La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/04/2021 | FRANCE | N°19PA00615

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 09 avril 2021, 19PA00615


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 23 février 2017 par laquelle le ministre des affaires étrangères et du développement international, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ainsi que le ministre des affaires sociales et de la santé lui ont indiqué qu'il ne pouvait poursuivre son parcours de formation médicale en France et qu'il devait y cesser immédiatement toute activité de soin ainsi que la décision du 24

février 2017 par laquelle la directrice adjointe des affaires médicales des...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 23 février 2017 par laquelle le ministre des affaires étrangères et du développement international, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ainsi que le ministre des affaires sociales et de la santé lui ont indiqué qu'il ne pouvait poursuivre son parcours de formation médicale en France et qu'il devait y cesser immédiatement toute activité de soin ainsi que la décision du 24 février 2017 par laquelle la directrice adjointe des affaires médicales des Hospices civils de Lyon lui a indiqué que son stage au sein des Hospices civils de Lyon prenait fin à compter du 23 février 2017 et que sa paie était suspendue à compter de cette même date.

Par un jugement n° 1800673/1-3 du 5 décembre 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 février 2019, 24 septembre 2019 et 11 août 2020, M. D..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1800673/1-3 du 5 décembre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler la décision du 23 février 2017 par laquelle le ministre des affaires étrangères et du développement international, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ainsi que le ministre des affaires sociales et de la santé lui ont indiqué qu'il ne pouvait poursuivre son parcours de formation médicale en France et qu'il devait y cesser immédiatement toute activité de soin ;

3°) d'annuler la décision du 24 février 2017 par laquelle la directrice adjointe des affaires médicales des Hospices civils de Lyon lui a indiqué que son stage au sein des Hospices civils de Lyon prenait fin à compter du 23 février 2017 et que sa paie était suspendue à compter de cette même date ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat et des Hospices civils de Lyon le versement respectif de la somme de 4 000 euros et de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les procès-verbaux du comité de suivi ne constituent pas des décisions ;

- les procès-verbaux du comité de suivi ne sont ni opposables, ni invocables en application de l'article L. 221-8 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le tribunal a retenu à tort l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des décisions du comité de suivi dès lors qu'elles ne sont pas rattachables à l'exercice de relations diplomatiques et que l'accord renvoie à la réglementation française ;

- l'administration n'était pas en compétence liée dès lors qu'elle s'est fondée sur un motif distinct de celui retenu par le comité de suivi ;

- les décisions des 23 et 24 février 2017 méconnaissent les dispositions de l'article R. 6153-31 du code de la santé publique ;

- il a agi sur délégation et sous la responsabilité du praticien ;

- la décision du 23 février 2017 méconnaît le principe du contradictoire en méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision du 23 février 2017 est entaché d'inexactitude matérielle des faits et d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'évaluation de son parcours ;

- les décisions des 23 et 24 février 2017 sont illégales par voie d'exception de l'illégalité des décisions du comité de suivi ; la décision du comité de suivi est entachée d'erreur de droit dès lors qu'aucune disposition ne fait obstacle au transfert dans un autre établissement ; elle procède à l'abrogation illégale d'une décision créatrice de droits ; elle méconnaît les dispositions de l'article R. 632-19 et R. 632-20 du code de l'éducation ; elle méconnaît le principe du contradictoire prévu par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision du 24 février 2017 est illégale par voie d'exception de l'illégalité de la décision du 23 février 2017 ;

- les décisions des 23 et 24 février 2017 abrogent illégalement une décision créatrice de droits.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2019, le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître des décisions du comité de suivi, qui est une instance intergouvernementale présentant le caractère d'un organisme international ;

- les autres moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2019, les Hospices civils de Lyon, représentées par Me F..., concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître des décisions du comité de suivi, qui est une instance intergouvernementale présentant le caractère d'un organisme international ;

- les autres moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au ministre des solidarités et de la santé, qui n'ont pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le décret n° 2012-1123 du 3 octobre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mach, premier conseiller,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- les observations de Me C..., avocat de M. D....

Mme B..., représentant le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, n'a pas présenté d'observations.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., étudiant en médecine de nationalité saoudienne, a été sélectionné dans le cadre du protocole additionnel à l'accord de coopération dans le domaine de l'enseignement et de la recherche scientifique du 13 janvier 2008 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d'Arabie Saoudite relatif à la formation en France de médecins spécialistes saoudiens, signé le 9 octobre 2011, pour accomplir une partie de sa formation en France en vue de la délivrance d'un diplôme d'études spécialisées en cardiologie et maladies vasculaires. Par décision du 23 février 2017, le ministre des affaires étrangères, le ministre de l'enseignement supérieur et le ministre de la santé l'ont informé qu'il ne pouvait poursuivre son parcours de formation médicale en France et qu'il devait y cesser immédiatement toute activité de soin. Par décision du 24 février 2017, la directrice adjointe des affaires médicales des Hospices civils de Lyon l'a informé de la fin de son stage au sein de l'établissement suite à la décision du 23 février 2017 des trois ministres concernés. M. D... relève appel du jugement du 5 décembre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 23 et 24 février 2017.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 1er du protocole additionnel à l'accord de coopération dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique du 13 janvier 2008 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d'Arabie Saoudite relatif à la formation en France de médecins spécialistes saoudiens, signé à Ryad le 9 octobre 2011 : " La partie saoudienne présente à la partie française des médecins ayant l'autorisation d'exercer la médecine en Arabie saoudite et désireux de venir se spécialiser en France. Elle peut également présenter des médecins d'ores et déjà spécialistes souhaitant se perfectionner. (...) ". Aux termes de l'article 4 du même protocole : " La partie française accueille, en fonction des disponibilités dans les spécialités demandées, cinquante médecins saoudiens par an, pour une durée correspondant à la durée de la formation souhaitée. (...). Dans ce cadre, ils peuvent s'inscrire à la préparation du diplôme d'études spécialisées (DES) ou du diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC). Les médecins saoudiens suivront leur formation dans les mêmes conditions et feront face aux mêmes obligations que leurs collègues internes français. (...) / La partie française, sous réserve que les médecins saoudiens satisfassent à tous les critères d'évaluation académiques et pratiques en vigueur, tels que stipulés par le code français de l'éducation, délivre à l'issue de la formation le diplôme d'études spécialisées (DES) ou le diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC). / La partie française met à disposition, pour les médecins saoudiens sélectionnés, des postes d'étudiants faisant fonction d'interne dans les services agréés pour la formation des internes, sous condition d'un paiement par la partie saoudienne, euro pour euro, de la rémunération, charges comprises, à l'établissement concerné et en lien avec leur inscription universitaire, selon la réglementation française. (...) / Les deux parties mettent en place un comité de suivi, au niveau national, qui sera chargé de rendre compte de la mise en oeuvre du présent accord et de rechercher les solutions en cas de difficultés dans son exécution. (...) ".

