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17/02/2021 | FRANCE | N°20PA03525

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 17 février 2021, 20PA03525


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Bohème du Tertre a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos de 2010 à 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés pour la période du 1er avril 2009 au 31 mai 2013.

Par un jugement n° 1804314/1-3 du 23 septembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Procédu

re devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 23 novembre 2020, la société La Bohème du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Bohème du Tertre a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos de 2010 à 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés pour la période du 1er avril 2009 au 31 mai 2013.

Par un jugement n° 1804314/1-3 du 23 septembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 23 novembre 2020, la société La Bohème du Tertre, représentée par Me B... C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 23 septembre 2020 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigeuses ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration n'a pas retenu les méthodes habituelles pour reconstituer le chiffre d'affaires d'un restaurant ;

- la reconstitution de chiffre d'affaires de l'administration n'est pas réaliste au vu de ses conditions d'exploitation et est entachée d'erreurs ;

- elle propose deux méthodes alternatives qui démontrent le caractère exagéré des chiffres retenus par l'administration.

La présente requête a été dispensée d'instruction en application des dispositions de l'article R. 611-8 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS La Bohême du Tertre a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration lui a notifié des rectifications d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos de 2010 à 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er avril 2009 au 31 mai 2013, assortis de pénalités. Par la présente requête, la société requérante relève appel du jugement du 23 septembre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires, en droits et majorations.

Sur la charge de la preuve et le rejet de la comptabilité :

2. Aux termes de l'article L.192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 (...) est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission (...). / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission (...) ".

3. D'une part, il résulte de l'instruction que, ayant eu recours à un contrôle inopiné et à une saisie prévue à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l'administration a constaté que les fichiers originaux saisis ne correspondaient pas à la comptabilité déclarée et présentée. Ainsi, de nombreuses et récurrentes anomalies ont été relevées, comprenant notamment des tickets supprimés, des factures émises modifiées, des articles supprimés des tickets, une renumérotation des tickets et une modification dans le compteur général de lignes, l'ensemble de ces modifications ayant été pratiqué avec une aide informatique externe au logiciel de caisse. Ces constatations sont précisément étayées par des extraits des fichiers reproduits dans la proposition de rectification. Il résulte au demeurant de l'instruction que l'une des expertises soumises dans la présente instance par la société requérante reconnaît " qu'un système informatique externe a[it] agi pour modifier une partie des recettes du restaurant afin de baisser le chiffre d'affaire via des suppressions complètes et/ou partielles de tickets " et que l'objet du rapport est de mettre en place " une ou plusieurs nouvelles méthodes de reconstitution des montants de recettes volontairement dissimulés à l'aide d'un logiciel externe ". Par ailleurs, la société requérante a indiqué, lors de la séance de la commission départementale des impôts, qu'elle ne contestait plus le caractère insincère et non probant de la comptabilité. Par suite, l'administration établit que la comptabilité de la société présentait, pour chaque exercice, un caractère insincère et non probant.

4. D'autre part, il est constant que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a émis, le 16 juin 2016, un avis favorable au maintien des rectifications proposées. Il appartient en conséquence à la société requérante d'apporter la preuve du caractère exagéré des impositions.

Sur la méthode de reconstitution retenue par l'administration :

5. S'agissant de l'exercice clos en 2010, pour la période courant du 18 juin 2009 au

31 mars 2010, l'administration a comparé le nombre de tickets émis par chacune des caisses, à l'aide des bandes de contrôle, et le nombre de tickets repris dans les bandes de contrôle des recettes du jour, afin de déterminer le nombre de tickets supprimés. L'administration a ensuite appliqué à ce dernier chiffre le montant du ticket moyen, par caisse, constaté dans les bandes de contrôles qui n'avaient pas été manipulées.

