Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 octobre 2016 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux contre cette décision.
Par un jugement n° 1702936/5-1 du 19 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 juin 2018, M. D..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision attaquée du 17 octobre 2016 est insuffisamment motivée ;
- le ministre de l'intérieur ne pouvait se borner à lui opposer l'absence de précision des faits concernés par sa demande de protection fonctionnelle ;
- la décision implicite de rejet de son recours gracieux est insuffisamment motivée, notamment au regard de la circulaire B8 n° 2158 du 5 mai 2018 du ministre chargé de la fonction publique relative à la protection fonctionnelle des agents publics de l'Etat ;
- la protection fonctionnelle devait lui être accordée de plein droit dès lors que le ministre de l'intérieur n'a identifié aucune faute personnelle détachable du service d'une particulière gravité, seule de nature à justifier un refus en vertu du III de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la circonstance que des poursuites pénales auraient été engagées contre lui pour une faute personnelle ne saurait justifier un refus de protection fonctionnelle dès lors qu'une telle faute n'est pas établie par un jugement revêtu de l'autorité de la chose jugée ;
- l'administration ne peut refuser d'octroyer la protection fonctionnelle au motif qu'elle ignore si l'agent a commis on non une faute personnelle ;
- le refus d'accorder la protection fonctionnelle porte atteinte à la présomption d'innocence ;
- les interceptions de sécurité qu'il a ordonnées relevaient des missions de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et étaient justifiées par des motifs touchant à la sûreté de l'Etat ;
- les premiers juges ont procédé à tort à une substitution de motifs tirée de ce que la décision litigieuse était légalement fondée sur la faute personnelle détachable du service compte tenu de l'incapacité du ministre de l'intérieur d'établir une telle faute ;
- l'administration ne saurait être liée par la qualification pénale provisoirement donnée aux faits au stade de l'instruction judiciaire et doit démontrer l'existence d'une faute personnelle d'une particulière gravité détachable du service.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- et les observations de Me E... pour M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., qui a occupé les fonctions de directeur central du renseignement intérieur du 2 juillet 2008 au 2 juin 2012, a demandé au ministre de l'intérieur, par lettre du
10 octobre 2016, le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre d'une enquête judiciaire ouverte par le juge d'instruction du Tribunal de grande instance de Paris. Par décision du
17 octobre 2016, le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande. Par lettre du 25 octobre 2016,
M. D... a formé un recours gracieux contre cette décision, qui a été implicitement rejeté à son tour. M. D... relève appel du jugement du 19 avril 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions de rejet.
2. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable à la date des décisions attaquées : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire (...) III.- Lorsque le fonctionnaire fait l'objet de poursuites pénales à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection (...) ".
3. Pour rejeter la demande d'un fonctionnaire qui sollicite le bénéfice des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, l'autorité administrative peut, sous le contrôle du juge, exciper du caractère personnel détachable du service de la ou des fautes qui ont conduit à l'engagement de la procédure pénale, sans attendre l'issue de cette dernière. Elle se prononce au vu des éléments dont elle dispose à la date de sa décision en se fondant, le cas échéant, sur ceux recueillis dans le cadre de la procédure pénale.
