Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 16 octobre 2020 par lequel le préfet de police a ordonné son transfert aux autorités suédoises.
Par un jugement n° 2017978 du 20 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a provisoirement admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, a annulé l'arrêté contesté, a enjoint au préfet de police de délivrer à M. B... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2020, le préfet de police demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 novembre 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que son arrêté était entaché d'une méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mars 2021, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour de constater qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la requête du préfet, ou à titre subsidiaire de rejeter cette requête et de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- son dossier ayant été enregistré par l'OFPRA le 24 décembre 2020, la France est devenue responsable de sa demande d'asile et il n'y a plus lieu de statuer sur la requête du préfet ;
- à titre subsidiaire, le jugement doit être confirmé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission ;
- le règlement (UE) n°603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant afghan né le 26 janvier 1993 selon ses déclarations, a sollicité le 3 septembre 2020 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier Eurodac a révélé qu'il avait présenté une demande d'asile auprès des autorités suédoises les 18 novembre 2015 et 15 juin 2016. Le préfet de police a donc adressé une demande de reprise en charge de M. B... aux autorités suédoises, qui l'ont acceptée le 8 septembre 2020. Par un arrêté
du 16 octobre 2020, le préfet de police a décidé transférer M. B... en Suède. Par le jugement du 20 novembre 2020 dont il est fait appel, le tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté contesté, a enjoint au préfet de police d'enregistrer la demande d'asile de l'intéressé et de lui délivrer l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement et a rejeté le surplus des demandes.
En ce qui concerne l'exception de non-lieu à statuer opposée par M. B... :
2. La circonstance que la demande d'asile de M. B... a été enregistrée par l'OFPRA n'est pas de nature à priver d'objet la requête du préfet demandant l'annulation du jugement du 20 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a notamment annulé l'arrêté du 16 octobre 2020 ordonnant son transfert aux autorités suédoises. Il y a dès lors lieu de statuer sur la requête du préfet de police.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
3. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Pour considérer que l'arrêté en litige méconnaissait les stipulations précitées, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que la demande d'asile de M. B... avait été définitivement rejetée par une décision de l'office suédois des migrations, qu'elle était assortie d'une obligation de quitter le territoire, que son recours contre cette décision avait été définitivement rejeté par les juridictions suédoises le 26 avril 2019 et qu'en conséquence M. B... était exposé à un renvoi en Afghanistan.
4. L'arrêté en litige a cependant pour seul objet de transférer M. B... en Suède, État membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et non dans son pays d'origine. M. B..., qui se borne dans ses écritures de première instance à évoquer la " volonté manifeste des autorités suédoises de [le] reconduire en Afghanistan " et à invoquer un risque de persécution dans ce pays, ne produit aucun élément permettant d'établir qu'il existerait des défaillances systémiques en Suède dans la procédure de traitement des demandes d'asile. En tout état de cause, alors même que sa demande d'asile aurait été définitivement rejetée par les autorités suédoises et qu'il est exposé à un renvoi dans son pays d'origine, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que ces autorités n'évalueront pas, avant le cas échéant de procéder à un éloignement de l'intéressé, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan. Dès lors, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a retenu le moyen tiré de ce que l'arrêté méconnaîtrait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler l'arrêté en litige.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par M. B... :
6. En premier lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des termes de l'arrêté en litige que celui-ci serait entaché d'un défaut d'examen de la situation de M. B.... Si l'intéressé soutient qu'il n'a pas été tenu compte du rejet de sa demande d'asile par les autorités suédoises, l'arrêté précise notamment que sa reprise en charge a été acceptée par les autorités suédoises au titre du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, lequel correspond précisément à l'hypothèse dans laquelle la demande a été rejetée dans le pays sollicité pour la reprise en charge de la demande d'asile.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ". Aux termes de l'article L. 111-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger fait l'objet d'une mesure de non-admission en France, de maintien en zone d'attente, de placement en rétention, de retenue pour vérification du droit de circulation ou de séjour ou de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qu'il ne parle pas le français, il indique au début de la procédure une langue qu'il comprend. Il indique également s'il sait lire. Ces informations sont mentionnées sur la décision de non-admission, de maintien ou de placement. Ces mentions font foi sauf preuve contraire. (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre, le 3 septembre 2020, l'ensemble des informations nécessaires au suivi de sa demande et à l'engagement de la procédure de transfert, et tout particulièrement, la brochure d'information sur le règlement " Dublin III " contenant une information générale sur la demande d'asile et le relevé d'empreintes (brochure A), la brochure d'information pour les demandeurs d'asile dans le cadre de la procédure " Dublin III " (brochure B), la brochure d'information, rédigée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, relative à la base de données " Eurodac ", ainsi que le guide du demandeur d'asile, rédigés en langue dari, que l'intéressé avait préalablement déclaré comprendre. En outre, si M. B... soutient qu'il est illettré, il n'a pas fait état de cet illettrisme ni au cours de l'entretien individuel ni à aucun autre moment de la procédure, ainsi qu'il lui appartenait de le faire en application des dispositions précitées de l'article L. 111-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi, M. B... n'a pas été privé de la garantie prévue par les dispositions des articles 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et L. 111-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes du paragraphe 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
10. Si, en vertu de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police est l'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'entretien individuel requis pour l'application de l'article 5 précité soit mené par un agent de la préfecture qui, n'étant pas le signataire de la décision de transfert déterminant l'État responsable de l'examen de la demande d'asile, n'avait pas à bénéficier d'une délégation de signature du préfet pour procéder à cet entretien. Ainsi, si le résumé de l'entretien individuel de M. B... ne comporte pas le nom et la qualité de l'agent qui l'a conduit, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été reçu le 3 septembre 2020 par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale en charge de l'asile de la préfecture de police. Dès lors que l'entretien de M. B... a ainsi été mené par une personne qualifiée au sens du paragraphe 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'absence d'indication de l'identité de cet agent n'a pas privé l'intéressé de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. L'arrêté de transfert ne méconnaît donc pas les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013.
11. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...). / 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de cet article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ", la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Aux termes de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir l'une des atteintes graves suivantes : (...) / c) S'agissant d'un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ".
12. Ainsi qu'il a été dit au point 4 du présent arrêt, l'arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Suède et non dans son pays d'origine, et il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'asile de l'intéressé n'aurait pas été traitée par les autorités suédoises dans des conditions permettant la mise en oeuvre des garanties exigées par le respect du droit d'asile. En outre, si M. B... allègue qu'il est d'origine hazara, qu'il est de ce fait particulièrement exposé aux violences généralisées en Afghanistan, et fait valoir qu'il est susceptible d'être renvoyé dans son pays par les autorités suédoises, il ne fait état d'aucun élément circonstancié et précis propre à sa situation personnelle de nature à établir que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant d'appliquer la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Pour le même motif, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté. Enfin, M. B... ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 41 de la directive n°2013/32/UE relative à des procédures communes pour 1'octroi et le retrait de la protection internationale, dont la transposition a été assurée en droit interne par la loi 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 20 octobre 2020, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de l'intéressé et de lui délivrer l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de dix jours à compter de la notification du jugement. Il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué et de rejeter les conclusions de M. B... à fin d'annulation, d'injonction, et celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2017978 du 20 novembre 2020 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions à fin d'annulation, d'injonction et tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Paris, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 9 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Larsonnier, premier conseiller,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2021.
Le rapporteur,
G. C...Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°20PA04113 2