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19/01/2021 | FRANCE | N°19PA03806

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 19 janvier 2021, 19PA03806


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société LIBB3 a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler l'arrêté du 17 décembre 2015 par lequel le président de la Polynésie française a autorisé la société hôtelière Motu Ome'e Bora Bora à occuper temporairement divers emplacements du domaine public maritime à Faanui.

Par un jugement n° 1600036 du 31 octobre 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enr

egistrée le 28 novembre 2019, la société LIBB3, représentée par

Me F..., demande à la Cour :

1°) d'a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société LIBB3 a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler l'arrêté du 17 décembre 2015 par lequel le président de la Polynésie française a autorisé la société hôtelière Motu Ome'e Bora Bora à occuper temporairement divers emplacements du domaine public maritime à Faanui.

Par un jugement n° 1600036 du 31 octobre 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2019, la société LIBB3, représentée par

Me F..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du

31 octobre 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté 2085/ CM du président de la Polynésie française du 17 décembre 2015 ;

3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 400 000 francs CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société LIBB3 soutient :

- en sa qualité de titulaire de droits immobiliers au droit des parcelles cadastrées IR1 et IR 2 sur la commune de Bora-Bora, elle a qualité pour agir ;

- seul est applicable à la demande d'occupation du domaine public déposée le

9 septembre 2015 l'arrêté du 4 mars 2004, l'arrêté du 8 septembre 2015 ayant été publié le 15, postérieurement au dépôt de la demande ;

- la demande, qui ne comportait pas les titres de propriété sur les parcelles IR1 et IR2, était incomplète ;

- l'administration ne pouvait accorder aucun crédit à une attestation d'une personne qui n'avait pas qualité pour engager l'indivision ;

- le pétitionnaire ne disposait d'aucun droit sur la parcelle IR 4 ;

- les contradictions manifestes et les falsifications que comportait le dossier de demande auraient dû conduire l'administration à rejeter la demande ;

- la demande ne comportait pas un plan de délimitation du domaine public établi par l'administration en charge de l'équipement ;

- la demande ne comportait pas d'étude d'impact suffisante et de note de renseignements d'aménagement ;

- l'avis de la commission du domaine, dont tous les membres n'avaient pas été convoqués, est irrégulier ;

- l'avis du Tavana Hau de la circonscription des Iles-sous-le-vent n'a pas été sollicité ;

- l'autorisation contestée, qui déprécie la propriété, porte atteinte aux droits des indivisaires qui y sont hostiles ;

- la demande ne précise pas la durée de l'autorisation sollicitée ;

- la demande ne comportait pas les statuts actualisés de la société pétitionnaire et les pouvoirs de son représentant.

Par un mémoire, enregistré le 9 octobre 2020, la Polynésie française, représentée par Me A... E... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société LIBB3 la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 10 décembre 2020, la société hôtelière Motu Ome'e, représentée par la SELARL Piriou Quinquis Bambridge Babin, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 300 000 francs CFP soit mise à la charge de la société LIBB3 sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le litige foncier échappe à la compétence de la juridiction administrative ;

- il résulte du jugement du 31 janvier 2020 que les promesses de vente dont se prévaut la requérante ne sont pas opposables à la SARL Tooruarii, et que la société LIBB3 n'a pas dès lors qualité pour agir ;

- les moyens de la requête en sont pas fondés.

La clôture de l'instruction est intervenue le 22 décembre 2020.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- l'arrêté n° 385 CM du 4 mars 2004 relatif à la procédure d'instruction et de recevabilité des demandes d'occupation de dépendances du domaine public ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de Mme Péna, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 16 juin 2003, la société hôtelière Ome'e Bora Bora (SHMO), qui exploite l'hôtel Saint Régis Bora Bora, a été autorisée à occuper temporairement divers emplacements du domaine public maritime d'une emprise totale de 132 306 m² au droit du motu Ome'e dont elle est propriétaire. Dans le cadre de l'extension de cet hôtel, la SHMO a sollicité une nouvelle autorisation consistant en une emprise supplémentaire de 20 480m² pour l'implantation de bungalows sur l'eau au droit de la terre Muripa, dite aussi Terua Ohiti, cadastrée section IR n°1 et n°2 et de la parcelle IR n°4 appartenant à des indivisions. Un premier arrêté d'autorisation, délivré le 19 décembre 2014, a été annulé par jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 13 octobre 2015. La société SHMO a déposé

