Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 27 juin 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de changement de nom en celui de " Duverneuil ".
Par un jugement n° 1806780 du 8 novembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 6 janvier 2020 et un mémoire en réplique enregistré le 9 décembre 2020, Mme C..., représentée par Me D... A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1806780 en date du 8 novembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision 27 juin 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de changement de nom en celui de " Duverneil " ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de réexaminer sa demande dans un délai de deux mois ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'elle justifie de motifs affectifs constituant des circonstances exceptionnelles caractérisant un intérêt légitime à changer de nom.
Par un mémoire enregistré le 7 octobre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- le code civil,
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 5.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Doré, rapporteur,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- et les observations de Me Valéry, avocat de Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... C..., née le 26 octobre 1985, a sollicité du garde des sceaux, ministre de la justice, le changement de son nom au profit de celui de sa mère, " Duverneuil ". Par une décision implicite de rejet née le 12 avril 2018, puis par une décision expresse du 27 juin 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté cette demande. Mme C... fait régulièrement appel du jugement du 8 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / (...) / Le changement de nom est autorisé par décret. ". Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.
3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des attestations versées au dossier, émanant de la mère de la requérante et de proches mais aussi de voisins témoins des faits, ainsi que de certificats médicaux et du rapport psychologique produits en appel, que le père de Mme C... a eu des comportements maltraitants à l'égard de la Mme C... et de sa mère, consistant notamment en des actes de violence physique et psychologique, pendant toute la durée de l'enfance de la requérante. En particulier, sa mère a été victime de violences le 31 décembre 2002, lesquelles sont à l'origine d'une séparation du couple et du divorce intervenu par consentement mutuel en vertu d'un jugement du 22 janvier 2004. Ces faits peuvent être regardés comme établis au regard de la concordance des témoignages et à leur corroboration par trois certificats médicaux, quand bien même ils n'auraient fait l'objet d'aucune plainte pénale ou main courante. Il en ressort également que Mme C... n'a, depuis sa majorité, plus aucune relation avec son père, dont le comportement a été à l'origine de souffrances et d'un traumatisme. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier, notamment des nombreuses attestations produites, de factures ou d'une carte de visite, que Mme C... utilise dans la vie courante le seul nom de sa mère, " Duverneuil ". De telles circonstances doivent, dans les circonstances particulières de l'espèce être regardées comme exceptionnelles et caractérisant un intérêt légitime au sens de l'article 61 du code civil justifiant le changement du nom de " C... " en " Duverneuil ".
4. Il résulte de ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 27 juin 2018 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom. Le jugement du 8 novembre 2019 et la décision du 27 juin 2018 doivent donc être annulés.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Lorsqu'il prononce d'office une injonction, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, tel qu'issu de l'article 40 de la n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le juge se borne à exercer son office et n'est, par suite, pas tenu de mettre les parties à même de présenter leurs observations.
6. L'exécution complète du présent arrêt suppose, eu égard aux motifs mentionnés au point 3 qui fondent l'annulation de la décision litigieuse, qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, non seulement de réexaminer la demande de la requérante, mais de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant Mme C... à changer son patronyme en " Duverneuil ".
Sur les frais liés à l'instance :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1806780 du tribunal administratif de Paris du 8 novembre 2019 est annulé.
Article 2 : La décision du 27 juin 2018 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande de changement de nom de Mme B... C... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant Mme B... C... à changer son patronyme en " Duverneuil ".
Article 4 : L'État (ministère de la justice) versera à Mme B... C..., une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 13 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- M. Gobeill, premier conseiller,
- M. Doré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 février 2021.
Le président,
S. DIÉMERT
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA000042