6. S'agissant des exercices clos de 2011 à 2013, le nombre de tickets repris dans les bandes de contrôle des recettes du jour a été comparé aux bandes de contrôles originales saisies par l'administration, lorsqu'elles existaient ou, à défaut, aux bandes de contrôle émises par chacune des caisses afin de déterminer le nombre de tickets supprimés. L'administration a ensuite, soit rehaussé le chiffre d'affaires de la société du montant de recettes éludé, lorsque le ticket original était dans les fichiers saisis, soit, à défaut, appliqué le montant du ticket moyen constaté pour chaque caisse dans les fichiers saisis lorsque cette information était disponible et suffisante en nombre pour être significative, soit, en dernier recours, appliqué le montant du ticket moyen observé sur l'ensemble des caisses dans les fichiers saisis.

7. Enfin, dans la réponse aux observations du contribuable, l'administration a corrigé la surestimation du montant moyen du ticket supprimé en ce qu'il était calculé à partir des bandes de contrôles non modifiées, lesquelles comportaient un montant du ticket moyen supérieur à celui constaté pour les bandes de contrôle modifiées, et a retenu les premières valeurs significatives, compte tenu de l'échantillon disponible, observées par caisse au titre du premier exercice suivant, au vu des fichiers saisis dans le cadre de la procédure de l'article L. 16 B.

8. En premier lieu, la société requérante soutient que l'administration n'a, à tort, pas retenu la " méthode des vins " habituellement utilisée pour les sociétés de restauration. Toutefois, la société, qui ne reprend au demeurant pas cette méthode dans les méthodes alternatives qu'elle propose, n'établit pas, alors que la charge de la preuve lui incombe, et en se bornant à faire valoir que l'ensemble des données chiffrées permettant de mettre en oeuvre cette méthode était disponible, que ladite méthode serait en l'espèce plus fiable que celle retenue par l'administration qui, grâce aux fichiers saisis, s'est appuyée, dans la mesure du possible, sur les données originales ou, lorsque cela n'était pas possible, sur un calcul par caisse et par exercice.

9. En deuxième lieu, en se bornant à faire valoir, sans apporter d'ailleurs au juge les précisions permettant d'apprécier la portée de ce moyen, que le calcul initial du service en ce qui concerne l'année 2010 aboutit à des différences, entre les caisses, dans le rapport entre le nombre de tickets moyens par RAZ dans les bandes de contrôles sans anomalies et le nombre de tickets moyens par RAZ dans les bandes de contrôle avec anomalies, la société requérante n'établit pas le caractère sommaire ou vicié de la méthode de reconstitution telle qu'elle a été arrêtée à la suite des aménagements opérés dans le cadre de réponse aux observations du contribuable.

10. En troisième lieu, si la société requérante soutient que la reconstitution effectuée par l'administration a abouti à des résultats incohérents d'un exercice à l'autre, et se prévaut à cet égard d'un rapport d'expert établi suite à la réception des propositions de rectification, qui indique notamment que le taux de rentabilité résultant de la reconstitution est excessif en ce qui concerne notamment les exercices clos en 2010 et 2011, il résulte de l'examen de la réponse aux observations du contribuable que le service a abandonné une partie significative des rectifications notifiées et que les rehaussements maintenus ne révèlent plus les incohérences signalées par l'expert. Le moyen susmentionné ne peut en conséquence qu'être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'établit pas que la méthode mise en oeuvre par l'administration, dans les conditions décrites ci-dessus, à partir des données propres à l'entreprise et sur la base, en grande partie, des bandes de contrôle originales saisies, aurait présenté un caractère radicalement vicié ou excessivement sommaire, ni qu'elle aurait abouti à exagérer ses bases d'imposition.

Sur les méthodes alternatives de reconstitution proposées par la société requérante :

12. D'une part, un premier rapport d'expertise fourni par la société requérante propose une méthode basée sur l'étude de la rentabilité d'un panel d'entreprises comparables dans le secteur de la restauration.

13. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'expert s'est fondé sur les données fournies par FCGA, ayant trait à 4 500 entreprises du secteur de la restauration, dont les conditions d'exploitation sont inconnues et sans aucune distinction selon la région d'implantation, le type de cuisine, le nombre de couverts, l'existence d'un bar ou encore la durée d'exploitation sur l'année, de telle sorte que rien ne permet d'établir la fiabilité et la comparabilité de ce panel statistique. En outre, l'administration relève, sans être contredite, qu'en l'absence de données disponibles pour 2010, l'expert a extrapolé les données des années ultérieures, que la société requérante exerce, au vu de son emplacement très touristique, une activité importante de bar, dont le taux de rendement est traditionnellement plus élevé, qu'une partie des incohérences dans les taux de rendement provient des déclarations de la société elle-même et qu'enfin, un simple tri dans la base de données sur la région Île-de-France aboutit à un taux de rendement moyen supérieur de 3 %. Par suite, cette première méthode déclinée en deux variantes, qui se base sur un échantillon comparatif résultant de données qui ne sont pas propres à la société requérante, ne saurait être regardée comme permettant d'évaluer son chiffre d'affaires de manière plus précise ou réaliste que la méthode retenue par l'administration, qui est fondée sur les données internes et les conditions d'exploitation propres de la société requérante. Le caractère représentatif de l'échantillon retenu par l'expert n'étant pas établi, le moyen tiré de ce que l'établissement exploité par la société requérante aurait une taille supérieure à celle des établissements composant cet échantillon est dépourvu de portée.

14. D'autre part, un second rapport d'expertise fourni par la société requérante propose une méthode basée sur l'étude des données informatiques de la société, déclinée en quatre variantes. Ces dernières sont respectivement fondées sur le calcul d'un ticket moyen supprimé à partir des tickets présents saisis par l'administration, sur l'estimation d'un taux moyen de chiffre d'affaires éludé à partir des tickets modifiés et non modifiés, sur le calcul d'un ticket moyen à partir des tickets ayant subi le moins de modifications dans les fichiers saisis par l'administration et, enfin, sur le calcul d'un ticket moyen à partir des tickets non modifiés apparaissant dans les fichiers saisis par l'administration.

15. Toutefois, il résulte de l'instruction que les calculs proposés, s'agissant de la valeur du ticket supprimé, du taux de dissimulation moyen de chiffre d'affaires et de la valeur du ticket moyen sur les fichiers non modifiés, sont issus de moyennes calculées sur l'ensemble de la période vérifiée, à l'inverse de la méthode de l'administration calculée par caisse et par exercice. S'agissant de la reconstitution proposée à partir des fichiers les moins modifiés, il ne résulte pas de l'instruction que ces seuls fichiers permettent d'obtenir une estimation représentative de la valeur du ticket moyen omis. En outre, l'administration relève, sans être contredite, des erreurs de calcul dans trois des quatre " solutions " de reconstitution examinées par le rapport. Enfin, et en tout état de cause, la société requérante n'a fourni ni à la Cour ni en première instance, les éléments qui permettraient de regarder les méthodes alternatives proposées comme plus adaptées à l'estimation du chiffre d'affaires éludé que la méthode retenue par le service. Les résultats obtenus par les quatre méthodes alternatives, qui ne sont d'ailleurs pas sans commune mesure avec les chiffres résultant de la méthode de l'administration, ne permettent ainsi pas de démontrer que ces derniers seraient exagérés.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS La Bohême du Tertre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SAS La Bohême du Tertre est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS La Bohême du Tertre.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 3 février 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Hamon, président,

- M. A..., premier conseiller,

- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 février 2021.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

P. HAMON

Le greffier,

I. BEDR

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20PA03525


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA03525
Date de la décision : 17/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme HAMON
Rapporteur ?: M. Franck MAGNARD
Rapporteur public ?: Mme JIMENEZ
Avocat(s) : KPMG AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-02-17;20pa03525 ?
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