Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... F... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 20 septembre 2018 par laquelle la ministre du travail a, en premier lieu, retiré le rejet implicite du recours formé le 27 février 2018 contre la décision par laquelle l'inspectrice du travail avait, le 26 décembre 2017, autorisé la radiation des cadres de M. F..., en deuxième lieu a annulé la décision prise le 26 décembre 2017 par l'inspectrice du travail, et en troisième lieu a autorisé la radiation des cadres de M. F....
Par un jugement n° 1821508/3-3 du 25 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 août 2019, et un mémoire en réplique, enregistré le 17 septembre 2020, M. F..., représenté par Me H..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1821508/3-3 du 25 juin 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 20 septembre 2018 par laquelle la ministre du travail a, en premier lieu, retiré le rejet implicite du recours formé le 27 février 2018 contre la décision par laquelle l'inspectrice du travail avait, le 26 décembre 2017, autorisé la radiation des cadres de M. F..., en deuxième lieu a annulé la décision prise le 26 décembre 2017 par l'inspectrice du travail, et en troisième lieu a autorisé la radiation des cadres de M. F... ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat (ministre du travail) le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif n'a pas statué sur le moyen tiré de ce que les faits reprochés avaient déjà été sanctionnés, entachant le jugement attaqué d'irrégularité ;
- les faits reprochés, qui ont fait l'objet d'une demande d'explication écrite du 8 décembre 2016, avaient ainsi déjà été sanctionnés et ne pouvaient faire l'objet d'une deuxième sanction par une radiation des cadres ;
- il n'a pas refusé la mesure de déplacement disciplinaire ;
- l'employeur ne peut imposer à un salarié protégé une sanction emportant modification de son contrat ou de ses conditions de travail, mais doit recueillir son accord avant toute notification de cette sanction ; en l'espèce, l'établissement SNCF Mobilités a procédé à la notification de la sanction du déplacement disciplinaire dès le 10 mai 2017, sans souhaiter savoir si M. F... acceptait ou refusait cette sanction ; l'établissement SNCF Mobilités ne pouvait tenter de régulariser a posteriori la procédure en sollicitant l'accord de M. F... alors qu'il avait déjà notifié la sanction de déplacement disciplinaire ; dans ces conditions, l'établissement SNCF Mobilités ne pouvait se prévaloir d'un prétendu refus de l'intéressé pour engager une procédure de radiation alors que la première sanction a déjà été notifiée le 10 mai 2017 ; de ce fait également, l'autorisation de procéder à la radiation des cadres ne pouvait être accordée dès lors le prononcé d'une telle sanction méconnaissait le principe non bis in idem, la sanction de déplacement disciplinaire ayant été notifiée le 10 mai 2017 ;
- la décision litigieuse autorisant la radiation des cadres est entachée d'une violation du droit d'agir en justice ;
- il existe un lien entre la demande d'autorisation de radier des cadres et son mandat ;
- les faits reprochés ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de le radier des cadres.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2020, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.
Par deux mémoires, enregistré le 24 juillet 2020 et le 4 septembre 2020, la SA SNCF Voyageurs, venant aux droits et obligations de l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de M. F... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code civil ;
- le statut des relations collectives entre SNCF, SNCF réseau, SNCF mobilités constituant le groupe public ferroviaire et leurs personnels ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me H..., avocat de M. F..., et de Me A... substituant Me D..., avocat de la SA SNCF Voyageurs.
Considérant ce qui suit :
Sur la régularité du jugement attaqué :
1. M. F... a soulevé, dans sa demande introductive d'instance enregistrée le 23 novembre 2018 au greffe du tribunal administratif de Paris, le moyen tiré de ce que les faits reprochés avaient déjà été sanctionnés et qu'ainsi la décision litigieuse avait méconnu le principe non bis in idem, qu'il a développé dans son mémoire en réplique enregistré le 6 mai 2019. Les premiers juges n'ont pas visé ce moyen, qui n'est pas inopérant, et n'y ont pas répondu, entachant ainsi d'irrégularité le jugement attaqué, qui doit être annulé.
2. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif de Paris.
