Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A..., agissant au nom de Mme C... B... sous tutelle, a demandé à la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne d'annuler la décision du 29 mai 2017 par laquelle le conseil départemental de la Dordogne a refusé l'admission de Mme B... au bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement pour personnes âgées.
Par une décision du 16 novembre 2017, la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 février 2018 et 18 septembre 2020, Mme A... agissant au nom de Mme B..., représentée par Me F..., demande à la Cour :
1°) d'annuler la décision du 16 novembre 2017 de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne rejetant le recours formé contre la décision du 29 mai 2017 du conseil départemental de la Dordogne refusant l'admission de Mme B... au bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement pour personnes âgées ;
2°) d'annuler la décision du 29 mai 2017 du conseil départemental de la Dordogne refusant l'admission de Mme B... au bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement pour personnes âgées ;
3°) de prononcer la prise en charge des frais d'hébergement au titre de l'aide sociale de Mme B... à compter du 23 juin 2016 ;
4°) de condamner le département de la Dordogne à verser à Mme B... la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de la décision de refus d'aide sociale du 29 mai 2017 ;
5°) de condamner le département de la Dordogne à verser à Mme B... la somme de 117,31 euros au titre des frais d'essence ;
6°) de mettre à la charge du département de la Dordogne le versement à Mme B... de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le président du conseil départemental de la Dordogne ne pouvait lui refuser le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement au motif de l'absence de réponse de deux de ses obligés alimentaires alors qu'il lui appartenait de saisir l'autorité judiciaire afin de fixer le montant éventuel de la dette alimentaire ; en l'absence de ces éléments, l'intéressée a apporté la preuve de son état de besoin ;
- elle est en situation de surendettement qui a pour seule origine son incapacité financière à assumer son hébergement en EHPAD ; elle a dû en outre quitter l'EHPAD dans lequel elle était accueillie pour un hébergement classique non médicalisé et inadapté à sa situation de dépendance ; elle a ainsi subi un préjudice qu'il appartiendra au département d'indemniser à hauteur de 5 000 euros ;
- à titre subsidiaire, la composition de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne qui a rendu la décision attaquée est irrégulière.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2018, le président du conseil départemental de la Dordogne conclut au rejet de la requête et à la confirmation de la décision de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne du 16 novembre 2017.
Il soutient qu'en l'absence de réponse de deux de ses obligés alimentaires, et en l'absence de saisine du juge aux affaires familiales par Mme A..., il devait rejeter la demande d'aide sociale de Mme B... ; il n'a pas connaissance d'une décision du juge aux affaires familiales.
Par un courrier du 15 septembre 2020, les parties ont été informées que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que la composition de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne qui a rendu la décision attaquée du 16 novembre 2017 était irrégulière en ce qu'elle était seulement composée du président, qui exerçait les fonctions de rapporteur, et d'une secrétaire non rapporteur en méconnaissance des dispositions de l'article L. 134-6 du code de l'action sociale et des familles en vigueur à la date de cette décision.
Par un courrier du 21 septembre 2020, les parties ont été informées que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à la condamnation du département de la Dordogne à verser à Mme B... la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du rejet de sa demande d'aide sociale à l'hébergement pour personnes âgées, qui sont nouvelles en appel et qui, en outre, n'ont pas été précédées d'une demande indemnitaire adressée au département.
Par une ordonnance en date du 3 décembre 2019, le président de la chambre sociale de la Cour d'appel de Bordeaux a transmis le jugement de la requête de Mme A... agissant au nom de Mme B... à la Cour administrative d'appel de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;
- le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née en 1947, placée sous la tutelle de Mme A... par un jugement du 22 mars 2017 du juge des tutelles du tribunal d'instance de Tulle, est hébergée au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Bruyères et Genêts de Bugeat depuis le 23 juin 2016. Le 4 août 2016, Mme B... a sollicité du département de la Dordogne la prise en charge par l'aide sociale de ses frais d'hébergement. Par une décision du 29 mai 2017, le président du conseil départemental de la Dordogne a rejeté la demande d'aide sociale au motif que les éléments relatifs à la situation financière de deux des obligés alimentaires de Mme B... n'ayant pas été communiqués, le demandeur n'établissait pas son état de besoin. Par une décision du 16 novembre 2017, la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de cette décision et à l'admission de Mme B... à l'aide sociale. Mme A... en sa qualité de tuteur légal de Mme B... relève appel de cette décision.
Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires :
2. Les conclusions de la requête qui tendent à ce que le département de la Dordogne soit condamné à indemniser Mme B... des préjudices financier et moral qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision de refus d'aide sociale du 29 mai 2017, qui n'ont pas été soumises à la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne, ont le caractère de conclusions nouvelles en cause d'appel. Au surplus, elles n'ont pas été précédées d'une demande indemnitaire préalable adressée au département. Il s'ensuit que ces conclusions sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur la régularité de la décision de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne :
3. Aux termes de l'article L. 134-6 du code de l'action sociale et des familles applicable à la date de la décision du 21 septembre 2017 de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne : " La commission départementale est présidée par le président du tribunal de grande instance du chef-lieu ou le magistrat désigné par lui pour le remplacer. En cas d'égal partage des voix, le président a voix prépondérante. (...) Les fonctions de rapporteur sont assurées par le secrétaire de la commission. Il peut lui être adjoint un ou plusieurs rapporteurs. Le secrétaire et les rapporteurs sont nommés par le président de la commission parmi les personnes figurant sur une liste établie conjointement par le président du conseil départemental et le préfet. Ils ont voix délibérative sur les affaires qu'ils rapportent. Le secrétaire, les rapporteurs et les commissaires du Gouvernement sont choisis parmi les fonctionnaires ou magistrats en activité ou à la retraite. ".
4. Il ressort des mentions de la décision attaquée de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne que cette commission était seulement composée du président et rapporteur, et de la secrétaire. Or les dispositions de l'article L. 134-6 du code de l'action sociale et des familles ne permettent pas au président de siéger comme rapporteur d'une commission composée de lui-même, avec voix prépondérante, et du secrétaire de la commission. Ainsi, la composition de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne ayant rendu la décision attaquée était irrégulière. Par suite, il y a lieu d'annuler cette décision et d'évoquer la demande.
Sur le bien-fondé de la demande d'admission à l'aide sociale :
5. Aux termes de l'article 205 du code civil : " Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin ". L'article 208 du même code précise que : " Les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit ". Aux termes de L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes tenues à l'obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à l'occasion de toute demande d'aide sociale, invitées à indiquer l'aide qu'elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais. / (...) / (...) / La proportion de l'aide consentie par les collectivités publiques est fixée en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à l'obligation alimentaire. La décision peut être révisée sur production par le bénéficiaire de l'aide sociale d'une décision judiciaire rejetant sa demande d'aliments ou limitant l'obligation alimentaire à une somme inférieure à celle qui avait été envisagée par l'organisme d'admission. La décision fait également l'objet d'une révision lorsque les débiteurs d'aliments ont été condamnés à verser des arrérages supérieurs à ceux qu'elle avait prévus. ". Et aux termes de l'article L. 132-7 du même code : " En cas de carence de l'intéressé, le représentant de l'Etat ou le président du conseil départemental peut demander en son lieu et place à l'autorité judiciaire la fixation de la dette alimentaire et le versement de son montant, selon le cas, à l'Etat ou au département qui le reverse au bénéficiaire, augmenté le cas échéant de la quote-part de l'aide sociale. ".
