Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme D... T... N..., épouse L..., M. Q... R... J..., Mme S... T... N..., épouse K..., M. E... R... J..., Mme M... P... A..., épouse N..., et M. F... R... J..., ont demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler l'arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 par lequel le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a inscrit au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de U... W..., avec le groupe sculpté " Le Baiser " de V... G..., et son socle formant stèle, sise au cimetière du Montparnasse, 3 boulevard Edgar Quinet à Paris (75014), d'autre part, d'annuler la décision du 28 juin 2016 par laquelle le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a rejeté le recours gracieux formé contre la décision du 17 mars 2016 par laquelle il avait déclaré irrecevable la " demande d'autorisation de travaux " déposée le 8 mars 2016, et visant l'enlèvement de la sculpture " Le Baiser " de V... G..., de la tombe de U... W... ainsi que la décision du 17 mars 2016 précitée.
Par un jugement n° 1609810-1613427 du 12 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 14 juin 2018, un mémoire complémentaire enregistré le 4 octobre 2018 et un mémoire en réplique enregistré le 3 juin 2020, la société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme D... T... N..., épouse L..., M. Q... R... J..., Mme S... T... N..., épouse K..., M. E... R... J..., Mme M... P... A..., épouse N..., et M. F... R... J..., représentés par Me O..., demandent à la Cour :
- d'annuler le jugement du 12 avril 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
- d'annuler l'arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 par lequel le préfet de la région
Ile-de-France, préfet de Paris, a inscrit au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de U... W..., avec le groupe sculpté " Le Baiser " de V... G..., et son socle formant stèle, sise au cimetière du Montparnasse, 3 boulevard Edgar Quinet à Paris (75014) ;
- d'annuler la décision du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en date du 17 mars 2016, ainsi que celle du 28 juin 2016 ;
- d'ordonner au préfet de procéder au réexamen de la déclaration de travaux à intervenir sur la sculpture " Le Baiser " dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de l'irrégularité de la délégation de signature, trop large et absolue, dévolue à M. B... ;
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de l'erreur de qualification juridique des faits qui ne figure en outre pas dans les visas du jugement, en violation de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;
- le jugement attaqué est entaché d'insuffisances de motivation ; il ne répond pas à tous les arguments présentés au soutien du moyen tiré de l'erreur à avoir inscrit la totalité de la sépulture en tant qu'immeuble par nature en méconnaissance de l'article L. 2223-13 du code général des collectivités territoriales, alors que la tombe ne présente aucun intérêt artistique et que l'Etat ne l'avait pas considérée comme présentant un tel intérêt avant l'arrêté du 21 mai 2010 ; il ne répond pas à tous les arguments présentés au soutien des moyens tirés du détournement de pouvoir et de procédure et de la violation du droit de propriété ;
- les premiers juges ont méconnu les règles d'administration de la preuve, en se contentant des allégations jamais prouvées de l'administration ;
- l'arrêté du 21 mai 2020 est entaché d'incompétence de son signataire à raison du caractère trop large et absolu de la délégation de signature consentie par le préfet de région ; il n'est pas établi par l'administration que le préfet aurait été absent ou empêché ;
- l'arrêté du 21 mai 2010 est entaché de vices de procédure dès lors qu'en application de l'article L. 622-20 du code du patrimoine, l'inscription de la sculpture nécessitait l'accord de ses propriétaires et qu'en application de l'article 76 du décret n° 2007-487 du 30 mars 2007, la demande aurait dû être déposée par le préfet du département et la commission départementale des objets mobiliers aurait dû être consultée ;
- l'arrêté du 21 mai 2020 est entaché d'un détournement de pouvoir et de procédure dès lors que le recours à la procédure d'inscription de la sculpture comme immeuble par nature vise exclusivement à faire échec à son déplacement et à toute nouvelle demande de certificat de libre-circulation et non à assurer sa protection ; la procédure choisie permet à l'Etat de s'affranchir de l'accord des propriétaires préalablement à l'inscription et à l'obligation de l'acquérir sur la base des prix du marché international ; cette inscription aura pour conséquence, en empêchant le déplacement de la sculpture, de l'exposer à l'érosion et de conduire à sa disparition ;