le 9 septembre 2015 une seconde demande d'autorisation à laquelle le président de la Polynésie française a fait droit par arrêté n°2085 CM du 17 décembre 2015. La demande tendant à l'annulation de cet arrêté présentée par la société LIBB3, qui exploite l'hôtel Four Seasons, a été rejetée par jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 31 octobre 2019. La société LIBB3 relève appel de ce jugement.

Sur l'intérêt à agir :

2. Il ressort des pièces du dossier que l'un des propriétaires indivis des parcelles référencées IR nos 1 et 2 au cadastre de la commune de Bora Bora, au droit desquelles l'arrêté attaquée autorise l'occupation du domaine public maritime, s'est engagé à les vendre à la SARL LIBB3 sous des conditions suspensives dont la réalisation a été, en dernier lieu, repoussée

au 10 mai 2021. Si la société SHMO se prévaut d'un jugement du tribunal civil de première instance de Papeete rendu le 31 janvier 2020 dans un litige opposant la SARL LIBB3 à la SARL Tooruarii, propriétaire de droits indivis sur les parcelles IR1 et IR2, il résulte de cette décision que le juge judiciaire a simplement jugé que les promesses de vente sous seing privé conclues par la SARL LIBB3 avec certains des indivisaires étaient inopposables à la SARL Tooruarii sans faire droit aux conclusions tendant à ce qu'il soit jugé que ces promesses de vente étaient nulles et non avenues. Alors même qu'à la date du présent arrêt, la vente promise est insusceptible de se réaliser, la société requérante avait ainsi, à la date de l'introduction de sa demande, un intérêt lui donnant qualité à agir. Par ailleurs, sa situation au voisinage immédiat d'une exploitation hôtelière concurrente lui confère également un intérêt à contester une autorisation d'occupation du domaine public maritime de ce lagon dès lors que les bungalows sur pilotis destinés à y être implantés jouxteront les siens.

Sur la légalité de l'arrêté :

Sur le moyen tiré de l'absence de droits immobiliers de la société pétitionnaire sur les parcelles attenantes :

3. La procédure d'instruction et de recevabilité des demandes d'occupation de dépendances du domaine public a été régie par l'arrêté n° 385 CM du 4 mars 2004, abrogé et remplacé par l'arrêté n° 1334 CM du 8 septembre 2015 relatif à l'acquisition, la gestion et la cession du domaine public et privé de la Polynésie française. L'article 109 de l'arrêté du

8 septembre 2015 prévoit que ce texte s'applique aux nouvelles demandes. Cet arrêté étant entré en vigueur, en vertu de l'article 171 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française avec sa publication au Journal Officiel de la Polynésie française le 15 septembre 2015, la demande présentée le 9 septembre 2015 par la société SHMO était soumise aux dispositions l'arrêté n° 385 CM du 4 mars 2004.

4. Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 4 mars 2004 relatif à la procédure d'instruction et de recevabilité des demandes d'occupation de dépendances du domaine

public : " Le dossier de la demande d'occupation doit comporter les pièces suivantes : (...) le titre de propriété ou bail de location ou tous documents pouvant attester de droits immobiliers sur la terre attenante (...) ". Il découle de ces dispositions que la Polynésie française ne peut accorder une autorisation d'occupation du domaine public maritime qu'au demandeur qui justifie de droits réels immobiliers sur la terre attenante. S'il n'appartient pas à l'administration du territoire de vérifier, dans le cadre de l'instruction de la demande, la validité du titre de propriété, du bail, ou des autres documents produits par le pétitionnaire, hormis le cas où leur caractère frauduleux est incontestable, elle ne saurait en revanche y faire faire droit que si les documents fournis, par leur nature ou portée, attestent l'existence des droits immobiliers dont se prévaut le demandeur.