6. D'une part, en rejetant la demande d'aide sociale au motif que la situation de deux des obligés alimentaires de Mme B... n'avait pas pu être précisée, le président du conseil départemental de la Dordogne a méconnu la combinaison des dispositions ci-dessus rappelées des articles L. 132-6 et L. 132-7 du code de l'action sociale et des familles. Ainsi, en application de ces dispositions, il appartenait au département de fixer la contribution des obligés alimentaires aux frais d'hébergement de l'intéressée pour vérifier si leur participation, ajoutée aux ressources propres de cette dernière, permet de couvrir ses frais d'hébergement. En application de ces mêmes dispositions il appartenait également au département, en cas de carence de l'intéressée à saisir l'autorité judiciaire malgré la défaillance d'un ou de plusieurs de ses obligés alimentaires à faire connaître le montant de l'aide qu'il peut lui allouer, de saisir lui-même l'autorité judiciaire en son lieu et place, pour obtenir la fixation de leur dette alimentaire et l'obligation au versement de son montant. En effet le département, à la différence du postulant à l'aide alimentaire, est en mesure de s'assurer qu'il récupèrera les sommes qu'il avancerait, le cas échéant, à tout ou partie d'éventuels obligés alimentaires défaillants, par le biais de la prise en charge provisoire de sommes dues par eux à compter de la date d'effet de la décision de l'autorité judiciaire leur enjoignant de procéder au paiement de la dette alimentaire, en émettant au besoin un titre exécutoire à leur encontre sous le contrôle du juge judiciaire. Le département de la Dordogne n'est dès lors pas fondé à soutenir que Mme A..., tutrice de Mme B..., en s'abstenant de saisir elle-même le juge judiciaire, l'aurait contraint à rejeter la demande d'aide sociale.
7. D'autre part, il résulte de l'instruction qu'à la date de sa demande d'aide sociale du 4 août 2016, les ressources mensuelles de Mme B... s'élevaient à la somme totale de 1 074,80 euros correspondant au montant de sa pension de retraite, d'une pension alimentaire et de l'allocation de logement et qu'après déduction de la quote-part de 10 % devant être laissée à sa disposition en vertu de l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles, ses ressources propres ne lui permettaient pas de s'acquitter de ses frais d'hébergement d'un montant de 1 556,20 euros par mois. Au titre de 2017, les ressources mensuelles de Mme B... s'élevaient à la somme totale de 1 077,20 euros et après déduction de la quote-part de 10 %, ses ressources propres ne lui permettaient pas non plus de s'acquitter de ses frais d'hébergement d'un montant de 1 564,61 euros. Il suit de là que l'état de besoin de Mme B... pour régler ses frais d'hébergement est établi.
8. Par suite, Mme A..., agissant au nom de Mme B..., est fondée à soutenir que cette dernière doit être admise à l'aide sociale à l'hébergement à compter du 23 juin 2016, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit s'agissant de la période postérieure à la date de notification du présent arrêt, et à demander pour ce motif l'annulation de la décision du 29 mai 2017 du conseil départemental de la Dordogne.
9. Il y a lieu de renvoyer Mme A..., agissant au nom de Mme B..., devant le président du conseil départemental de la Dordogne afin qu'il procède à la détermination du déficit constaté entre les ressources perçues par l'intéressée depuis le 23 juin 2016, diminuées de la quote-part de 10 % fixée à l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles ainsi que des dépenses mises à sa charge par la loi et exclusives de tout choix de gestion, par rapport aux frais de son hébergement au sein de l'EHPAD Bruyères et Genêts de Bugeat, et au paiement des sommes ainsi calculées.
Sur les frais de l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de la Dordogne le versement à Mme B... de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision du 16 novembre 2017 de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne et la décision du 29 mai 2017 du président du conseil départemental de la Dordogne sont annulées.
Article 2 : Mme B... est admise à l'aide sociale pour la prise en charge de ses frais d'hébergement à compter du 23 juin 2016, et sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit s'agissant de la période postérieure à la date de notification du présent arrêt. Mme A..., agissant au nom de Mme B..., est renvoyée devant le président du conseil départemental de la Dordogne afin qu'il procède à la détermination et au paiement des sommes dues à ce titre.
Article 3 : Le département de la Dordogne versera à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... agissant au nom de Mme C... B..., au départemental de la Dordogne et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie pour information sera adressée à l'EHPAD Bruyères et Genêts.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme E..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.
Le rapporteur,
V. E...Le président,
H. VINOT
Le greffier,
C. POVSE La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA00347
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