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22/10/2020 | FRANCE | N°20PA00986

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 22 octobre 2020, 20PA00986


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... demande au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 14 octobre 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de son nom de " D... " en " Boukriess ".

Par une ordonnance n° 1926418 du 28 janvier 2000, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 16 mars 2020 et un mémoire enregistré le 11 août 2020, M. E.

.. D..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1926418 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... demande au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 14 octobre 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de son nom de " D... " en " Boukriess ".

Par une ordonnance n° 1926418 du 28 janvier 2000, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 16 mars 2020 et un mémoire enregistré le 11 août 2020, M. E... D..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1926418 du 28 janvier 2000 de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 14 octobre 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de son nom de " D... " en " Boukriess " ;

3°) de mettre à la charge de l'État (ministère de la justice) le versement d'une somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ou de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il justifie d'un motif légitime à changer de nom au sens de l'article 61 du code civil, dès lors que la francisation de son nom, décidée en même temps que sa naturalisation, l'a éloigné de son cercle familial, a eu des conséquences défavorables sur son état de santé et entraîne des difficultés d'ordre administratif et relationnel ;

- la décision porte atteinte à son droit à la vie privée et méconnait l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 juillet 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 % par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris en date du 26 mai 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 72-964 du 25 octobre 1972 relative à la francisation des noms et prénoms des personnes qui acquièrent, recouvrent ou se font reconnaître la nationalité française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... D..., né le 3 septembre 1972 au Maroc, a été naturalisé français par décret du 5 décembre 1995, qui a également procédé à la francisation de son patronyme d'origine, " Boukriess ", et changé son prénom en Stéphane. L'intéressé a repris son prénom d'origine par un jugement du 8 décembre 2008. Par une demande publiée au Journal officiel le 15 mars 2019, il a sollicité du garde des sceaux, ministre de la justice, l'autorisation de reprendre son patronyme d'origine. Ce ministre a rejeté sa demande par une décision du 14 octobre 2019, dont l'intéressé a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer l'annulation. Par une ordonnance du 28 janvier 2000, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande. M. D... relève appel de cette ordonnance devant la Cour.

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête ;

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 25 octobre 1972 relative à la francisation des noms et prénoms des personnes qui acquièrent, recouvrent ou se font reconnaître la nationalité française : " Toute personne qui acquiert ou recouvre la nationalité française peut demander la francisation de son nom seul, de son nom et de ses prénoms ou de l'un d'eux, lorsque leur apparence, leur consonance ou leur caractère étranger peut gêner son intégration dans la communauté française " ; qu'aux termes de l'article 12-1 de la même loi : " Les noms et prénoms francisés peuvent faire l'objet des changements prévus aux articles 60 à 61-4 du code civil aux conditions définies par lesdits articles " ; qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / [...] / Le changement de nom est autorisé par décret " ;

3. Il résulte ainsi des termes mêmes de l'article 12-1 de la loi du 25 octobre 1972 que les noms francisés peuvent faire l'objet d'une procédure de changement de nom dans les conditions définies par l'article 61 du code civil. Il s'ensuit qu'une personne dont le nom a été francisé, à l'occasion notamment de sa naturalisation, peut ultérieurement demander à changer de nom si elle justifie d'un intérêt légitime à cette fin. La circonstance qu'elle a initialement demandé la francisation de son nom ne fait pas par elle-même obstacle à ce qu'elle puisse faire valoir un intérêt légitime à reprendre son nom d'origine. Un tel intérêt peut être notamment caractérisé par des circonstances exceptionnelles.

4. Il ressort d'un certificat établi par médecin-psychiatre, joint au dossier, que M. D... " vient de façon anarchique mais très régulière, néanmoins pour les mêmes demandes de changement de nom. Son état s'est aggravé. L'envahissement psychique est encore plus présent qu'auparavant. Ses pensées sont devenues obsessionnelles d'autour d'un changement de nom avec phénomène de culpabilisation autour d'une perte de repères traditionnels. ". Dans les circonstances très particulières de l'espèce, le requérant, qui justifie compte tenu de ce qui précède d'un intérêt légitime, est fondé à soutenir que la décision litigieuse est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions rappelées aux points 2 et 3, et par suite, à en demander l'annulation, ainsi que celle de l'ordonnance du 28 janvier 2000 par laquelle la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande présentée devant ce tribunal.

5. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 % par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Paris du 26 mai 2020. Il n'allègue pas avoir engagé d'autres frais que ceux partiellement pris en charge à ce titre. D'autre part, l'avocat de M. D... a demandé que lui soit versée par l'État la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié de l'aide juridictionnelle. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de l'État le remboursement à Me C... A... de la somme de 1 000 euros, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 1926418 du 28 janvier 2000 de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris et la décision du 14 octobre 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande de changement du nom du requérant de " D... " en " Boukriess " sont annulées.

Article 2 : L'État (ministère de la justice) versera à Me C... A... une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mustapha D... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. B..., président-assesseur,

- M. Doré, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 22 octobre 2020.

Le rapporteur,

S. B...Le président,

J. LAPOUZADE Le greffier,

A. LOUNIS

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA00986


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00986
Date de la décision : 22/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-03 Droits civils et individuels. État des personnes. Changement de nom patronymique.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : TOUPIN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-10-22;20pa00986 ?
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