5. En l'espèce, il ressort des cartes et plans produits au dossier, et il n'est pas sérieusement contesté, que la zone d'occupation autorisée par l'arrêté du 17 décembre 2015, destinée à la construction d'une nouvelle branche de 25 bungalows sur l'eau dans le lagon de Bora-Bora, ne fait pas face aux parcelles dont la société SHMO, qui exploite l'hôtel Saint Régis est propriétaire, mais notamment aux parcelles cadastrées IR1, IR2, et IR4, qui constituent les

" terres attenantes " au sens des dispositions précitées de l'article 4 de l'arrêté du 4 mars 2004. Il est constant que la société SHMO n'est ni propriétaire, ni locataire de ces parcelles détenues par diverses indivisions. La lettre du 24 novembre 2014 par laquelle Mme B..., qui se présente comme la gérante de la société Tooruarri, qui est l'un des propriétaires indivis des parcelles IR1 et IR2, " donne son accord es-qualité (à la société SHMO) afin d'obtenir toutes autorisations administratives nécessaires (lui) permettant d'engager des travaux et aménagements immobiliers ainsi que d'occuper le domaine public au droit des dites terres dans le cadre de (son) projet d'extension de l'hôtel ", qui ne peut être regardée tout au plus que comme l'accord amiable d'un voisin à des démarches tendant à la concrétisation du projet envisagé, était insusceptible tant en raison de sa forme que de sa substance, de conférer à son destinataire des droits immobiliers sur les parcelles cadastrées IR1 et IR2, propriété de l'indivision. Ainsi donc, la société SHMO n'ayant pas produit de titre de propriété, de bail ou de document pouvant attester de droits immobiliers sur la terre attenante, et n'en justifiant au demeurant en aucune manière, la Polynésie française ne pouvait pas lui accorder l'autorisation sollicitée.

Sur le moyen tiré du défaut d'indication de la durée d'occupation du domaine public sollicitée :

6. Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de l'arrêté susvisé n° 385 CM du 4 mars 2004 : " Toute demande d'occupation temporaire de dépendances du domaine public doit indiquer l'objet et la durée sollicitée de cette occupation ".

7. Pour demander l'autorisation sollicitée, le président de la société SHMO, dans sa lettre du 9 septembre 2015, a indiqué qu'il souhaitait obtenir une autorisation identique à celle délivrée le 19 décembre 2014 sur la base du dossier initial. Il ne ressort d'aucune pièce, et il n'est pas sérieusement soutenu en défense, que le dossier initial déposé le 20 décembre 2013 et ultérieurement complété indiquait la durée sollicitée pour l'occupation du domaine public maritime. L'autorisation contestée du 17 décembre 2015 est donc également illégale de ce fait.

8. Il résulte de ce qui précède que la société LIBB3 est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Sur les frais de justice :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 1 500 euros à verser à la société LIBB3 sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative. La société requérante n'étant pas la partie qui succombe, les conclusions présentées à ce titre par la Polynésie française et la société hôtelière Motu Ome'e ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1600036 du tribunal administratif de la Polynésie française du

31 octobre 2019 et l'arrêté n° 2085/ CM du président de la Polynésie française du 17 décembre 2015 sont annulés.

Article 2 : La Polynésie française versera à la société LIBB3 la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la Polynésie française et la société hôtelière Motu Ome'e sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société LIBB3, à la Polynésie française et à la société hôtelière Motu Ome'e Bora Bora (SHMO). Copie en sera adressée pour information au Haut-Commissaire de la République en Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- M. D..., premier vice-président,

- M. C..., président assesseur,

- Mme Jayer, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2021.

Le rapporteur,

Ch. C...Le président,

M. D...

Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne au ministre des outres mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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