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26/02/2021 | FRANCE | N°19PA04093

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 26 février 2021, 19PA04093


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 20 mars 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire, les décisions du 16 septembre 2018 puis du 30 novembre 2018 par lesquelles la ministre du travail a rejeté d'abord implicitement son recours hiérarchique formé le 15 mai 2018 puis explicitement.

Par jugement n°s 1820878/3-3 et 1902111/3-3 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions

du 20 mars 2018 de l'inspecteur du travail et du 30 novembre 2018 de la minis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 20 mars 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire, les décisions du 16 septembre 2018 puis du 30 novembre 2018 par lesquelles la ministre du travail a rejeté d'abord implicitement son recours hiérarchique formé le 15 mai 2018 puis explicitement.

Par jugement n°s 1820878/3-3 et 1902111/3-3 du 22 octobre 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du 20 mars 2018 de l'inspecteur du travail et du 30 novembre 2018 de la ministre du travail.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2019, la société Biocoop, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°s 1820878/3-3 et 1902111/3-3 du 22 octobre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de confirmer la décision du 20 mars 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. D..., la décision du 16 septembre 2018 par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté le recours formé contre cette décision et la décision du 30 novembre 2018 par laquelle la ministre du travail a finalement rejeté ce recours ;

3°) de rejeter les demandes de M. D... ;

4°) de mettre la somme de 2 500 euros à la charge de M. D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit dès lors que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'inspecteur du travail de Paris n'était pas compétent territorialement ;

- les faits du 5 janvier 2018 reprochés à M. D... sont matériellement établis et sont constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;

- les faits du 16 janvier 2018 reprochés à M. D... sont également matériellement établis contrairement à ce qu'ont considéré l'inspecteur du travail et la ministre du travail ;

- il n'existe aucun lien entre la sanction et son mandat.

Par un mémoire en appel incident, enregistré le 22 octobre 2020, la ministre du travail demande à la Cour d'annuler le jugement n°s1820878/3-3 et 1902111/3-3 du 22 octobre 2019 du tribunal administratif de Paris.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit dès lors que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'inspecteur du travail de Paris était territorialement incompétent ;

- la décision de l'inspecteur du travail du 20 mars 2018 et la décision ministérielle confirmative du 30 novembre 2018 ne sont entachées d'aucune illégalité tenant, d'une part, à l'absence d'erreur d'appréciation sur la matérialité et le caractère de gravité suffisant des griefs reprochés et d'autre part, à l'absence d'erreur d'appréciation concernant le lien entre le mandat du salarié et la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire présentée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2020, M. D..., représentée par

Me B..., demande à la Cour :

1°) de confirmer le jugement n°s 1820878/3-3 et 1902111/3-3 du 22 octobre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de mettre la somme de 3 500 euros à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 ;

- l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 ;

- le code de justice administrative ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., avocat de M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D... a été embauché par la société Biocoop, centrale d'achat alimentaire dont le siège social est situé à Paris, le 2 janvier 2007 et il a occupé, en dernier lieu, le poste d'agent de réception, sur la plateforme de distribution de la Croix blanche à Sainte-Geneviève-des-Bois. Il est titulaire d'un mandat de représentant syndical au sein du comité d'entreprise depuis le 6 décembre 2010. Par courrier du 16 janvier 2018, il a été convoqué par son employeur, par courrier du

