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31/03/2021 | FRANCE | N°20PA03226

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 31 mars 2021, 20PA03226


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités autrichiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile, d'enjoindre au préfet de police de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de l'admettre au bénéfice de l'aide jur

idictionnelle provisoire et de mettre à la charge à de l'Etat le versement à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités autrichiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile, d'enjoindre au préfet de police de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et de mettre à la charge à de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2014452/8 du 8 octobre 2020, le Tribunal administratif de Paris a admis M. E... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté contesté, a enjoint au préfet de police de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 novembre 2020 et le 30 décembre 2020, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2 à 4 du jugement n° 2014452/8 du 8 octobre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- l'arrêté du 8 septembre 2020 pouvait légalement porter transfert de M. E... aux autorités autrichiennes, dès lors qu'elles ont accepté de mener à son terme l'examen de sa demande d'asile et d'être l'Etat responsable de cette demande ;

- en tout état de cause il ne pouvait être enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. E... en procédure normale, celui-ci relevant de la procédure accélérée dès lors qu'il a présenté des demandes d'asile sous des identités différentes ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. E... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2020, M. E..., représenté par Me C..., conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer sur la requête du préfet de police, à titre subsidiaire, au rejet de celle-ci, à ce qu'il lui soit accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- à titre principal, il n'y a pas lieu de statuer sur la requête dès lors que sa demande d'asile a été enregistrée en procédure normale par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ;

- à titre subsidiaire, la requête du préfet de police n'est pas fondée.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris du 10 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant afghan né selon ses déclarations le 1er avril 1990, est entré irrégulièrement en France et a sollicité le 27 juillet 2020 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé que l'intéressé avait présenté une demande d'asile auprès des autorités hongroises le 12 avril 2016 et des autorités autrichiennes le 20 avril 2016. Le préfet de police a adressé aux autorités hongroises une demande de reprise en charge de M. E... en application du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qu'elles ont rejetée par une décision du 30 juillet 2020. Le préfet de police a adressé aux autorités autrichiennes une demande de reprise en charge de M. E... en application des mêmes dispositions, qu'elles ont explicitement acceptée le 31 juillet 2020. Par un arrêté du 8 septembre 2020, le préfet de police a décidé le transfert de M. E... aux autorités autrichiennes. Par un jugement du 8 octobre 2020, le Tribunal administratif de Paris a admis M. E... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté contesté, a enjoint au préfet de police de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance. Le préfet de police relève appel des articles 2 à 4 de ce jugement.

Sur les conclusions tendant à l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. M. E... ayant été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris du 10 février 2021, il n'y a pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire, qui sont devenues sans objet.

Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée en défense :

3. S'il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a délivré à M. E... une attestation de demande d'asile en procédure normale le 21 octobre 2020 et qu'il a pu présenter une demande d'asile auprès des services de l'OFPRA le 7 novembre 2020, ces mesures sont intervenues en exécution du jugement du Tribunal administratif de Paris du 8 octobre 2020 et n'excèdent pas ce qui était nécessaire à l'exécution de ce jugement. Dans ces conditions, l'exception de non-lieu à statuer soulevée par M. E... doit être écartée.

Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Paris :

4. D'une part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, intégré dans le chapitre II de ce règlement intitulé " Principes généraux et garanties " : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsque aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen [...] ". Le chapitre III de ce règlement est intitulé " Critères de détermination de l'Etat responsable ".

5. D'autre part, aux termes de l'article 18 du même règlement, intégré dans le chapitre V du règlement, intitulé " Obligations de l'Etat membre responsable " : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : [...] b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre; [...] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre [...] ".

6. L'arrêté du 8 septembre 2020 du préfet de police, qui fonde le transfert de M. E... aux autorités autrichiennes sur les dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 relatives à la reprise en charge d'un demandeur d'asile par un Etat membre de l'Union Européenne, mentionne notamment que celui-ci a présenté une demande de protection internationale en Hongrie et en Autriche avant de solliciter l'asile auprès des autorités nationales, et indique que les critères mentionnés au chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 ne sont pas applicables à sa situation. Il ressort des motifs du jugement attaqué que, pour annuler cet arrêté, le premier juge a déduit de ces circonstances que, en application de l'article 3 et du 1. de l'article 18 de ce règlement, l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile de M. E... était non pas l'Autriche mais le premier Etat membre auprès duquel il avait introduit sa demande de protection internationale, c'est-à-dire la Hongrie.

