Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 5 janvier 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, l'a affecté à la maison centrale de Saint-Maur.
Par un jugement n° 1707623/6-3 du 18 juillet 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 8 janvier 2019, M. D..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1707623/6-3 du 18 juillet 2018 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 5 janvier 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, l'a affecté à la maison centrale de Saint-Maur ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de le transférer dans un établissement pénitentiaire permettant l'exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale, sous astreinte de 150 euros par jour de retard suivant l'expiration d'un délai de trois semaines à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le moyen tiré du défaut de motivation avait été soulevé dans le délai du recours contentieux ;
- il n'est pas suffisamment motivé en ce qu'il n'évoque pas la situation médicale de sa mère ni la distance qui le sépare de sa famille ;
- il a procédé à une substitution de motifs qui n'avait pas été sollicitée par le garde des sceaux, ministre de la justice ;
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- la décision a été prise par une autorité incompétente pour ce faire ;
- elle méconnait les dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle n'est pas motivée ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle porte atteinte à son projet de réinsertion.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 septembre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un courrier du 6 novembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que le requérant n'ayant soulevé devant le tribunal administratif que des moyens de légalité interne, ses moyens relatifs à l'insuffisante motivation de la décision et à la méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration sont fondés sur une cause juridique distincte et constituent une demande nouvelle irrecevable en appel.
Par une décision du 14 novembre 2018, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a admis M. D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 et le décret n° 2020-1406 du même jour portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 5.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né le 4 janvier 1976, et incarcéré depuis le 22 janvier 2002, a été affecté, par une décision du 5 janvier 2016 du garde des sceaux, ministre de la justice, à la maison centrale de Saint-Maur. M. D... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Par un jugement du 18 juillet 2018, dont il est fait appel, le tribunal a rejeté sa requête.
En ce qui concerne la régularité du jugement :
2. Le fait, pour le juge de première instance, d'écarter à tort un moyen comme irrecevable ne constitue pas une irrégularité de nature à entraîner l'annulation du jugement par le juge d'appel saisi d'un moyen en ce sens. Il appartient seulement à ce dernier, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel qui est résulté de l'introduction de la requête et après avoir, en répondant à l'argumentation dont il était saisi, relevé cette erreur, de se prononcer sur le bien-fondé du moyen écarté à tort comme irrecevable, puis, le cas échéant, sur les autres moyens invoqués en appel. Dès lors, le moyen tiré de que le jugement serait irrégulier pour avoir écarté comme irrecevables, au motif qu'ils avaient été soulevés en dehors du délai de recours contentieux, les moyens tirés de la légalité externe de la décision, doit être écarté.
3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
4. Le jugement contesté, après avoir rejeté la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice, au motif que M. D... a conservé des liens familiaux avec sa mère, sa soeur et sa nièce et que l'affectation à la maison centrale de Saint Maur allongeait le trajet requis par les membres de sa famille pour lui rendre visite, en comparaison avec le trajet nécessaire vers le lieu de sa précédente affectation, la maison centrale de Lille Annoeullin, a relevé que si l'affectation de M. D... à la maison centrale de Saint-Maur rendait plus difficile le maintien de ses liens familiaux, elle n'avait pas pour effet de rendre impossible les visites de sa famille. Il est ainsi suffisamment motivé.
5. Pour rejeter les conclusions à fin d'annulation de la décision affectant M. D... à la maison centrale de Saint-Maur, le jugement contesté a retenu que, compte tenu de son profil pénitentiaire et du reliquat de peine qu'il lui reste à purger, l'intéressé ne pouvait exiger d'être affecté en centre de détention. Il n'a ainsi pas procédé à une substitution de base légale, la mention des risques encourus du fait d'un différend persistant avec un autre détenu de la maison centrale d'Ensisheim étant relative à la décision mettant fin à son affectation à la maison centrale d'Ensisheim et non à celle l'affectant à la maison centrale de Saint-Maur.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
6. M. D... soutient que les premiers juges ont, à tort, écarté comme irrecevables les moyens de légalité externe, au motif qu'ils ont été soulevés hors du délai de recours et qu'ils relevaient d'une cause juridique différente de celle à laquelle se rattachaient les moyens invoqués dans sa demande avant l'expiration de ce délai. S'il fait valoir que devait être interprété comme soulevant le défaut de motivation le moyen, soulevé dans son mémoire introductif de première instance, tiré de ce que la décision du 5 janvier comportait un " mensonge " s'agissant de l'accord qu'il aurait donné pour être affecté à la maison centrale de Saint-Maur, ce moyen, tiré de l'exactitude matérielle des faits, constitue un moyen de légalité interne. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.
7. M. D... n'a invoqué, dans le délai de recours contentieux devant le tribunal administratif de Paris, que des moyens tirés de la légalité interne de la décision. S'il soutient en appel que la décision n'est pas suffisamment motivée et qu'elle méconnait les dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, ces prétentions, fondées sur une cause juridique distincte, constituent une demande nouvelle irrecevable en appel.
8. M. C... F..., signataire de la décision contestée, directeur des services pénitentiaires et adjoint à la chef de bureau de gestion de la détention auprès de la direction de l'administration pénitentiaire, disposait d'une délégation de signature accordée par un arrêté du 7 décembre 2015, régulièrement publié au Journal Officiel de la République française du 18 décembre 2015. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée manque en fait.
9. Aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
10. S'il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux du 8 novembre 2010 et du 11 septembre 2015, qu'à la date de la décision attaquée, le 5 janvier 2016, les longs voyages étaient contre indiqués à la mère de M. D..., cette seule circonstance rendait les rencontres familiales difficiles mais pas impossibles, l'impossibilité pour sa mère de ne se déplacer autrement qu'en fauteuil roulant n'étant relevée que dans des certificats médicaux du 21 février et du 22 juillet 2016 postérieurs à la décision attaquée. Dans ces conditions, et alors que l'affectation de M. D... dans un centre de détention ne pouvait pas être envisagée en raison de la longueur de la peine restant à exécuter et de la circonstance que l'établissement de Saint-Maur était adapté à son profil pénal et pénitentiaire compte tenu de sa radiation encore récente du profil des détenus particulièrement signalés, le garde des sceaux, ministre de la justice n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis par la mesure et n'a pas davantage commis une erreur de droit.
11. Si M. D... fait valoir qu'il avait commencé un suivi psychologique, il n'établit pas qu'un tel suivi serait impossible dans sa nouvelle affectation.
12. Si M. D... fait valoir que l'affectation à la maison centrale de Saint-Maur porte atteinte à sa réinsertion dès lors qu'il ne pourra pas continuer à y suivre la formation de peintre qu'il avait entamée auparavant, les seuls documents produits, une confirmation de rendez-vous rédigée en 2012 pour signer un contrat de formation en tant que peintre et une attestation de suivi d'une formation de peintre " décors et meubles en carton " datée de 2014 ne sont pas, eu égard à leur faible nombre et à leur ancienneté, de nature à établir que la décision en litige méconnaitrait son projet de réinsertion.
13. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre des frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 décembre 2020.
Le président,
J. LAPOUZADE
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
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N° 19PA00077