3. M. F..., employé de l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités au cadre permanent depuis le 1er novembre 2002, qui était affecté en dernier lieu en tant qu'agent commercial principal, au sein de l'Établissement Gare Transilien "L et A" de la région Paris St Lazare, dans le secteur de Vaucresson, unité opérationnelle 13, a été sanctionné le 10 mai 2017 par le directeur de région d'un " dernier avertissement avec mise à pied de douze jours ouvrés et déplacement par mesure disciplinaire ", en raison de propos déplacés tenus lors de la séance du 1er décembre 2016 du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'unité opérationnelle Transilien " L2 et U " de l'Établissement Gare Transilien "L et A", dont il est membre. Par un courrier reçu le 7 juin 2017, le directeur de l'Établissement Gare Transilien lignes L et RER A l'a informé qu'il envisageait de l'affecter sur un poste d'agent commercial du service Transilien au sein de l'Établissement Gare Transilien Ligne C de Paris Rive Gauche, unité opérationnelle 3 Vallées, à la gare de Juvisy, et qu'il disposait d'un délai de quinze jours pour donner son accord. M. F... ayant demandé des précisions supplémentaires le 20 juin 2017, l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités a considéré ce courrier comme dilatoire et a entamé une procédure de radiation des cadres, pour laquelle il a sollicité le 18 octobre 2017 l'autorisation de l'inspecteur du travail. Le 26 décembre 2017, l'inspectrice du travail a autorisé la radiation des cadres de M. F..., qui a formé un recours hiérarchique le 26 février 2018, implicitement rejeté le 28 juin 2018. Le 20 septembre 2018, la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet, annulé la décision de l'inspectrice du travail en date du 26 décembre 2017, et autorisé la radiation des cadres de M. F..., qui demande l'annulation de cette décision.
4. En premier lieu, aux termes de l'article 5 de la décision du 24 mai 2017 portant délégation de signature publiée au Journal officiel du 31 mai 2017, le ministre du travail a donné à M. E... B..., chef du bureau du statut protecteur, délégation à l'effet de signer " dans la limite des attributions du bureau du statut protecteur et au nom du ministre chargé du travail, tous actes, décisions ou conventions, à l'exclusion des décrets ". Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de la ministre du travail du 20 septembre 2018 aurait été signée par une autorité incompétente doit être écarté comme manquant en fait.
5. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 1331-1 du code du travail : " Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. ". D'autre part, aux termes de l'article 4.2, " Procédure d'instruction ", du chapitre 9, " Garanties disciplinaires et sanctions ", du statut des relations collectives entre SNCF, SNCF réseau, SNCF mobilités constituant le groupe public ferroviaire et leurs personnels : " Aucune sanction ne peut être infligée à l'agent sans que celui-ci soit informé dans le même temps par écrit des griefs retenus contre lui. / Un délai maximum de 6 jours ouvrables lui est accordé, à compter de la date de notification de ces griefs, afin de lui permettre de présenter ses explications par écrit. (...) ". Aux termes du " référentiel RH00144 " (" garanties disciplinaires et sanctions "), chapitre 1, article 11.2 " Le dossier disciplinaire " : " 11.2.1 Ouverture de la demande d'explications écrites 0701. / Le Chef direct : / • Ouvre la liasse 0701 " demande d'explications écrites " et expose clairement tous les griefs retenus contre l'agent dès qu'il en a connaissance. / • Remet contre émargement l'exemplaire A de la demande 0701 datée et signée à l'agent ou la lui adresse par lettre recommandée avec accusé de réception s'il est indisponible (congé, maladie...). Toutefois, dans certains cas litigieux notamment en cas de refus d'émargement de l'agent, il peut être préférable de confirmer la demande d'explications soit par lettre recommandée soit par sa présentation devant deux témoins. / • conserve l'exemplaire B de cette demande durant 6 jours. Le supprime dès retour de l'exemplaire A s'il n'a pas été annoté à l'occasion d'un " contact verbal ". / • Au retour de la demande (ou après l'écoulement du délai de 6 jours calendaires) - qui marque le point de départ du délai de 2 mois dans lequel doit intervenir l'engagement des poursuites (sauf si la responsabilité de l'agent était immédiatement incontestable dès la date de connaissance des faits) - formule ses observations sur l'imprimé 0702 : manière de servir habituelle, situation de famille, circonstances exceptionnelles pouvant compléter l'exposé des faits... et propose une sanction. / • Transmet ces documents, par la voie hiérarchique, à l'autorité compétente pour statuer. (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 8 décembre 2016, reçu le 9 décembre, une demande d'explications écrites a été adressée à M. F... pour lui demander de fournir ses explications écrites dans un délai de six jours ouvrables à propos des faits survenus lors de la séance du 1er décembre 2016 du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui étaient rappelés en ces termes : " vous auriez tenu des propos injurieux, agressifs, en menaçant votre Dirigeante d'unité opérationnelle, Présidente du CHSCT. Vous lui auriez notamment déclaré de façon très agressive et en la prenant à partie qu'" il vous manquait 700 " balles " depuis plusieurs mois ", qu'elle " mettait en péril la vie de votre fille ", qu'elle allait " voir ", qu'il fallait vous retenir car vous étiez " vénère ", qu'il allait " pleuvoir du sang par baril de 12 litres ". Avant de quitter les lieux, vous auriez craché sur la table et déclaré " Corleone, tu vas voir comment il va payer ça... ". Par ces faits, vous auriez eu un comportement contraire aux principes de respect et d'éthique applicables au sein de l'entreprise. Non-respect des articles 3.1 et 4.1 du RH 0006 " Principes de comportements applicables au personnel ". Non-respect du RA 0024 " Guide éthique du groupe SNCF ".