- l'arrêté du 21 mai 2010 est entaché d'une erreur de qualification juridique de la sculpture qui constitue un simple objet décoratif, placé sur la sépulture sans former avec cette dernière un tout indivisible ;
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'il procède à l'inscription de la tombe dans son intégralité ;
- ni l'arrêté du 4 octobre 2006 par lequel le ministre de la culture a refusé le certificat d'exportation de la sculpture et qualifiait cette dernière de trésor national, ni l'arrêté querellé ne s'attardent sur l'intérêt historique ou artistique de la tombe elle-même ; " le Baiser " n'a jamais été destiné à orner une sépulture ni demeurer à l'air libre ; la tombe ne saurait être considérée comme un immeuble par nature sans que soit méconnu l'article L. 2223-13 du code général des collectivités territoriales qui confère aux propriétaires de sépultures des droits de conservation ou de déplacement de celle-ci ;
- si la tombe devait être qualifiée d'immeuble par nature, la sculpture ne pourrait être considérée que comme constituant une partie de cet immeuble justifiant l'application de l'article L. 621-25 du code du patrimoine ; aucun élément ne vient établir une quelconque solidarité ou indivisibilité matérielle, chronologique, artistique ou juridique entre la tombe et la sculpture ; V... G... n'a pas procédé à la gravure de l'épitaphe sur la stèle ni apposé sa signature ; il n'a jamais eu l'intention d'installer cette sculpture sur la tombe ni de contribuer à l'édification d'un monument funéraire ; la sculpture peut être aisément déposée sans qu'il soit porté atteinte à l'intégrité du monument puisqu'elle y est fixée grâce à un tenon ;
- " le Baiser " constitue un bien mobilier ayant acquis la qualité d'immeuble par destination du fait de son installation sur une sépulture en guise d'ornement et est régi par l'article L. 622-20 du code du patrimoine ; il revient à l'Etat qui souhaite qualifier la sculpture d'immeuble par nature de démontrer qu'une dépose de la sculpture ne peut être opérée sans dégradation de celle-ci ou de la stèle ;
- l'arrêté du 21 mai 2010 est entaché d'une violation du droit de propriété protégé par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; l'atteinte à ce droit est disproportionnée au but poursuivi alors qu'une inscription au titre des immeubles par nature ou des objets mobiliers permettait la protection de la sculpture ; elle est même contraire au but d'intérêt général poursuivi de protection de l'oeuvre ;
- les décisions des 17 mars et 28 juin 2016 sont entachées d'incompétence de leur signataire à raison du caractère trop large et absolu de la délégation de signature consentie par le préfet de région ; il n'est pas établi par l'administration que le préfet et la directrice régionale des affaires culturelles auraient été absents ou empêchés ;
Par deux mémoires en défense enregistrés les 30 septembre 2019 et 15 juillet 2020, le ministre de la culture conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête de première instance dirigée contre l'arrêté du 21 mai 2010 était tardive en tant qu'elle était présentée pour les sociétés Duhamel Fine Art et Millon et associés et que les moyens de la requête d'appel ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées par courrier du 6 octobre 2020, par application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que l'annulation de l'arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 entraîne l'annulation par voie de conséquence des décisions des 17 mars 2016 et 28 juin 2016.
Par un mémoire en réponse enregistré le 9 octobre 2020, les appelants concluent aux mêmes fins que leur requête.
Par un mémoire en réponse enregistré le 20 octobre 2020, la ministre de la culture persiste dans ses précédentes écritures.
Elle soutient en outre que les décisions des 17 mars 2016 et 28 juin 2016, si elles visent expressément l'arrêté du 21 mai 2010, auraient pu être légalement édictées en considération des décisions de justice rendues par les juridictions de l'ordre judiciaire qui ont qualifié la tombe d'immeuble par nature.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code du patrimoine ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le décret n° 2007-487 du 30 mars 2007 ;
- le décret n° 2010-633 du 8 juin 2010 ;
- le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme H...,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- les observations de Me O... pour la société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme D... T... N..., épouse L..., M. Q... R... J..., Mme S... T... N..., épouse K..., M. E... R... J..., Mme M... P... A..., épouse N..., et M. F... R... J....
