Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 517 371 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable, le cas échéant capitalisés, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, d'ordonner, avant dire droit sur l'évaluation des préjudices, une expertise ainsi que l'exécution provisoire du jugement à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Par un jugement n° 1900161/4-2 du 2 juillet 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 août 2020 et 24 janvier 2021,
M. B..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 2 juillet 2019 ;
2°) d'enjoindre à l'administration de fournir le nombre précis de conducteurs de taxis titulaires d'une autorisation acquise à titre onéreux avant l'application de la loi du
1er octobre 2014 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser à titre principal une somme de 226 000 euros avec intérêts au taux légal courant à compter du 24 septembre 2018 en réparation de son préjudice patrimonial résultant de la perte de valeur de ses licences ou à titre subsidiaire une somme de 200 000 euros en réparation de la perte de chance de réaliser un gain lors de la revente de ses deux licences, avec intérêts au taux légal courant à compter du
24 septembre 2018 ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 71 371 euros en réparation de son préjudice résultant de la perte d'activité professionnelle, avec intérêts au taux légal courant à compter du 24 septembre 2018 ;
5°) de désigner un expert afin d'évaluer ses préjudices résultant de l'intervention de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 ;
6°) d'ordonner la capitalisation des intérêts sur les sommes retenues ;
7°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Il soutient que :
- la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques est susceptible d'être engagée dès lors que la loi du 1er octobre 2014 a eu pour effet, d'une part, de dévaloriser la licence des chauffeurs de taxis, et, d'autre part, de réduire leur activité et par conséquent leur revenu ;
- le préjudice ainsi occasionné aux chauffeurs de taxis est grave et spécial car il ne concerne que ceux d'entre eux qui avaient, avant l'intervention de la loi du 1er octobre 2014, acquis à titre onéreux une autorisation de stationnement, c'est-à-dire une minorité seulement de la profession, beaucoup ayant acquis cette autorisation à titre gratuit ;
- il est donc fondé à demander l'indemnisation d'une part du préjudice résultant de la perte de valeur marchande de ses deux licences, ou à défaut de la perte de chance de réaliser un gain lors de la revente de ces licences et d'autre part du préjudice résultant de la perte de revenus en conséquence d'une baisse d'activité.
Par un mémoire enregistré le 21 janvier 2021 le ministre de la transition écologique demande à la Cour de rejeter la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de Me C... pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de l'intervention de la loi du 1er octobre 2014 visée ci-dessus relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, dite loi Thevenou, aux termes de laquelle, notamment, les autorisations de stationnement des taxis, dites " licences " qui pouvaient jusqu'alors être cédées à titre onéreux, étaient désormais gratuites, incessibles et d'une durée de validité de cinq ans seulement, de nombreux chauffeurs de taxis ayant acheté leur licence, et estimant par ailleurs que la soumission de l'activité de Véhicule de Tourisme avec Chauffeur (VTC) à un régime juridique distinct de l'activité de taxi était également de nature à caractériser une rupture d'égalité des citoyens devant les charges publiques, ont saisi l'Etat de demandes d'indemnisation des préjudices occasionnés par l'intervention de cette loi.
M. B... a ainsi adressé au premier ministre une demande, reçue le 24 septembre 2018 et transférée au ministre de l'innovation technologique, tendant à la réparation des préjudices économiques qu'il estime avoir subis du fait de l'application de cette loi, puis, après formation d'une décision implicite de rejet de cette demande, il a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'indemnisation des préjudices allégués, sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat. Mais le tribunal a rejeté cette demande par un jugement du 2 juillet 2020 dont M. B... interjette appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Ainsi que l'a, à juste titre, rappelé le tribunal, la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi, à la condition que cette loi n'ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revête un caractère grave et spécial, interdisant de le regarder comme une charge incombant normalement à ceux qui le subissent.
