La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/03/2021 | FRANCE | N°20PA02296

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 25 mars 2021, 20PA02296


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté en date du 20 août 2019 par lequel le préfet du Val-de-Marne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié ", lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 1908428 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 20 août 2019 susvisé, a en

joint au préfet du Val-de-Marne de délivrer à l'intéressée un titre de séjour dans le d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté en date du 20 août 2019 par lequel le préfet du Val-de-Marne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié ", lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 1908428 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 20 août 2019 susvisé, a enjoint au préfet du Val-de-Marne de délivrer à l'intéressée un titre de séjour dans le délai de trois mois à compter de la date de notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme E....

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête enregistrée le 14 août 2020 sous le n° 20PA02296, le préfet du Val-de-Marne demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1908428 du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Melun.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a considéré qu'en refusant de délivrer le titre de séjour que Mme E... sollicitait, le préfet du Val-de-Marne a commis une erreur manifeste d'appréciation ;

- les autres moyens soulevés par Mme E... en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2020, Mme E..., représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du préfet du Val-de-Marne la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le jugement attaqué est fondé et que les arguments du préfet doivent être écartés.

II. Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2020 sous le n° 20PA03419, le préfet du Val-de-Marne demande à la Cour d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article

R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 1908428 du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Melun.

Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont remplies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2020, Mme E..., représentée par Me F..., conclut au rejet de la demande de sursis à exécution du jugement n° 1908428 et à ce qu'il soit mis à la charge du préfet du Val-de-Marne la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le jugement n° 1908428 du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Melun est fondé et que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative ne sont pas remplies.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... E..., ressortissante marocaine née le 10 juin 1972, qui soutient être arrivée en France en 2014, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 20 août 2019, le préfet du Val-de-Marne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement. Le préfet du Val-de-Marne relève appel du jugement du 9 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé, à la demande de Mme E..., l'arrêté du 20 août 2019 et demande, en outre, à la Cour, qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

2. Les requêtes susvisées n° 20PA02296 et n° 20PA03419, présentées par le préfet du Val-de-Marne tendent respectivement à l'annulation et au sursis à exécution du même jugement du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Melun et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Melun :

3. Aux termes de l'article 9 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord (...) ". L'article 3 du même accord stipule que : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable pendant un an renouvelable et portant la mention " salarié " (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie, au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 ".

4. L'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-marocain prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant marocain souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 du code précité à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, au sens de l'article 9 de cet accord. Toutefois, les stipulations de cet accord n'interdisent pas au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation d'un ressortissant marocain qui ne remplirait pas les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de plein droit d'un titre de séjour en qualité de salarié.

5. Mme E... soutient qu'elle réside en France depuis 2014 et qu'elle exerce une activité en tant qu'employée de maison et aide à domicile à temps complet au profit de Mme A... depuis le mois de juin 2016. La requérante produit, notamment, à l'appui de sa requête, des attestations émanant des trois enfants de Mme A... faisant état de leur volonté de poursuivre cette relation de travail avec elle, des fiches de paie au titre des mois de mai 2018 et juin 2019, des avis d'impositions au titre des années 2017 et 2018, des bulletins de salaires de juin à septembre 2019 ainsi que des certificats médicaux, postérieurs à l'arrêté litigieux. Cependant, Mme E... ne produit aucun contrat de travail. Elle n'établit pas non plus ni n'allègue être dépourvue d'attaches privées et familiales au Maroc où réside son enfant et où elle a vécu jusqu'à l'âge de 42 ans. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation de Mme E... relève de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires justifiant son admission exceptionnelle au séjour au titre de la vie privée et familiale. Ces circonstances ne suffisent pas non plus à établir que le préfet, en refusant de lui délivrer un titre de séjour " salarié ", aurait commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'exercice de son pouvoir de régularisation. Dans ces conditions, le préfet du Val-de-Marne est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé l'arrêté du 20 août 2019 au motif qu'il était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

6. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... devant le tribunal administratif de Melun.

Sur les autres moyens soulevés par Mme E... devant le tribunal :

7. En premier lieu, par un arrêté n° 2019/2404 du 5 août 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Val-de-Marne le même jour, le préfet du Val-de-Marne a donné à M. G... D..., directeur des migrations et de l'intégration, délégation à l'effet de signer, notamment, les arrêtés portant refus d'admission au séjour, refus de renouvellement ou retrait des titres de séjour ainsi que les décisions d'obligations de quitter le territoire français et interdiction de retour prises en application des dispositions des articles L. 511-1 à L. 511-5 et L. 513-1 à L. 513-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux aurait été signé par une autorité incompétente doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ".

Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit ou de fait qui constituent le fondement de la décision ". Enfin, aux termes de l'article L. 511-1 du code des relations entre le public et l'administration : " La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée (...) ".

9. L'arrêté litigieux du 20 août 2019 vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier les dispositions des articles L. 313-11 7°, L. 313-14 et L. 511-1. Il vise également l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, notamment son article 3. La décision litigieuse relève que Mme E... a sollicité la régularisation de sa situation sur le fondement des dispositions susvisées. Le préfet du Val-de-Marne précise que, Mme E... n'ayant pas fixé le centre de ses intérêts privés et familiaux en France, elle ne peut prétendre à la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet du Val-de-Marne énonce également qu'à défaut d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, Mme E... ne remplit pas les conditions pour obtenir un titre de séjour portant la mention " salarié " sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 et que son activité professionnelle ne présente pas les caractéristiques pouvant justifier son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Enfin, le préfet du Val-de-Marne précise que la décision en litige ne contrevient pas aux stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ces conditions, le préfet du Val-de-Marne, qui n'était pas tenu de reprendre l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle et professionnelle de Mme E..., a suffisamment énoncé les considérations de droit et de fait fondant la décision litigieuse. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée sera écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Val-de-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal de Melun a annulé l'arrêté du 20 août 2019 portant refus de délivrance d'un titre de séjour à Mme E..., lui faisant obligation de quitter le territoire français pour une durée de trente jours et fixant le pays de destination d'une mesure d'éloignement.

Sur les conclusions à fins de sursis à exécution du jugement :

11. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête n° 20PA02296 du préfet du Val-de-Marne tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Melun du

9 juillet 2020, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 20PA03419 par laquelle le préfet du Val-de-Marne sollicitait de la Cour le sursis à exécution du jugement.

Sur les frais de l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la partie perdante dans les instances n°s 20PA02296, et 20PA03419. Les conclusions présentées à ce titre par Mme E... dans les deux requêtes doivent, par suite, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA03419.

Article 2 : Le jugement n° 1908428 du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 3 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Melun et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et au ministre de l'intérieur.

Copie sera adressée au préfet du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 4 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2021.

La présidente de la 8ème chambre,

H. VINOTLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N°s 20PA02296, 20PA03419


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02296
Date de la décision : 25/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : ORMILLIEN

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-03-25;20pa02296 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award