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 4 octobre 2006, le ministre de la culture a classé parmi les trésors nationaux la sculpture dénommée " Le Baiser " réalisée en 1909 par V... G... et installée sur la sépulture de U... W..., décédée le 5 décembre 1910 et inhumée au cimetière du Montparnasse à Paris. Par arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a inscrit au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de U... W... avec le groupe sculpté " Le Baiser " et son socle formant stèle. Les ayants droit de la concession funéraire à titre perpétuel acquise le 12 décembre 1910 par le père de la défunte, Mme S... K... née N..., M. E... J..., Mme M... N... née A..., M. F... J..., Mme D... L... née N..., et M. Q... J..., ont déposé le 8 mars 2016, par l'intermédiaire des sociétés Duhamel Fine Art et Millon et associés, auprès des services de la préfecture de la région Ile-de-France, une déclaration de travaux, en application de l'article L. 622-22 du code du patrimoine, en vue de la dépose de la sculpture. Par courrier du 17 mars 2016, cette demande a été rejetée au motif que la tombe, avec le groupe sculpté " Le Baiser " de V... G... et son socle formant stèle était un immeuble inscrit en totalité parmi les monuments historiques par arrêté du 21 mai 2010 et qu'en conséquence, les travaux projetés devaient faire l'objet d'une demande de permis de construire. Cette décision a fait l'objet d'un recours gracieux en date du 26 avril 2016, rejeté par le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris le 28 juin suivant, au motif que le monument en cause ne relevait pas des dispositions relatives aux objets mobiliers mais de celles relatives aux immeubles inscrits parmi les monuments historiques et notamment de l'article L. 621-27 du code du patrimoine. La société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme D... T... N..., épouse L..., M. Q... R... J..., Mme S... T... N..., épouse K..., M. E... R... J..., Mme M... P... A..., épouse N..., et M. F... R... J... relèvent appel du jugement du 12 avril 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leurs requêtes tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en date du 21 mai 2010, d'autre part, à l'annulation de ses décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les appelants, le tribunal administratif a répondu aux points 12 à 16 du jugement attaqué au moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté du 21 mai 2010 et, en particulier, de l'irrégularité alléguée de la délégation de signature octroyée par le préfet de région.
3. En deuxième lieu, si les appelants soutiennent que le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de réponse au moyen tiré de l'erreur de qualification juridique des faits qui ne figurerait pas dans les visas, il ressort des points 3 à 11 de ce jugement, placés sous le titre " En ce qui concerne la qualification juridique de la sculpture " que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments soulevés à ce sujet, a répondu de façon détaillée au moyen tiré de l'erreur ayant consisté pour l'administration à avoir inscrit en totalité la sépulture en tant qu'immeuble par nature. Par ailleurs, le moyen en cause est mentionné dans les visas du jugement attaqué.
4. En troisième lieu, les premiers juges ont également suffisamment répondu, aux points 20 à 23 du jugement attaqué, au moyen tiré de la violation du droit de propriété
5. Enfin, le jugement attaqué n'est pas davantage entaché d'une insuffisance de motivation en ce qui concerne le moyen tiré du détournement de pouvoir et de procédure, ainsi qu'il ressort de ses points 24 à 26.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 :
S'agissant de la recevabilité des conclusions présentées devant le tribunal administratif par les sociétés Duhamel Fine Art et Millon et associés :
6. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. ". Aux termes de l'article L. 621-7 du code du patrimoine : " L'inscription au titre des monuments historiques est notifiée aux propriétaires (...) ".
7. Les sociétés Duhamel Fine Art et Millon et associés, qui ne peuvent se prévaloir ni de la qualité de propriétaires du bien inscrit, au sens de l'article L. 621-27 du code du patrimoine, ni de celle de mandataires de ces propriétaires devant la juridiction administrative, au sens de l'article R. 431-1 du code de justice administrative, devaient, en leur qualité de tiers, introduire leur recours contentieux à l'encontre de l'arrêté portant inscription au titre des monuments historiques de la tombe de U... W... au plus tard deux mois après la plus tardive des publications de cet arrêté auxquelles il a été procédé, soit le 4 mai 2011, date de sa publication au Journal officiel de la République française. Dès lors, la ministre de la culture est fondée à soutenir que les conclusions présentées devant le tribunal administratif par la société Duhamel Fine Art et par la société Millon et associés et enregistrées le 23 juin 2016 sous le n° 1609810, étaient tardives et par suite irrecevables.