7. Cependant, selon l'avis n° 420900 du 7 décembre 2018 du Conseil d'Etat, lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre Etat membre, elle peut être transférée vers cet Etat, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI du règlement (UE) n° 604/2013. Cet avis expose en outre qu'est suffisamment motivée, au sens des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. L'avis précise à titre d'exemple que, s'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.

8. Il ressort en outre de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt n° C-582/217 et C-583/17 du 2 avril 2019, au point 52, que les b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 ne trouvent à s'appliquer que si l'Etat membre dans lequel une demande a été antérieurement introduite a achevé la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile en admettant sa responsabilité pour examiner cette demande et en a débuté l'examen, au point 58, que la procédure de reprise en charge est régie par des dispositions présentant des différences substantielles avec celles gouvernant la procédure de prise en charge et, aux points 65 à 72, que malgré le libellé " Obligations de l'Etat membre responsable " du chapitre V, l'interprétation selon laquelle une requête aux fins de reprise en charge ne pourrait être formulée que si l'Etat membre requis peut être désigné comme l'Etat responsable en application des critères de responsabilité énoncés au chapitre III du règlement est contredite par l'économie générale de ce règlement.

9. Il ressort de ces jurisprudences que les critères du chapitre III du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne sont susceptibles de fonder une décision de transfert que s'il s'agit d'un transfert en vue d'une première prise en charge, et non en vue d'une reprise en charge. Il en ressort également que les dispositions du b) à d) du 1 de l'article 18 de ce règlement doivent être regardées comme figurant au nombre des critères énumérés dans le règlement, au sens du 2 de l'article 3 du règlement. Par suite, lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile auprès d'un ou de plusieurs Etats membres, avant d'entrer sur le territoire d'un autre Etat membre pour y solliciter de nouveau l'asile dans des conditions permettant à cet Etat de demander sa reprise en charge sur le fondement des dispositions du b), c) ou d) du 1 de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, sa situation ne relève pas des dispositions du premier alinéa du 2 de l'article 3 du règlement, qui concernent le cas dans lequel aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans ce règlement.

10. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les recherches effectuées par les services du ministère de l'intérieur dans le fichier " Eurodac " à partir des relevés décadactylaires de M. E... ont permis d'établir que, le 12 avril 2016, il a sollicité l'asile auprès des autorités hongroises, et qu'il est ultérieurement entré en Autriche où il a présenté une demande d'asile le 20 avril 2016, qui a été rejetée. En décidant d'examiner ainsi la demande d'asile de M. E... en 2016 alors qu'il avait antérieurement sollicité l'asile en Hongrie, les autorités autrichiennes ont reconnu leur responsabilité pour examiner cette demande, mettant ainsi fin au processus de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande prévu par le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ces autorités ont de plus explicitement accepté, le 31 juillet 2020, de reprendre en charge M. E... sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 de ce règlement.

11. Par suite, en vertu de la règle énoncée au point 9, la situation de M. E... ne relève pas des dispositions du premier alinéa du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 en application desquelles, lorsqu'aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans ce règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen de cette demande.

12. Il suit de là que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 8 septembre 2020 au motif que la Hongrie, et non l'Autriche, serait responsable de l'examen de la demande d'asile de M. E....

13. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le Tribunal et devant la Cour.

Sur les autres moyens soulevés par M. E... :

En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté attaqué :

14. En premier lieu, par un arrêté n° 2020-00508 du 16 juin 2020, régulièrement publié au bulletin officiel de la ville de Paris du 23 juin 2020, le préfet de police a donné à Mme F... B..., attachée principale d'administration de l'Etat affectée au sein du douzième bureau de la sous-direction de l'administration des étrangers de la direction de la police générale à la préfecture de police, signataire de l'arrêté attaqué, délégation à l'effet de signer les décisions en matière de police des étrangers en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il n'est pas établi qu'elles n'étaient pas absentes ou empêchées lors de la signature de l'arrêté litigieux. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence dont serait entaché cet arrêté manque en fait et doit être écarté.

