Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 240 777 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision du 9 octobre 2006 de l'inspecteur du travail, confirmée par le ministre du travail le 30 mars 2007, autorisant la société Presses universitaires de France à procéder à son licenciement pour motif économique.
Par un jugement n° 1602646/3-2 du 22 décembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 mai 2018 et 28 février 2019, M. B..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1602646/3-2 du 22 décembre 2017 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 240 777 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision du 9 octobre 2006 de l'inspecteur du travail, confirmée par le ministre du travail le 30 mars 2007, autorisant la société Presses universitaires de France à procéder à son licenciement pour motif économique ;
3°) à titre subsidiaire, de transmettre le dossier de la présente requête au Conseil d'Etat pour une demande d'avis en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- pour rejeter sa demande, le tribunal s'est fondé sur des moyens qui n'avaient pas été soulevés par le défendeur, qui n'étaient pas des moyens d'ordre public et qu'ils ne lui ont pas été communiqués ; le tribunal a ainsi méconnu les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;
- en autorisant son licenciement, l'administration a commis des fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; la mise en place par le législateur d'un mécanisme tendant à la réparation des préjudices subis par le salarié en cas d'annulation ultérieure de l'autorisation de licenciement ne fait pas obstacle aux principes généraux de la responsabilité de la puissance publique ;
- les préjudices subis sont la conséquence directe et certaine des fautes commises par l'administration et la circonstance que l'employeur ait lui aussi commis une faute en n'accomplissant pas tous les efforts de reclassement est sans incidence sur cette appréciation ; il a droit à la réparation intégrale de ses préjudices quand bien même sa réintégration a été prononcée ;
- le conseil des prud'hommes a rejeté sa demande d'indemnisation par un jugement du 14 avril 2016 ; il s'ensuit que juger que ses préjudices ne sont pas indemnisables conduirait à un déni de justice et à une méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- à titre subsidiaire, le conseil des prud'hommes ne s'est pas prononcé sur l'ensemble de ses préjudices ;
- ses préjudices sont évalués à 105 260 euros au titre de la perte de salaires pour la période comprise entre la date de son licenciement, le 13 octobre 2006, et celle de sa réintégration en décembre 2011, à 24 369 euros au titre de ses autres préjudices financiers et en particulier en raison de sa situation de surendettement, à 61 148 euros au titre du préjudice de carrière et à 50 000 euros au titre de son préjudice moral ;
- le présent litige pose une question de droit nouvelle qui présente en outre une difficulté sérieuse et qui se pose dans de nombreux litiges ; il convient dès lors de transmettre la présente requête au Conseil d'Etat pour une demande d'avis en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- le tribunal n'était pas tenu de procéder à la communication prescrite par les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative avant de rejeter les conclusions indemnitaires présentées par M. B... ;
- le préjudice subi par M. B... du fait de son licenciement ayant été intégralement réparé par son employeur, l'intéressé n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat en vue d'obtenir une réparation supplémentaire pour ce même préjudice ;
- à titre subsidiaire, le lien de causalité entre les différents chefs de préjudices et la faute invoquée de l'administration n'est pas établi.
Par des mémoires, enregistrés les 6 juillet et 18 septembre 2020, M. B..., représenté par Me D..., déclare abandonner sa demande d'indemnisation au titre du préjudice moral résultant de ses licenciements et par conséquent le montant total de l'indemnité sollicitée est ramené à la somme de 190 777 euros. Il demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et maintient ses autres conclusions et ses moyens.
Il soutient en outre que :
- les premiers juges ne se sont pas prononcés sur la responsabilité de l'administration et les fautes commises qui pourtant n'étaient pas contestées en défense ;
- il a été indemnisé de son préjudice moral par la société Humensis en exécution du protocole transactionnel conclu devant la Cour d'appel de Paris ;
- quelles que puissent être les autres possibilités de recours, l'Etat doit être condamné à l'indemniser de ses préjudices résultant directement de l'autorisation fautive de licenciement et qui correspondent à la perte de salaires d'un montant de 105 260 euros, à des préjudices financiers liés notamment à sa situation de surendettement à hauteur de 24 369 euros et au préjudice de carrière évalué à 61 148 euros.
Des pièces ont été présentées pour M. B... les 12 et 13 novembre 2020.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 21 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le protocole transactionnel conclu entre M. B... et la société Humensis le 20 décembre 2019 dans le cadre d'une médiation judiciaire ordonnée par la cour d'appel de Paris ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté par la société Presses universitaires de France le 18 avril 2001 et exerçait en dernier lieu la fonction de " webmaster ". Par ailleurs, il détenait les mandats de délégué syndical, membre suppléant de la délégation unique du personnel et de secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Par une décision du 9 octobre 2006, confirmée par le ministre du travail le 30 mars 2007, l'inspecteur du travail a autorisé la société Presses universitaires de France à licencier son salarié pour motif économique. Par un arrêt du 28 avril 2011 devenu définitif, la Cour a annulé ces deux décisions au motif que les recherches de reclassement par l'employeur étaient insuffisantes. Les 2 mars et 16 novembre 2015, M. B... a sollicité du ministre du travail le versement de la somme de 240 777 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité des décisions des 9 octobre 2006 et 30 mars 2007 ayant autorisé la société Presses universitaires de France à procéder à son licenciement pour motif économique. Ses demandes ont été implicitement rejetées. M. B... relève appel du jugement du 22 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les conclusions aux fins de transmission du dossier au Conseil d'Etat pour avis :
2 La faculté de transmettre le dossier au Conseil d'Etat pour avis prévue par les dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions de M. B... tendant à ce que la Cour transmette le dossier au Conseil d'Etat en application de ces dispositions sont irrecevables et doivent être rejetées.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Il ressort des termes du jugement attaqué qu'en estimant que faute de préjudice indemnisable, M. B... n'est pas fondé à demander la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices relatifs à des pertes de salaires, à des problèmes financiers, au déroulement de carrière ou même son préjudice moral qu'il aurait subis du fait de son licenciement, les premiers juges se sont implicitement mais nécessairement prononcé sur la responsabilité de l'Etat.