16 janvier 2018, à un entretien préalable prévu le 26 janvier 2018, avec mise à pied conservatoire. Par courrier du 31 janvier 2018, la société Biocoop a sollicité de l'inspecteur du travail de l'unité départementale de Paris l'autorisation de licencier M. D... pour motif disciplinaire qui lui a été accordée par une décision du 20 mars 2018. Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 14 mai 2018, reçue le 15 mai suivant, M. D... a formé un recours hiérarchique contre cette décision qui a d'abord été rejeté implicitement par la ministre du travail le 16 septembre 2018 puis explicitement le 30 novembre 2018. M. D... a formé un recours en annulation de l'ensemble de ces décisions devant le tribunal administratif de Paris lequel, par jugement n°s 1820878/3-3 et 1902111/3-3 du 22 octobre 2019, a annulé les décisions du 20 mars 2018 de l'inspecteur du travail et du 30 novembre 2018 de la ministre du travail. La société Biocoop, et la ministre du travail par la voie de l'appel incident, relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 2421-1 du code du travail : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué syndical, d'un salarié mandaté, d'un membre de la délégation du personnel au comité social et économique interentreprises ou d'un conseiller du salarié est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans les conditions définies à l'article L. 2421-3 (...) / Dans tous les cas, la demande énonce les motifs du licenciement envisagé (...) ". Aux termes de l'article R. 2421-10 du même code : " La demande d'autorisation de licenciement d'un membre de la délégation du personnel au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est adressée à l'inspecteur du travail dans les conditions définies à l'article L. 2421-3 (...) / La demande énonce les motifs du licenciement envisagé (...) ". Aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail, dans sa rédaction issue du c du 121° du I de l'article 1er de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, publiée le 21 décembre 2017 : " (...) La demande d'autorisation de licenciement est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans lequel le salarié est employé. Si la demande d'autorisation de licenciement repose sur un motif personnel, l'établissement s'entend comme le lieu de travail principal du salarié. Si la demande d'autorisation de licenciement repose sur un motif économique, l'établissement s'entend comme celui doté d'un comité social et économique disposant des attributions prévues à la section 3, du chapitre II, du titre I, du livre III (...) ". Aux termes, enfin, du IV de l'article 4 de l'ordonnance du 20 décembre 2017 : " Les dispositions prévues au c du 121° (...) du I de l'article 1er de la présente ordonnance sont applicables aux demandes formées à compter de la date de sa publication ".

3. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article 11 de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, " Les dispositions (...) de l'article L. 2421-3 (...) dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance, relatives à la protection des salariés détenant ou ayant détenu des mandats de représentation du personnel, ainsi qu'aux salariés s'étant portés candidats à de tels mandats, restent applicables lorsqu'ont été mises en place, au plus tard le 31 décembre 2017, une ou plusieurs des institutions représentatives du personnel concernées par les dispositions précitées ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, d'une part, que les dispositions de l'article L. 2421-3 du code du travail dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 continuent à s'appliquer aux salariés titulaires uniquement d'un mandat amené à disparaître, tels que les délégués du personnel, les membres du comité d'entreprise et les membres du CHSCT. D'autre part, les dispositions nouvelles ne sont immédiatement applicables seulement pour les salariés détenteurs des mandats créés par l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 c'est-à-dire de membres du comité social et économique, les représentants de proximité et les membres du comité social et économique interentreprises et les salariés détenteurs des mandats maintenus à savoir les délégués syndicaux, les représentants de la section syndicale et les détenteurs de mandats extérieurs à l'entreprise.

5. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la demande d'autorisation de licenciement de M. D..., le 31 janvier 2018, ce dernier était titulaire d'un mandat de représentant syndical au sein du comité d'entreprise de la société Biocoop mis en place le 26 février 2015, soit avant le

31 décembre 2017 de sorte que, ce mandat étant amené à disparaître, les nouvelles dispositions de l'article L. 2421-3 du code du travail n'étaient pas applicables à cette demande, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges. Dès lors, l'inspecteur du travail compétent pour se prononcer sur la demande de licenciement était, en application des dispositions de L. 2421-3 du code du travail applicables au litige, celui dans le ressort duquel se trouve l'établissement disposant d'une autonomie de gestion suffisante où le salarié est affecté ou rattaché. Par suite, et dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que l'établissement Biocoop Centre-Nord-Est, situé à Sainte-Geneviève-des Bois dans le département de l'Essonne où travaillait M. D... ne disposait pas d'un comité d'établissement et ne bénéficiait pas d'une autonomie de gestion par rapport au siège social qui a d'ailleurs engagé la procédure disciplinaire, l'inspecteur du travail territorialement compétent était celui dont dépendait le siège social de la société, c'est-à-dire l'inspecteur du travail de Paris. Il suit de là, ainsi que le soutient la société Biocoop, que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 20 mars 2018 de l'inspecteur du travail comme étant entachée d'incompétence et celle du 30 novembre 2018 de la ministre du travail ayant confirmé la décision du 20 mars 2018.

6. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Paris et devant la Cour.

