Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 12 février 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 29 avril 2013.
Par un jugement n° 1907588 du 16 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 septembre 2020, M. E..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 juillet 2020 ;
2°) d'annuler la décision du ministre de l'intérieur du 12 février 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code justice administrative.
Il soutient que :
- le ministre de l'intérieur n'apporte aucun élément précis ou circonstancié qui confirmerait qu'il constituerait toujours une menace pour l'ordre public ;
- son bon comportement au Maroc atteste qu'il a rompu les liens avec la mouvance islamiste ;
- la décision porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le sépare de ses enfants en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête, qui reproduit les écritures de première instance est irrecevable ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction est intervenue le 22 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 29 avril 2013, le ministre de l'intérieur a prononcé l'expulsion pour nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat et de la sécurité publique de M. A... E..., ressortissant marocain, né le 25 mai 1989, et entré en France le 26 mars 2009. Cet arrêté a été exécuté le 17 mai 2013. Une première demande d'abrogation de cet arrêté a été rejetée le
9 septembre 2015. Une seconde demande, présentée le 16 juillet 2018, a été rejetée par décision du ministre de l'intérieur du 12 février 2019. M. E... relève appel du jugement du
16 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette dernière décision.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 524-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé. Lorsque la demande d'abrogation est présentée à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'exécution effective de l'arrêté d'expulsion, elle ne peut être rejetée qu'après avis de la commission prévue à l'article L. 522-1, devant laquelle l'intéressé peut se faire représenter ". Aux termes de l'article L. 524-2 du même code : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 524-1, les motifs de l'arrêté d'expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de la date d'adoption de l'arrêté. L'autorité compétente tient compte de l'évolution de la menace pour l'ordre public que constitue la présence de l'intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu'il présente, en vue de prononcer éventuellement l'abrogation de l'arrêté. L'étranger peut présenter des observations écrites. / (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens à l'appui d'un recours dirigé contre le refus d'abroger une mesure d'expulsion, de rechercher si les faits sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que la présence en France de l'intéressé constituait toujours, à la date à laquelle elle s'est prononcée, une menace pour l'ordre public de nature à justifier légalement que la mesure d'expulsion ne soit pas abrogée.
3. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
4. L'expulsion de M. E... en 2013 a été motivée par sa participation active à un forum de discussion en ligne public pro-djihadiste où il avait fait l'apologie du terrorisme, tenu de manière répétée des propos haineux particulièrement violents, et appelé à la commission d'attentats, notamment en France, ainsi qu'au meurtre de personnes nommément désignées, tel que le directeur de Charlie Hebdo, faits pour lequel il a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis. Sur la base de ces éléments, le ministre de l'intérieur a alors considéré que l'expulsion de M. E... constituait une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat et la sécurité publique.
5. En premier lieu, pour demander l'abrogation de l'arrêté d'expulsion, M. E... exprime dans une lettre explicative ses regrets pour son comportement passé qu'il attribue à son immaturité et à la surenchère à laquelle l'avait conduit la quête de reconnaissance sur les réseaux sociaux. Il fait également valoir que son casier judiciaire marocain est vierge, qu'il a obtenu le baccalauréat en 2017, qu'il prend part à des activités associatives pour la protection du consommateur, et que le parti politique dont il est membre atteste que sa personnalité est appréciée par ces camarades. Cependant, dans les circonstances de l'espèce, il ne saurait se déduire ni du temps écoulé, ni des regrets exprimés, ni des éléments relatifs à sa réinsertion au Maroc qu'un retour sur le territoire français, eu égard à la nature des faits qui ont motivé son expulsion, ne présentait plus, à la date de la décision contestée, de menace pour la sûreté de l'Etat et la sécurité publique.
6. En second lieu, si M. E... a épousé en 2008 au Maroc une ressortissante française qu'il a rejointe en France en 2009, et si de leur union sont nées deux filles en 2011 et 2012, qui ont la double nationalité, et qu'un troisième enfant a été conçu lors des dernières vacances au Maroc de son épouse, rien ne fait légalement obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue au Maroc. Par ailleurs, le requérant ne présente aucune garantie sérieuse de réinsertion professionnelle en France, son intégration dans la société française, dont il ne partageait apparemment pas les valeurs pendant les quatre années passées sur le territoire, n'est pas davantage assurée, et son épouse à la date de la décision ne justifiait pas d'un emploi stable. Enfin, il a passé la majeure partie de son existence au Maroc où sont établis ses parents et le reste de sa fratrie.
7. Ainsi donc, au vu des éléments produits, c'est sans erreur que le ministre de l'intérieur a considéré que la présence M. E... en France représentait toujours une menace pour l'ordre public. Cette décision ne porte pas, par ailleurs, une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. Elle ne porte pas davantage atteinte aux intérêts supérieurs de ses enfants. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent donc être écartés.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Les conclusions de sa requête tendant à l'annulation de ce jugement et de la décision contestée doivent, par suite, être rejetées. Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent l'être par voie de conséquence.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. D..., premier vice-président,
- M. C..., président-assesseur,
- Mme Mornet, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2021.
Le rapporteur,
Ch. C...Le président,
M. D...
Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 20PA02719