S'agissant de la légalité de l'arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 :
8. D'une part, aux termes de l'article 516 du code civil : " Tous les biens sont meubles ou immeubles ". Aux termes de l'article 517 du même code : " Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l'objet auquel ils s'appliquent ". Aux termes de l'article 518 du même code : " Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 524 du même code : " Sont aussi immeubles par destination, tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure ".
9. D'autre part, aux termes de l'article L. 621-25 du code du patrimoine, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué : " Les immeubles ou parties d'immeubles publics ou privés qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d'histoire ou d'art suffisant pour en rendre désirable la préservation peuvent, à toute époque, être inscrits, par décision de l'autorité administrative, au titre des monuments historiques. ". Aux termes de l'article L. 622-20 du même code : " Les objets mobiliers, soit meubles proprement dits, soit immeubles par destination qui, sans justifier une demande de classement immédiat, présentent, au point de vue de l'histoire, de l'art, de la science ou de la technique, un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation, peuvent, à toute époque, être inscrits au titre des monuments historiques. Les objets mobiliers appartenant à une personne privée ne peuvent être inscrits qu'avec son consentement. ".
10. Pour être inscrit au titre des monuments historiques en application de l'article L. 621-25 précité du code du patrimoine, un bien mobilier doit avoir été conçu aux fins d'incorporation matérielle à cet immeuble, et y être incorporé au point qu'il ne puisse en être dissocié sans atteinte à l'ensemble immobilier lui-même. Les appelants soutiennent qu'en estimant que le groupe sculpté " Le Baiser " devait être regardé, du fait de son intégration à la sépulture de U... W..., comme un immeuble par nature, le préfet a entaché son arrêté d'une erreur dans la qualification juridique des faits.
11. Pour inscrire au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de U... W..., avec le groupe sculpté " Le Baiser " et " son socle formant stèle ", le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a considéré que : " (...) la conservation du groupe sculpté : " Le Baiser " réalisé par V... G... en 1909 et installé sur la tombe de U... W... à son décès en 1910 présente au point de vue de l'histoire et de l'art un intérêt public en raison d'une part, de sa place essentielle dans l'oeuvre de G... et de sa qualité intrinsèque qui en fait une oeuvre majeure, d'autre part, de son intégration à l'ensemble de la tombe avec son socle constituant la stèle funéraire portant l'épitaphe gravée et signée par G... ".
12. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la sculpture intitulée " Le Baiser " troisième pièce d'une série réalisée par V... G..., a été créée en 1909, antérieurement au décès de U... W... survenu le 5 décembre 1910, et placée sur la tombe de cette dernière en 1911 à l'initiative de Salomon Marbe, fiancé de la défunte et ami du sculpteur, en accord avec ce dernier. Les appelants contestent que l'épitaphe et le nom de G... soient de la main du sculpteur et en produisent une reproduction photographique accompagnée de la traduction des dates de naissance et de décès de la défunte gravées en chiffres slaves sur la stèle, d'où il ressort une inversion de dates, erreur que n'aurait pu commettre V... G... selon eux, du fait de sa connaissance du vieux-slave. Ils produisent, en outre, la facture datée du 13 avril 1911 de la stèle fournie pour la sépulture par le marbrier-sculpteur Ernest Schmit et ne comportant aucune mention de l'adjonction d'un groupe sculpté, ainsi que la copie d'un ordre d'inscription de l'épitaphe passé le 18 mai 1911 au marbrier Ernest Schmit par le père de la défunte, Nikolaï Nikolaïevitch J.... Enfin la circonstance que la stèle ait été réalisée en pierre d'Euville, vraisemblablement pour s'harmoniser avec le groupe sculpté dans cette même pierre, ne permet pas, contrairement à ce que soutient la ministre de la culture, de considérer que la sculpture ait été dès l'origine destinée à orner la sépulture. Par suite, et en l'absence de contestation du caractère probant de ces éléments, la sculpture ne peut être regardée comme ayant été conçue à fin d'être incorporée à la sépulture formée par la tombe et la stèle de U... W....