4. Il ressort des pièces du dossier que, par la lettre du 10 octobre 2016 mentionnée au point 1, M. D... a informé le ministre de l'intérieur qu'il faisait l'objet d'une enquête judiciaire de la part d'un juge d'instruction du Tribunal de grande instance de Paris dans le cadre de l'affaire dite du " financement lybien " et que " les magistrats s'intéressent à des actes non détachables du service, commis en 2011, en ma qualité de préfet directeur central du renseignement intérieur (2008-2012) ". A l'appui de son recours gracieux, il a indiqué qu'après avoir pu consulter l'intégralité du dossier pénal, il complétait sa demande initiale en précisant que la plupart des faits visés et notamment les plus graves, entre autres la demande d'une interception de sécurité réalisée entre le 16 et le 21 juin 2011, l'avaient été au titre de la sécurité nationale, concernaient l'activité de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et le fonctionnement de la procédure classifiée des interceptions de sécurité et que les magistrats cherchaient à savoir si les moyens logistiques de cette direction n'avaient pas été utilisés de façon habituelle pour surveiller des magistrats ou policiers chargés d'affaires sensibles. Par la suite, au soutien de sa demande présentée devant le tribunal administratif, M. D... a produit un extrait de l'ordonnance prononçant son placement sous contrôle judiciaire le 28 septembre 2016, d'où il ressort que les faits qui lui sont reprochés en sa qualité de directeur central du renseignement intérieur, consistent, d'une part, dans " le détournement, la suppression ou l'ouverture de correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances, en l'espèce en ordonnant des identifications de lignes et de relevés de communication sur des fonctionnaires de police de l'office central des courses et jeux et en ordonnant une interception de sécurité sur la base de motifs infondés sur la ligne téléphonique de M. A. ", d'autre part, dans le fait d'avoir " commis un faux dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l'autorité publique, en l'espèce un formulaire de demande d'interception de sécurité sur M. A. faisant état d'informations sciemment erronées, et d'avoir fait usage dudit faux " et, enfin, d'avoir " dans le cadre de ses anciennes fonctions, frauduleusement placé sur écoute un fonctionnaire de police avec lequel il avait un contentieux privé ".
5. Après la production par M. D... de cette ordonnance, le ministre de l'intérieur a invoqué, dans son mémoire en défense de première instance, un autre motif de nature à justifier le refus de protection fonctionnelle, tiré de ce que les faits en cause étaient constitutifs d'une faute personnelle dès lors que les agissements visés dans l'ordonnance, indépendamment de leur qualification pénale, constituent de graves manquements caractérisant une faute détachable du service, compte tenu notamment du niveau de responsabilité et de l'expérience professionnelle de M. D....
6. M. D... soutient pour sa part que ces agissements étaient justifiés par les besoins des missions de contre-espionnage relevant de la compétence du service qu'il dirigeait. Il précise en appel que, tenu au secret de l'instruction ainsi qu'au secret défense, il se réfère néanmoins à un article de presse, qu'il produit, exposant les conditions dans lesquelles la DCRI a été contrainte de mettre en place la surveillance de plusieurs fonctionnaires de police suspectés d'avoir été approchés par un service de renseignement étranger. M. D... expose ensuite les raisons ayant conduit à la mise sur écoute, pendant six jours, de l'un de ces fonctionnaires. En se limitant à affirmer que cet article " n'est pas de nature à faire regarder comme manifestement erronée l'appréciation portée par les premiers juges ", lesquels, au demeurant, ne se sont pas prononcés sur le caractère détachable ou non du service des agissements reprochés à l'intéressé, le ministre de l'intérieur ne contredit pas sérieusement les allégations, non dépourvues de sérieux, de M. D.... Dans ces conditions, ce dernier est fondé à demander l'annulation du refus de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ainsi que du rejet implicite de son recours gracieux contre ce refus.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
8. Eu égard au motif d'annulation des décisions attaquées ci-dessus retenu et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus à M. D..., le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité fasse droit à sa demande tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle au regard des faits qui lui sont reprochés, commis en 2011 en sa qualité de directeur central du renseignement intérieur. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui accorder cette protection dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1702936/5-1 du Tribunal administratif de Paris en date du
19 avril 2018, la décision du ministre de l'intérieur en date du 17 octobre 2016 ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux de M. D... contre cette décision sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur d'accorder à M. D... le bénéfice de la protection fonctionnelle au regard des faits qui lui sont reprochés, commis en 2011 en sa qualité de directeur central du renseignement intérieur, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
- Mme A..., président de chambre,
- M. B..., premier conseiller,
- Mme Portes, premier conseiller.
Lu en audience publique le 30 octobre 2020.
Le rapporteur,
P. B...
Le président,
M. A... Le greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA02060