15. En deuxième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement

16. L'arrêté du 8 septembre 2020, par lequel le préfet de police a décidé le transfert de M. E... aux autorités autrichiennes, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il indique qu'" il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. E... au moyen du système Eurodac, effectuée conformément au règlement n° 603/2013 [...], que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités autrichiennes le 20 avril 2016 " et que " les critères prévus par le chapitre III ne sont pas applicables à la situation de M. E..., qu'en conséquence, au regard des articles 3 et 18 (1) (b), les autorités autrichiennes doivent être regardées comme étant responsables de la demande d'asile de M. E... " et qu'enfin, ces autorités, après avoir été saisies sur ce fondement, " ont fait connaître leur accord le 31 juillet 2020 en application de l'article 18 (1) (d) du règlement ". Par ailleurs, le préfet de police a précisé que " l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. E... ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement UE n° 604/2013 ". Par suite, cet arrêté est suffisamment motivé.

17. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement [...]. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 [...] ".

18. Il ressort des pièces du dossier que M. E..., qui a présenté une demande d'asile le 27 juillet 2020, s'est vu remettre, contre signature, le jour même, la brochure dite " A " (" J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' "), la brochure dite " B " (" Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' "), ainsi que, en tout état de cause, la brochure " Eurodac " contenant les informations mentionnées par l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ces documents, rédigés en dari, langue que M. E... affirme comprendre, ne comportaient pas l'ensemble des éléments d'information énumérés par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Si M. E... soutient qu'étant illettré, il n'a pu lire ces documents d'information, et que l'interprète qui l'assistait aurait dû lui lire leur contenu oralement, il ressort des pièces du dossier que lors de l'entretien individuel, il a déclaré comprendre l'ensemble des termes de cet entretien sans formuler de réserve concernant l'illettrisme dont il fait état dans ses écritures, et qu'il a apposé sa signature, le jour-même, sur l'ensemble de ces documents. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

19. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / [...] 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national [...] ".

20. Il ressort des pièces du dossier que M. E... a bénéficié, le 27 juillet 2020, d'un entretien individuel assuré par un agent de la préfecture de police. Le préfet de police a produit, en annexe de ses écritures en défense de première instance, un résumé de son entretien individuel, signé par M. E..., contenant les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Il ne ressort pas des pièces du dossier que cet agent n'aurait pas été qualifié pour conduire l'entretien. Dès lors que l'entretien de M. E... a été mené par une personne qualifiée au sens du 5. de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien individuel n'a pas privé M. E... de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Par ailleurs, cet entretien a eu lieu en dari, langue comprise par l'intéressé qui a d'ailleurs déclaré " avoir compris l'ensemble des termes de cet entretien ", par le biais d'un interprète qualifié de l'agence ISM interprétariat dont le nom, le prénom et l'adresse sont indiqués. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'entretien individuel se serait déroulé dans des conditions ne garantissant pas la confidentialité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

21. En cinquième lieu, aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013 [...] ".

22. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a saisi les autorités autrichiennes le 29 juillet 2020 d'une demande de reprise en charge de M. E..., ce dont il justifie en produisant la copie de la requête qu'il a adressée aux autorités autrichiennes, qui a été acceptée par l'office fédéral pour le droit des étrangers et le droit d'asile le 31 juillet 2020 - ainsi qu'en atteste la décision d'acceptation transmise par cette autorité. Ainsi la requête aux fins de reprise en charge a-t-elle été présentée deux jours après la réception du résultat positif Eurodac, qui est intervenue le 27 juillet 2020, soit dans un délai rapide au sens de l'article 23 précité. Par suite, M. E... ne peut soutenir que le préfet de police aurait méconnu les dispositions de l'article 23 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Enfin, M. E... ne saurait utilement se prévaloir des dispositions des articles 15, 18 et 19 du règlement n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, qui concernent les transmissions effectuées par le réseau Dublinet, pour soutenir que la preuve de la réception par les autorités autrichiennes de la demande de reprise en charge ne serait pas apportée, dès lors qu'en l'espèce et comme il a été dit précédemment, le préfet de police établit avoir saisi les autorités autrichiennes d'une demande de reprise en charge, lesquelles l'ont explicitement acceptée. Ainsi, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté attaqué :