Sur les autres moyens soulevés par M. D... :

7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que l'inspecteur du travail a retenu, pour accorder l'autorisation de licenciement sollicitée, les faits reprochés à M. D... par son employeur qui sont survenus le 5 janvier 2018, à savoir ne pas avoir respecté ses horaires de travail, ne pas avoir respecté les consignes de sécurité, s'être rendu coupable d'insubordination à l'égard du directeur adjoint et avoir adopté une attitude méprisante et agressive à son égard en présence d'autres salariés de l'entreprise et d'intérimaires. Il s'est fondé sur les témoignages du directeur-adjoint et de quatre salariés, témoignages concordants, suffisamment circonstanciés et non stéréotypés, permettant ainsi d'établir une insubordination caractérisée par l'attitude méprisante et agressive de M. D..., en réaction à la demande du directeur-adjoint d'aller mettre ses chaussures de sécurité. M. D... ne conteste d'ailleurs pas formellement ces faits mais se borne à faire valoir que les attestations produites émanent de personnes sous subordination juridique de l'employeur et que les propos rapportés diffèrent d'une attestation à l'autre, alors que les différences apparaissant entre ces attestations restent mineures. Par ailleurs, si M. D... tente de justifier son non-respect de l'obligation de porter des chaussures de sécurité par la circonstance qu'il serait diabétique, il n'établit pas que cet état de santé serait incompatible avec le port de ses chaussures de sécurité, alors qu'il ressort des pièces du dossier que le médecin du travail dans son certificat médical du 13 mars 2018 n'avait pas relevé de problème de santé de nature à exclure le port de telles chaussures. De plus, comme l'a relevé à juste titre l'inspecteur du travail, ces faits d'insubordination commis le

5 janvier 2018 n'étaient pas nouveaux puisque M. D... avait déjà fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire de 5 jours en février 2015, d'une mise à pied disciplinaire de 3 jours en mars 2016 et d'une mise à pied disciplinaire de 3 jours en janvier 2017, pour des faits d'insubordination. Il s'en suit que la matérialité des faits est suffisamment établie par les pièces du dossier. De plus, ces faits étaient d'une gravité suffisante pour justifier la délivrance de l'autorisation de licenciement sollicitée. Par suite, le moyen selon lequel la décision du 20 mars 2018 de l'inspecteur du travail et celle du 30 novembre 2018 de la ministre du travail sont entachées d'une erreur d'appréciation ne peut qu'être écarté.

8. D'autre part, M. D... soutient que les décisions contestées du 20 mars 2018 de l'inspecteur du travail et celle du 30 novembre 2018 de la ministre du travail sont illégales en ce que la procédure de licenciement serait en lien avec son mandat. Cependant, en se bornant à soutenir qu'il " a eu une activité syndicale de réclamation et de revendications toujours croissante envers l'employeur et que les relations se sont récemment tendues concernant plusieurs revendications et réclamations ", il n'établit pas l'existence d'un tel lien qui ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier. Il suit de là que ce moyen doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Biocoop et la ministre du travail sont fondées à demander l'annulation du jugement n°s 1820878/3-3 et 1902111/3-3 du 22 octobre 2019 du tribunal administratif de Paris et la confirmation des décisions du 20 mars 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. D..., la décision du 16 septembre 2018 par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté le recours formé contre cette décision à laquelle s'est, en tout état de cause, substituée la décision du 30 novembre 2018 par laquelle la ministre du travail a finalement rejeté ce recours. Les demandes de M. D... formées devant le tribunal administratif de Paris ne peuvent donc qu'être rejetées.

Sur les frais relatifs à l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Biocoop, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser à M. D... la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner M. D... par application des mêmes dispositions, à verser à la société Biocoop la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°s 1820878/3-3 et 1902111/3-3 du 22 octobre 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Les demandes de M. D... présentées devant le tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions présentées en appel sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la société Biocoop tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Biocoop, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à M. E... D....

Copie en sera adressée à la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile de France.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 février 2021.

La présidente de la 8ème chambre,

H. VINOT

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 19PA04093


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA04093
Date de la décision : 26/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL CORNU-LOMBARD-SORY

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-02-26;19pa04093 ?
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