4. Il ressort du dossier de première instance, en particulier du mémoire en défense enregistré le 13 mars 2017, que le ministre du travail a fait valoir devant le tribunal que, d'une part, le salarié protégé dont le licenciement avait été annulé de manière définitive avait droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, ce paiement s'accompagnant du versement des cotisations afférentes à cette indemnité en application de l'article L. 2422-4 du code du travail et, d'autre part, M. B... avait formé plusieurs recours devant le juge judiciaire. Par un courrier en date du 21 novembre 2017, le tribunal a sollicité du conseil de M. B... la production du jugement du conseil des prud'hommes se prononçant sur le montant de l'indemnité versée à l'intéressé par son employeur. Dans ces conditions, en jugeant qu'il appartient à M. B... de contester devant le conseil des prud'hommes le montant de l'indemnité qui lui a été versée par son employeur en vertu de l'article L. 2422-4 du code du travail qui couvre la totalité du préjudice, tant matériel que moral, subi au cours de la période écoulée entre le licenciement et la réintégration du salarié et que, par suite, faute de préjudice indemnisable, il n'est pas fondé à demander la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices relatifs à des pertes de salaires, à des problèmes financiers, au déroulement de carrière ou même son préjudice moral résultant de son licenciement, le tribunal ne s'est pas fondé sur un moyen qu'il aurait relevé d'office sans en informer les parties en méconnaissance de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.
Sur l'indemnisation des préjudices de M. B... :
5. L'article L. 2422-4 du code du travail dispose que : " Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire. ".
6. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'annulation devenue définitive des décisions de l'administration ayant autorisé le licenciement de M. B... pour motif économique en 2006, la société Presses universitaires de France a versé au salarié en mai 2012 la somme de 62 120,32 euros " au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail " correspondant, pour la période comprise entre le 18 décembre 2006, date du licenciement, et le 11 décembre 2011, date à laquelle l'employeur a juridiquement réintégré l'intéressé, au montant des salaires soumis aux cotisations patronales et salariales, déduction faite de l'allocation chômage et de l'indemnité de licenciement conventionnel perçues par M. B.... Par ailleurs, saisi le 10 décembre 2014 par M. B..., le conseil des prud'hommes a, par un jugement du 14 avril 2016, rejeté sa demande tendant à condamner l'employeur à lui verser notamment ses salaires et des indemnités compensatrices de congés payés, de RTT et des prestations non versées aux organismes sociaux ainsi qu'une indemnité au titre de son préjudice moral pour la période du 18 décembre 2006 au 11 décembre 2011. A la suite d'une médiation organisée par la Cour d'appel de Paris, M. B... et la société Presses universitaires de France, devenue la société Humensis, ont conclu le 20 décembre 2019 un protocole transactionnel qui a mis " un terme amiable de manière définitive au litige " né à la suite des licenciements de M. B... et par lequel l'employeur s'est engagé à verser à l'intéressé, " à titre d'indemnité globale, définitive et forfaitaire pour les trois licenciements de 2006, 2012 et 2015 ", la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice moral invoqué par le salarié en contrepartie de la renonciation à toute action contentieuse. Le protocole transactionnel précise également que " ces dommages et intérêts compensent l'intégralité des préjudices professionnels, matériels et moraux subis par M. B... en suite de l'exécution et la rupture de son contrat de travail du fait de Humensis ". Par un arrêt du 25 juin 2020, la Cour d'appel de Paris a pris acte du désistement de M. B... dans l'instance relative à son licenciement de 2006. Dès lors, M. B... doit être regardé comme ayant perçu, à la suite du versement par l'employeur de la somme de 62 120,32 euros en mai 2012 et de la somme de 50 000 euros en janvier 2020 en réparation du préjudice moral résultant du licenciement de 2006, l'indemnité correspondant à la totalité des préjudices qu'il a subis au cours de la période écoulée entre son licenciement en décembre 2006 et sa réintégration en décembre 2011. Par suite, et même si l'Etat n'est pas partie au protocole transactionnel du 20 décembre 2019 et sans que les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales y fassent obstacle, M. B... n'est pas fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité des décisions autorisant son licenciement en 2006.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Luben, président,
- Mme Collet, premier conseiller,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2020.
Le président de la formation de jugement,
I. LUBEN
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01763