23. En premier lieu, si M. E... soutient que sa demande d'asile avait été définitivement rejetée en Autriche, et que le préfet de police ne pouvait se fonder sur les dispositions du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, il résulte cependant des motifs circonstanciés de l'arrêté attaqué que le préfet de police, qui a procédé à un examen personnel et complet de la situation de M. E..., pouvait légalement décider son transfert sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 précité, la substitution de cette base légale à celle du b) du même article - substitution mentionnée par M. E..., pour l'écarter, dans ses écritures en défense - n'ayant pas pour effet de le priver d'une garantie. Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient M. E..., le moyen tiré du défaut de base légale doit être écarté.

24. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

25. M. E... soutient que son transfert aux autorités autrichiennes, qui ont rejeté sa demande de protection internationale, aurait pour conséquence son réacheminement vers l'Afghanistan, pays caractérisé par une violence généralisée et où il serait susceptible d'être exposé à des traitements inhumains et dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cependant, et même si cette présomption n'est pas irréfragable, l'Autriche est présumée se conformer aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et aux dispositions de la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. S'il ressort des pièces produites par M. E... en première instance que l'office fédéral pour le droit des étrangers et le droit d'asile (Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl) autrichien a rejeté sa demande d'asile, par une décision du 11 avril 2017, confirmée par le tribunal administratif fédéral (Bundesverwaltungsgericht) autrichien, l'existence d'un risque sérieux de renvoi de M. E... en Afghanistan, qui ne démontre pas qu'il ne serait pas à même d'exercer un recours effectif contre une éventuelle nouvelle mesure d'éloignement prise par ces mêmes autorités, n'est pas établie. Par suite, et alors que le préfet de police n'était pas tenu, en l'espèce, de solliciter des autorités autrichiennes, sur le fondement de l'article 34 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, un partage d'informations quant à l'exécution d'office de la décision d'éloignement, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés doivent être écartés.

26. Enfin, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement [...] ".

27. M. E... soutient que, dès lors qu'il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de renvoi en Afghanistan, le préfet de police aurait dû faire usage de la possibilité, prévue par l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, d'examiner sa demande d'asile alors même que cet examen ne lui incombait pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit précédemment au point 25 que M. E... n'établit pas l'existence d'un risque sérieux de renvoi en Afghanistan, de sorte qu'en s'abstenant d'examiner sa demande d'asile, le préfet de police n'a pas méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur la situation personnelle de M. E.... Par suite, ces moyens doivent être écartés.

28. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté attaqué du 8 septembre 2020, lui a enjoint de délivrer à M. E... une attestation de demande d'asile en procédure normale et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance. Il est dès lors fondé à demander l'annulation des articles 2 à 4 de ce jugement et le rejet des conclusions de la demande de E... auxquelles le Tribunal a fait droit, à l'exception de celles tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur les frais liés à l'instance :

29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. E... demande, au profit de son défenseur, au titre des frais liés à l'instance.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. E... tendant à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2014452/8 du 8 octobre 2020 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 3 : Les conclusions de la demande présentée par M. E... auxquelles le Tribunal administratif de Paris a fait droit aux articles 2 à 4 du jugement n° 2014452/8 sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. E... devant la Cour sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... E....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 16 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Hamon, président

- M. Segretain, premier conseiller,

- M. D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mars 2021.

Le rapporteur,

K. D...Le président,

P. HAMON

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 20PA03226


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA03226
Date de la décision : 31/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : Mme HAMON
Rapporteur ?: M. Khalil AGGIOURI
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : SARHANE

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-03-31;20pa03226 ?
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