3. M. D..., étudiant en médecine de nationalité saoudienne, a été autorisé à s'inscrire à compter de l'année universitaire 2013-2014 à l'unité de formation et de recherche de médecine de l'université de Lille 2 en vue de la délivrance d'un diplôme d'études spécialisées en cardiologie et maladies vasculaires. L'intéressé n'a pas validé ses deux semestres et s'est inscrit pour les années universitaires 2014-2015, 2015-2016, 2016-2017 à l'unité de formation et de recherche de médecine de l'université Lyon 1, où il a notamment accompli des stages en qualité d'interne aux Hospices civils de Lyon. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des comptes-rendus des 30 septembre 2015 et 18 novembre 2016, que le comité de suivi prévu à l'article 4 du protocole additionnel a examiné la situation de M. D... à deux reprises, en rappelant sa situation administrative en France, et notamment la fin de son parcours à Lille, et en décidant seulement d'interroger l'unité de formation et de recherche de médecine de l'université de Lyon 1, mentionnant en novembre 2016 que ce cas était toujours d'actualité. Contrairement à ce que fait valoir l'administration, il ne ressort pas de ces comptes-rendus que le comité de suivi aurait, le 30 septembre 2015, décidé de mettre fin à la formation médicale en France de M. D... et aurait réitéré cette décision le 18 novembre 2016. Au surplus, l'administration n'apporte aucun élément de nature à justifier les motifs pour lesquels M. D... n'aurait été informé qu'en février 2017 de la fin de sa formation décidée par le comité de suivi le 30 septembre 2015. En tout état de cause, aucune stipulation du protocole additionnel n'habilite le comité de suivi à prendre des décisions individuelles à l'encontre des médecins saoudiens. Par suite, M. D... est fondé à soutenir qu'en l'absence de décision du comité de suivi, le tribunal ne pouvait juger que les ministres compétents et les Hospices civils de Lyon se trouvaient en situation de compétence liée pour mettre fin à sa formation par les décisions des 23 et 24 février 2017 et que les moyens dirigés contre ces décisions étaient, pour ce motif, inopérants.

4. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".

5. La décision du 23 février 2017 mettant fin à la formation médicale en France de M. D... est fondée sur la décision du comité de suivi du 30 septembre 2015 de mettre fin à son parcours et sur la réalisation à Lyon d'actes médicaux mettant en péril la vie d'un patient. D'une part, et ainsi qu'il a été dit au point 3, le comité de suivi n'a pris aucune décision en ce sens. D'autre part, ce second motif, qui est relatif au comportement personnel de M. D..., ne pouvait lui être opposé sans qu'il ait été préalablement mis en mesure de présenter ses observations. Il est constant que M. D... n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations avant l'intervention de cette décision. Par suite, la décision du 23 février 2017 a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance du principe du contradictoire prévu à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration.

6. L'illégalité de la décision du 23 février 2017 entraîne par voie de conséquence l'illégalité de la décision du 24 février 2017 mettant fin à son stage aux Hospices civils de Lyon.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. D..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que les Hospices civils de Lyon demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge conjointe de l'Etat et des Hospices civils de Lyon une somme de 1 500 euros à verser à M. D... sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1800673/1-3 du 5 décembre 2018 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La décision du 23 février 2017 du ministre des affaires étrangères et du développement international, du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministre des affaires sociales et de la santé ainsi que la décision du 24 février 2017 de la directrice adjointe des affaires médicales des Hospices civils de Lyon sont annulées.

Article 3 : L'Etat et les Hospices civils de Lyon verseront à M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions des Hospices civils de Lyon présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, au ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et aux Hospices civils de Lyon.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme A..., président de chambre,

- Mme Julliard, présidente assesseure,

- Mme Mach, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 avril 2021.

Le rapporteur,

A-S MACHLe président,

M. A...Le greffier,

S. GASPARLa République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, au ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19PA00615 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00615
Date de la décision : 09/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

01-01-03 Actes législatifs et administratifs. Différentes catégories d'actes. Actes de gouvernement.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie MACH
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : MIQUET

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-04-09;19pa00615 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award