3. Aux termes de l'article L. 3121-2 du code des transports issu de la loi du
1er octobre 2014 visée ci-dessus : " L'autorisation de stationnement prévue à l'article L. 3121-1 et délivrée postérieurement à la promulgation de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur est incessible et a une durée de validité de cinq ans, renouvelable dans des conditions fixées par décret. /Toutefois, le titulaire d'une autorisation de stationnement délivrée avant la promulgation de la même loi a la faculté de présenter à titre onéreux un successeur à l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation. Cette faculté est subordonnée à l'exploitation effective et continue de l'autorisation de stationnement pendant une durée de quinze ans à compter de sa date de délivrance ou de cinq ans à compter de la date de la première mutation ". Aux termes de l'article L. 3121-3 du même code, également issu de cette loi : " En cas de cessation d'activité totale ou partielle, de fusion avec une entreprise analogue ou de scission, nonobstant l'article L. 3121-2, les entreprises de taxis exploitant plusieurs autorisations délivrées avant la promulgation de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, et dont le ou les représentants légaux ne conduisent pas eux-mêmes un véhicule sont admises à présenter à titre onéreux un ou plusieurs successeurs à l'autorité administrative compétente. /Sous réserve des titres II à IV du livre VI du code de commerce, la même faculté est reconnue, pendant la période de sauvegarde ou en cas de redressement judiciaire, selon le cas, à l'entreprise débitrice ou à l'administrateur judiciaire ou, en cas de liquidation judiciaire, au mandataire liquidateur. /En cas d'inaptitude définitive, constatée selon les modalités fixées par voie réglementaire, entraînant l'annulation du permis de conduire les véhicules de toutes les catégories, les titulaires d'autorisations de stationnement délivrées avant la promulgation de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur peuvent présenter un successeur sans condition de durée d'exploitation effective et continue. /Les bénéficiaires de cette faculté ne peuvent conduire un taxi ou solliciter ou exploiter une ou plusieurs autorisations de stationnement qu'à l'issue d'une durée de cinq ans à compter de la date de présentation du successeur. /En cas de décès du titulaire d'une autorisation de stationnement, ses ayants droit bénéficient de la faculté de présentation pendant un délai d'un an à compter du décès ". Enfin l'article L. 3121-5 du même code dispose que : " La délivrance de nouvelles autorisations de stationnement par l'autorité administrative compétente n'ouvre pas droit à indemnité au profit des titulaires d'autorisations de stationnement délivrées avant la promulgation de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ou au profit des demandeurs inscrits sur liste d'attente ".
4. En premier lieu, il résulte des termes clairs de ce dernier article que le législateur a entendu exclure toute indemnisation du préjudice résultant, pour les titulaires de licences acquises antérieurement à la promulgation de la loi, de la dévalorisation de celles-ci du fait de la délivrance des nouvelles autorisations de stationnement qu'elle prévoit. Dès lors que la loi a ainsi exclu toute indemnisation, les conclusions de M. B... tendant à la réparation du préjudice résultant de l'adoption de la loi au 1er octobre 2014 ne peuvent qu'être rejetées.
5. En tout état de cause, si M. B... fait valoir que le préjudice, résultant de la dépréciation des autorisations de stationnement préexistantes du fait de l'instauration de licences gratuites, présenterait un caractère spécial dès lors qu'il n'affecterait que ceux des chauffeurs de taxis qui ont acquis leur licence à titre onéreux, outre qu'il n'est pas établi que ceux-ci seraient, comme il le soutient, minoritaires au sein de la profession, ils constituent au demeurant une catégorie entière, constituée d'un nombre élevé de personnes, toutes exposées à la réalisation du préjudice allégué. Or, si la responsabilité sans faute de l'Etat du fait d'une loi peut le cas échéant être engagée alors même qu'une catégorie entière de personnes serait susceptible d'être affectée par la mesure législative en cause, encore faut-il que, au sein de cette catégorie de personnes, le dommage à l'origine du préjudice ne se réalise que de manière suffisamment rare et grave pour conserver par lui-même un caractère d'anormalité et de spécialité. Or, en l'espèce si la loi du 1er octobre 2014 est à l'origine d'une dévalorisation des licences, le préjudice en résultant affecte nécessairement l'ensemble des chauffeurs de taxis ayant acquis leur licence à titre onéreux, et le préjudice ne revêt pas, ainsi, de caractère spécial. Par suite, les conclusions tendant à l'indemnisation de celui-ci ne peuvent qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin d'enjoindre à l'administration de fournir le nombre précis de conducteurs de taxi titulaires d'une autorisation acquise à titre onéreux avant l'application de la loi du 1er octobre 2014, une telle mesure ne présentant pas un caractère utile.
6. En deuxième lieu, si M. B... demande également réparation du préjudice résultant de sa perte de revenu professionnel en raison de la concurrence des VTC, soumis par la loi à un régime particulier, le préjudice ainsi invoqué affecte l'ensemble des chauffeurs de taxis, et est encore moins susceptible de présenter un caractère spécial. Et dès lors que les conditions de l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat ne sont ainsi pas satisfaites, les conclusions à fins d'indemnisation présentées par M. B... ne peuvent qu'être rejetées.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête ne peut par suite qu'être rejetée y compris ses conclusions tendant à la réalisation d'une expertise, qui compte tenu de ce qui précède, ne présente pas de caractère utile, et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de la transition écologique.
Délibéré après l'audience du 4 février 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme D... premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 février 2021.
Le rapporteur,
M-I. D...Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA02397