13. D'autre part, si la ministre de la culture soutient que la dépose de la sculpture, qui implique un descellement de celle-ci, porterait atteinte à l'intégrité du monument funéraire, elle ne l'établit pas, notamment par la production d'une expertise, ni en tout état de cause, ne démontre que cette atteinte affecterait la sculpture elle-même et non la sépulture dont il est constant, par ailleurs, qu'elle ne présente en elle-même aucun intérêt artistique suffisant pour en rendre désirable la préservation. Par suite, la sculpture " le Baiser " ne peut davantage être regardée comme étant incorporée aux éléments immobiliers de la sépulture à un degré tel qu'elle ne puisse en être dissociée sans qu'il soit porté atteinte à l'ensemble lui-même ni à l'intégrité de l'oeuvre elle-même.
14. Il résulte de ce qui précède qu'en regardant le groupe sculpté " Le Baiser " comme un immeuble par nature et en l'inscrivant au titre des monuments historiques sur le fondement de l'article L. 621-25 précité du code du patrimoine, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a entaché son arrêté d'une erreur dans la qualification juridique des faits. Les appelants, ayants droit de la concession funéraire, sont par suite fondés sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête dirigés contre cette décision, à en demander l'annulation.
En ce qui concerne les décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016 :
15. En raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé. Il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l'acte annulé et de celles dont l'acte annulé constitue la base légale.
16. Il résulte de ce qui précède que l'annulation de l'arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 prononcée au point 14 du présent arrêt entraîne, par voie de conséquence, celle des décisions des 17 mars 2016 et 29 juin 2016 du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris qui sont intervenues en raison de l'acte attaqué, ainsi qu'il ressort des termes mêmes de leur motivation, sans que la ministre de la culture puisse utilement soutenir qu'elles auraient pu être légalement édictées en considération des décisions de justice rendues par les juridictions de l'ordre judiciaire.
17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... T... N..., M. Q... R... J..., Mme S... T... N..., M. E... R... J..., Mme M... P... A... et M. F... R... J... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
18. Les motifs qui s'attachent à l'annulation des décisions des 17 mars 2016 et 29 juin 2016 du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris impliquent que ce dernier réexamine la demande qui lui a été présentée par les appelants. Il y a dès lors lieu d'enjoindre à ce dernier de procéder au réexamen de la déclaration de travaux à intervenir sur la sculpture " Le Baiser " dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
19. Il y a lieu de condamner l'Etat, partie perdante à la présente instance, à verser à Mme D... T... N..., épouse L..., à M. Q... R... J..., à Mme S... T... N..., épouse K..., à M. E... R... J..., à Mme M... P... A..., épouse N..., et à M. F... R... J... une somme globale de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1609810-1613427 du 12 avril 2018 du Tribunal administratif de Paris, en tant qu'il rejette les conclusions de Mme D... T... N..., épouse L..., de M. Q... R... J..., de Mme S... T... N..., épouse K..., de M. E... R... J..., de Mme M... P... A..., épouse N... et de M. F... R... J... ainsi que l'arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris et ses décisions du 17 mars 2016 et du 28 juin 2016, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, de procéder au réexamen de la déclaration de travaux à intervenir sur la sculpture " Le Baiser " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme D... T... N..., épouse L..., à M. Q... R... J..., à Mme S... T... N..., épouse K..., à M. E... R... J..., à Mme M... P... A..., épouse N..., et à M. F... R... J... une somme globale de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme D... T... N..., épouse L..., M. Q... R... J..., Mme S... T... N..., épouse K..., M. E... R... J..., Mme M... P... A..., épouse N..., et M. F... R... J... et à la ministre de la culture.
Copie en sera adressée au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme C..., président de chambre,
- Mme Julliard, présidente assesseure,
- Mme Mach, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 décembre 2020.
La rapporteure,
M. H...Le président,
M. C...La rapporteure,
M. H...Le président,
Le greffier,
S. GASPARLe greffier,
La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18PA02011 2