La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/02/2021 | FRANCE | N°20PA02495

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 19 février 2021, 20PA02495


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 225 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Par un jugement n° 1901383 du 2 juillet 2020, le Tribunal administratif de P

aris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 225 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Par un jugement n° 1901383 du 2 juillet 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 29 août 2020 et 29 janvier 2021,

M. E..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 2 juillet 2020 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser, en réparation de son préjudice patrimonial résultant de l'intervention de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, à titre principal une somme de 225 000 euros ou à titre subsidiaire une somme de 85 000 euros ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant de l'intervention de cette loi ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée dès lors que la loi du 1er octobre 2014 a occasionné aux chauffeurs de taxis un préjudice spécial et anormal et qu'aucune disposition de cette loi n'exclut le principe d'une indemnisation ;

- l'Etat est responsable à la fois du caractère patrimonial des licences délivrées avant l'entrée en vigueur de la loi du 1er octobre 2014, du fait de leur contingentement, et de leur dévalorisation depuis lors ;

- le principe d'indemnisation des préjudices résultant d'une rupture d'égalité des citoyens devant les charges publiques est consacré par l'article 55 de la Constitution, l'article 1er du protocole n°1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, et les articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors que tous ces textes établissent qu'il ne peut être porté atteinte au droit de propriété que pour des motifs d'intérêt général et moyennant une indemnisation ;

- il appartient à l'Etat, ainsi responsable du fait d'une loi, de créer un fonds d'indemnisation pour compenser les préjudices résultant de la dérèglementation d'une profession qu'il avait antérieurement règlementée ;

-la société Uber n'étant pas une simple plateforme d'intermédiation mais une véritable compagnie de transport, l'Etat français aurait dû règlementer l'activité de cette société et des autres sociétés proposant des services comparables, ce qu'il n'a pas fait, fragilisant le monopole de la maraude dont bénéficient en principe les taxis ;

- les chauffeurs de taxis sont aussi victimes d'une rupture d'égalité par rapport aux VTC dans la mesure où l'accès à la profession de VTC est beaucoup plus facile et où celui-ci ne supporte pas les mêmes contraintes juridiques et économiques que le chauffeur de taxis ;

- l'Etat a laissé perdurer pendant plusieurs années sans réagir la concurrence illicite entre VTC et taxis, y compris par le dispositif LOTI et n'a pas joué son rôle de police administrative pour responsabiliser les contrevenants ;

- les conditions de mise en jeu de la responsabilité sans faute de l'Etat sont bien réunies compte tenu du préjudice spécial résultant de la chute du prix des licences acquises à titre onéreux du fait de l'instauration de licences gratuites, incessibles et valables 5 ans ;

- le tribunal, s'est à tort, fondé sur le nombre de chauffeurs de taxis concernés pour en déduire que le préjudice ne revêtait pas de caractère spécial, alors que la jurisprudence a déjà admis l'indemnisation du préjudice du fait des lois dans des cas affectant des catégories entières et nombreuses de personnes ; de plus ce dommage frappe une catégorie de personnes identifiable et suffisamment restreinte au regard de la jurisprudence ; le préjudice est anormal aussi compte tenu de sa gravité ;

- l'article L. 3121-5 du code des transports, tel qu'issu de l'article 6 de la loi Thevenoud ne saurait exclure toute indemnisation des chauffeurs de taxis concernés dès lors que ceci n'est pas conforme à l'esprit de ce texte et qu'en tout état de cause ce serait illégal ;

- il est dès lors fondé à demander réparation du préjudice patrimonial résultant de la perte de valeur de sa licence ainsi que de la baisse de ses revenus et de son préjudice moral.

Par un mémoire enregistré le 28 janvier 2021 le ministre de la transition écologique demande à la Cour de rejeter la requête.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable faute de comporter des moyens d'appel ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,

- et les observations de Me A... et de Me C..., pour M. E....

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de l'intervention de la loi du 1er octobre 2014 visée ci-dessus, relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, dite loi Thevenou, aux termes de laquelle, notamment, les autorisations de stationnement des taxis, dites " licences " qui pouvaient jusqu'alors être cédées à titre onéreux, étaient désormais gratuites, incessibles et d'une durée de validité de cinq ans seulement, de nombreux chauffeurs de taxis ayant acheté leur licence, et estimant par ailleurs que la soumission de l'activité de Véhicule de Tourisme avec Chauffeur (VTC) à un régime juridique distinct de l'activité de taxi était de nature à caractériser une rupture d'égalité des citoyens devant les charges publiques, ont saisi l'Etat de demandes d'indemnisation des préjudices occasionnés par l'intervention de cette loi. M. E... a ainsi adressé au ministre de l'intérieur, le 26 septembre 2018, une réclamation tendant à la réparation des préjudices économiques et du préjudice moral qu'il estime avoir subis du fait de l'application de cette loi, puis, après formation d'une décision implicite de rejet de cette demande, il a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'indemnisation des préjudices allégués, sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat. Mais le tribunal a rejeté cette demande par un jugement du 2 juillet 2020 dont M. E... interjette appel.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Ainsi que l'a à juste titre rappelé le tribunal, la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée en vertu du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi, à la condition que cette loi n'ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revête un caractère grave et spécial, interdisant de le regarder comme une charge incombant normalement à ceux qui le subissent.

