Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au Tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 19 février 2019 par lequel le préfet de l'Eure l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixé la Russie comme pays de renvoi.
M. A... ayant fixé sa résidence principale en Seine-et-Marne, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Rouen a transmis la requête au Tribunal administratif de Melun par une ordonnance du 18 mars 2019.
Par un jugement n° 1902590 du 9 mai 2019, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, des pièces complémentaires et un mémoire enregistrés les 23 octobre 2019, 7 juin et 19 juin 2020, M. A..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1902590 du 9 mai 2019 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Eure en date du 19 février 2019 l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixant la Russie comme pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Eure, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler dans l'attente de son titre de séjour, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler durant cet examen ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté n'est pas suffisamment motivé en fait ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen suffisant de sa situation personnelle ;
- l'arrêté est entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de fait ;
- l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'appréciation des conséquences de cette décision quant à sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
- la décision fixant la Russie comme pays de renvoi méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2020, le préfet de l'Eure conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 9 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant russe, est entré en France, le 5 mars 2015, accompagné de sa femme et de ses cinq enfants. Il a présenté, le 22 décembre 2015 une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Ce rejet a été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 8 février 2017. Il a présenté une demande de réexamen de sa demande d'asile que l'OFPRA a déclaré irrecevable. Par une ordonnance du 7 décembre 2018, la CNDA a rejeté son recours contre la décision d'irrecevabilité de l'OFPRA. Par un arrêté du 19 février 2019, le préfet de l'Eure l'a obligé à quitter le territoire français en fixant la Russie comme pays de renvoi. M. A... fait appel du jugement du 9 mai 2019 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. La décision attaquée précise que M. A... " déclare être marié et avoir 5 enfants à charge, l'ensemble de la famille étant de nationalité russe et séjournant de manière irrégulière sur le territoire français ; il ne justifie pas d'une intégration particulière en France où il prétend n'être arrivé qu'en 2015 ". En conséquence, contrairement aux affirmations du requérant, le préfet de l'Eure ne s'est pas borné à reproduire des formules stéréotypées. S'il n'est fait aucune mention de la relation de concubinage que M. A... entretiendrait avec une compatriote titulaire d'une carte de résident, M. A... n'en a pas informé le préfet de l'Eure. En outre, le préfet n'était pas, en tout état de cause, tenu de reprendre l'ensemble des éléments personnels de la situation de M. A.... Dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'une insuffisance de motivation ou d'un défaut d'examen de la situation personnelle de l'intéressé.
3. Les dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas en elles-mêmes invocables par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement telle qu'une obligation de quitter le territoire français, dès lors qu'elles ne créent pas d'obligation pour les États membres, mais uniquement pour les institutions, organes et organismes de l'Union. Cet étranger peut néanmoins utilement faire valoir que le principe général du droit de l'Union relatif au respect des droits de la défense impose qu'il soit mis à même de présenter toute observation utile sur la mesure d'éloignement envisagée.
4. Dans le cas prévu au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise après que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été refusé à l'étranger qui la demande et découle du défaut de reconnaissance de cette qualité ou de ce bénéfice. L'étranger, qui présente une demande d'asile, ne saurait ignorer qu'en cas de rejet de sa demande, il peut faire l'objet d'une mesure d'éloignement immédiate du territoire français. Il lui appartient, tant lors du dépôt de sa demande d'asile, qui doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur à la préfecture, que postérieurement en cas d'évolution de sa situation, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles, et notamment celles de nature à permettre à l'administration d'apprécier son droit au séjour au regard d'autres fondements que celui de l'asile. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de la reconnaissance de la qualité de réfugié, n'impose pas à l'autorité administrative de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise en conséquence du refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié. En l'espèce, M. A... ayant sollicité son admission au séjour au titre de l'asile et ayant vu ses demandes, initiale et de réexamen, rejetées par l'OFPRA et par la CNDA ne pouvait ignorer qu'il était en situation irrégulière. En outre, il a été interrogé par les gendarmes le 19 février 2019 sur sa situation personnelle et familiale et il a pu à cette occasion porter à la connaissance du préfet tous les éléments de fait relatifs à sa situation personnelle. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il aurait été privé de son droit à être entendu doit être écarté.
5. Le requérant soutient que le préfet de l'Eure a commis une erreur de fait en affirmant que l'ensemble des membres de sa famille était en situation irrégulière. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que l'épouse et les cinq enfants de M. A... étaient en situation irrégulière à la date de l'arrêté attaqué. Par ailleurs, M. A... n'ayant pas informé le préfet de ce qu'il entretenait une relation de concubinage avec une compatriote titulaire d'un titre de séjour en qualité de réfugié, le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français serait entachée d'une erreur de fait ne peut qu'être écarté.
6. Le préfet a relevé que M. A... justifiait d'une résidence habituelle en France depuis 2015, il ne vivait plus depuis environ six mois avec son épouse en situation irrégulière et ses trois enfants mineurs et que ses deux autres enfants majeurs ne vivaient pas avec leur père et enfin que M. A... n'avait pas fait état le 19 février 2019 de ce qu'il avait une relation extra-conjugale avec une compatriote, titulaire d'une carte de résident en qualité de réfugié. Si le requérant se prévaut de ce qu'il est désormais le père d'une petite fille conçue avec sa concubine, cette circonstance est, en tout état de cause, postérieure à l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait violé les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
7. Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
8. M. A... se prévaut de sa situation de père de trois enfants mineurs scolarisés au primaire et au collège ainsi que d'une petite fille née le 29 février 2020, conçue dans le cadre de ses relations extra-conjugales Toutefois, M. A... n'établit pas qu'il contribue à l'éducation et à l'entretien des trois enfants mineurs qu'il a eu avec son épouse et la naissance de sa dernière fille est postérieure à la décision attaquée. Il s'ensuit que le préfet de l'Eure n'a pas méconnu les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
9. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...) ".
10. Le requérant soutient qu'il a fui son pays d'origine en raison des persécutions dont il aurait fait l'objet de la part des autorités russes. Toutefois, il indique avoir quitté la république fédérale d'Ingouchie en Russie au début de l'année 2007 et il ne produit aucune pièce permettant d'établir qu'il serait personnellement exposé à des risques de mauvais traitements en cas de retour dans son pays d'origine alors que, par ailleurs, l'OFPRA puis la CNDA ont refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Eure.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- M. Platillero, président-assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 octobre 2020.
Le rapporteur,
I. B...Le président,
S.-L. FORMERY
Le greffier,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA03357 2