partielle à 30 % et après cette consolidation un déficit fonctionnel permanent de 5 %. Par suite, Mme F... n'a pas non plus subi de gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %.

21. Il résulte de tout ce qui précède que dès lors que le critère de gravité des préjudices subis par Mme F... du fait de l'accident médical survenu en novembre 2009, fixé par les dispositions législatives et réglementaires précitées, n'est pas rempli, les conditions posées par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique pour que l'accident médical dont a été victime Mme F... puisse lui ouvrir droit à la réparation de ses préjudices au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies en l'espèce, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges. Par suite, les conclusions de l'ONIAM tendant à l'annulation du jugement n° 1508412 du 18 mars 2016 du tribunal administratif de Melun doivent être accueillies et la demande indemnitaire de Mme F... rejetée.

III Sur les frais liés à l'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme F... demande au titre des frais liés à l'instance et exposés par elle.

IV Sur les dépens :

23. Les honoraires du docteur Davody mis à la charge de l'ONIAM en première instance sont maintenus et les honoraires des docteurs C... et Chedru, experts judiciaires désignés en appel, taxés et liquidés par deux ordonnances du président de la Cour en date du 5 février 2020 aux sommes respectives de 6 000 euros incluant l'allocation provisionnelle d'un montant de 5 000 euros accordée par l'ordonnance du 7 septembre 2018 et de 2 400 euros incluant l'allocation provisionnelle d'un montant de 2 400 euros accordée par l'ordonnance du 3 avril 2019, doivent être mis à la charge de l'ONIAM.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 3 du jugement n° 1508412 du 18 mars 2016 du tribunal administratif de Melun sont annulés.

Article 2 : Les demandes de première instance et d'appel de Mme F... sont rejetées.

Article 3 : Les frais d'expertise taxés et liquidés aux sommes de 6 000 euros incluant l'allocation provisionnelle d'un montant de 5 000 euros accordée par l'ordonnance du 7 septembre 2018 et de 2 400 euros incluant l'allocation provisionnelle d'un montant de 2 400 euros accordée par l'ordonnance du 3 avril 2019 sont mis à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... F... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Copie en sera adressée à M. I... C... et à M. G... A..., experts.

Délibéré après l'audience du 12 avril 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Luben, président de la formation de jugement,

- Mme B..., premier conseiller,

- Mme Larsonnier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2021.

Le président de la formation de jugement,

I. LUBEN

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

N° 16PA01675


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA01675
Date de la décision : 30/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité sans faute.


Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Aurélie BERNARD
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : AARPI GIDE-LOYRETTE-NOUEL

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-04-30;16pa01675 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award