3. Aux termes de l'article L. 3121-2 du code des transports issu de la loi du 1er octobre 2014 visée ci-dessus : " L'autorisation de stationnement prévue à l'article L. 3121-1 et délivrée postérieurement à la promulgation de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur est incessible et a une durée de validité de cinq ans, renouvelable dans des conditions fixées par décret. /Toutefois, le titulaire d'une autorisation de stationnement délivrée avant la promulgation de la même loi a la faculté de présenter à titre onéreux un successeur à l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation. Cette faculté est subordonnée à l'exploitation effective et continue de l'autorisation de stationnement pendant une durée de quinze ans à compter de sa date de délivrance ou de cinq ans à compter de la date de la première mutation ". Aux termes de l'article L. 3121-3 du même code, également issu de cette loi : " En cas de cessation d'activité totale ou partielle, de fusion avec une entreprise analogue ou de scission, nonobstant l'article L. 3121-2, les entreprises de taxis exploitant plusieurs autorisations délivrées avant la promulgation de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, et dont le ou les représentants légaux ne conduisent pas eux-mêmes un véhicule sont admises à présenter à titre onéreux un ou plusieurs successeurs à l'autorité administrative compétente. /Sous réserve des titres II à IV du livre VI du code de commerce, la même faculté est reconnue, pendant la période de sauvegarde ou en cas de redressement judiciaire, selon le cas, à l'entreprise débitrice ou à l'administrateur judiciaire ou, en cas de liquidation judiciaire, au mandataire liquidateur. /En cas d'inaptitude définitive, constatée selon les modalités fixées par voie réglementaire, entraînant l'annulation du permis de conduire les véhicules de toutes les catégories, les titulaires d'autorisations de stationnement délivrées avant la promulgation de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur peuvent présenter un successeur sans condition de durée d'exploitation effective et continue. /Les bénéficiaires de cette faculté ne peuvent conduire un taxi ou solliciter ou exploiter une ou plusieurs autorisations de stationnement qu'à l'issue d'une durée de cinq ans à compter de la date de présentation du successeur. /En cas de décès du titulaire d'une autorisation de stationnement, ses ayants droit bénéficient de la faculté de présentation pendant un délai d'un an à compter du décès ". Enfin l'article L. 3121-5 du même code dispose que : " La délivrance de nouvelles autorisations de stationnement par l'autorité administrative compétente n'ouvre pas droit à indemnité au profit des titulaires d'autorisations de stationnement délivrées avant la promulgation de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ou au profit des demandeurs inscrits sur liste d'attente ".

4. Il résulte des termes clairs de ce dernier article que le législateur a entendu exclure toute indemnisation de la perte de valeur de la licence du fait de cette loi, sans que

M. E... puisse utilement en invoquer l'esprit, qui ne saurait prévaloir sur sa lettre. Dès lors que la loi a exclu toute indemnisation, M. E... n'est pas fondé à demander réparation du préjudice que lui aurait causé son adoption.

5. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que le préjudice dont

M. E... fait état et résultant de la dépréciation de son autorisation de stationnement, laquelle porterait selon lui, atteinte aux principes garantis par l'article 55 de la constitution, l'article 1er du protocole n°1 de la CEDH et les articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne revêt pas le caractère de spécialité requis pour que puisse être engagée la responsabilité sans faute de l'Etat. En effet, s'il fait valoir qu'un tel caractère peut être admis alors même que toute une catégorie de personnes serait susceptible d'être affectée par la mesure législative en cause, encore faut-il que, au sein de cette catégorie de personnes, le dommage à l'origine du préjudice ne se réalise que de manière suffisamment rare et grave pour conserver par lui-même un caractère d'anormalité et de spécialité. Or, en l'espèce, si la loi du 1er octobre 2014 est à l'origine d'une dévalorisation des licences, le préjudice en résultant affecte nécessairement l'ensemble des chauffeurs de taxis ayant acquis leur licence à titre onéreux, et le préjudice ne revêt pas, ainsi, de caractère spécial. Par ailleurs, le préjudice invoqué du fait de la différence de régime entre les VTC et les chauffeurs de taxis concerne l'ensemble des membres de cette dernière profession et est encore moins susceptible de présenter un caractère spécial. Les conditions de l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques ne sont ainsi en tout état de cause pas satisfaites et les conclusions à fins d'indemnisation de M. E... présentées sur ce fondement ne peuvent qu'être rejetées.

6. Enfin si M. E... fait valoir qu'en application de la norme européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice, l'Etat aurait dû davantage règlementer l'activité de transport par VTC et celles des plateformes de type Uber, et que son abstention a conduit à fragiliser le monopole de la maraude des taxis, ou qu'il n'aurait pas réagi face à l'apparition des services Uber POP et HEETCH et de l'introduction du système LOTI, qu'il n'aurait pas suffisamment exercé ses fonctions de police administrative ou que, avec l'adoption de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 dite " loi Pasqua " en 1995 autorisant les cessions de licences à titre onéreux, il aurait créé et entretenu un marché spéculatif et qu'il s'était engagé à indemniser la dépréciation des licences, il indique lui-même dans ses écritures d'appel qu'il n'entend mettre en cause la responsabilité de l'Etat que sur le fondement de la responsabilité sans faute du fait d'une loi, et ne peut dès lors, en tout état de cause, invoquer utilement divers manquements imputés aux pouvoirs publics.

7. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête ne peut par suite qu'être rejetée y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au ministre de la transition écologique.

Délibéré après l'audience du 4 février 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme D... premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 février 2021.

Le rapporteur,

M-I. D...Le président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

T. ROBERT

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA02495


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique - Réglementation des activités économiques - Activités soumises à réglementation - Taxis.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité sans faute - Responsabilité fondée sur l'égalité devant les charges publiques - Responsabilité du fait de la loi.


Références :

Publications
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : VARIN

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 19/02/2021
Date de l'import : 03/03/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20PA02495
Numéro NOR : CETATEXT000043172138 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-02-19;20pa02495 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award