7. Eu égard aux termes dans lesquels elle a été rédigée et à l'utilisation constante du mode conditionnel, l'employeur s'abstenant ainsi tant de considérer comme établis les faits en cause que de les imputer à faute à l'agent, et nonobstant la circonstance qu'en application du règlement du personnel RH0205 la " durée d'utilité administrative " de la demande d'explications écrites est " illimitée ", cette demande d'explications écrites, dont la finalité procédurale, dans le souci d'une garantie accrue du principe du contradictoire, est de permettre à l'agent mis en cause de pouvoir présenter par écrit sa version des faits préalablement à l'engagement de toute procédure de sanction par son employeur, et à laquelle il n'est pas tenu de répondre, ne saurait être regardée comme constituant à elle-seule une sanction disciplinaire au sens des dispositions précitées de l'article L. 1331-1 du code du travail. Par suite, M. F... n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été sanctionné à deux reprises pour les mêmes faits, la première fois par cette demande d'explications écrites et la seconde par le déplacement par mesure disciplinaire décidé le 10 mai 2017, en méconnaissance du principe non bis in idem.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un courrier reçu le 7 juin 2017 par M. F..., le directeur de l'Établissement Gare Transilien lignes L et RER A l'a informé qu'à la suite du conseil de discipline du 26 avril 2017 et de la notification le 18 mai 2017 de sa sanction d'un dernier avertissement avec mise à pied de douze jours ouvrés et d'un déplacement par mesure disciplinaire, lui a proposé de l'affecter, pour l'exécution de ce déplacement par mesure disciplinaire, à un poste d'agent commercial du service Transilien à l'Établissement Gare Transilien Ligne C de Paris Rive Gauche, unité opérationnelle Trois Vallées, à la gare de Juvisy, lui a indiqué qu'il disposait d'un délai de quinze jours à compter de la réception de ce courrier pour faire connaitre son acceptation de cette mesure disciplinaire, et lui a précisé que sans réponse de sa part dans ce délai, il serait pris acte de son refus de cette mutation par mesure disciplinaire et qu'une procédure disciplinaire de radiation serait engagée à son encontre. M. F... a répondu à l'établissement SNCF Mobilités, par un courrier daté du 20 juin 2017, déposé le 21 juin et distribué le 22 juin, qu'il n'était pas en mesure de prendre une décision éclairée sur cette proposition de poste sans qu'il n'ait obtenu de réponses à une série de questions sur les modalités pratiques de cette affectation, dont il dressait la liste. Eu égard aux circonstances qu'une fiche de poste détaillée lui avait été transmise en annexe du courrier reçu le 7 juin 2017 et que ce courrier précisait les conséquences qui seraient tirées d'un refus de la proposition de poste, l'établissement SNCF Mobilités a pu régulièrement considérer que la lettre de M. F... dressant une liste de questions, envoyée la veille de l'expiration du délai de quinze jours qui lui avait été laissé pour sa réponse, s'assimilait à une manoeuvre dilatoire et qu'il devait être pris acte du refus de l'intéressé.
9. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que, dans un premier temps, la sanction d'un dernier avertissement avec mise à pied de douze jours ouvrés et déplacement par mesure disciplinaire prise le 10 mai 2017 par le directeur de région a été notifiée à M. F... par une lettre recommandée avec avis de réception du 15 mai 2017, reçue le 16 mai 2017, qui précisait que " les modalités d'exécution de cette sanction vous seront précisées ultérieurement par la Direction de l'établissement ". Dans un second temps, par un courrier notifié le 7 juin 2017 à M. F..., le directeur de l'Établissement Gare Transilien lignes L et RER A lui a indiqué, pour " faire suite au conseil de discipline du 26 avril 2017 et à la notification par lettre recommandée avec accusé de réception, en date du 18 mai 2017, de votre sanction " dernier avertissement avec mise à pied de 12 jours ouvrés et déplacement par mesure disciplinaire ", que, " pour la mise en exécution du déplacement par mesure disciplinaire ", il trouverait en pièce jointe la fiche de poste d'agent commercial du service Transilien à l'Établissement Gare Transilien Ligne C de Paris Rive Gauche, unité opérationnelle Trois Vallées, à la gare de Juvisy, correspondant à la proposition d'affectation. La circonstance que la sanction d'un dernier avertissement avec mise à pied de douze jours ouvrés et déplacement par mesure disciplinaire ait ainsi été notifiée et mise en oeuvre en deux moments, au demeurant espacés par un laps de temps très bref, ne saurait la faire regarder, comme le soutient M. F..., comme constituée de deux décisions distinctes, le courrier notifié le 7 juin 2017 à M. F... ne pouvant être regardé comme une mesure de régularisation, mais comme la modalité concrète d'exécution de la sanction prise le 10 mai 2017, qui avait d'ailleurs été expressément annoncée dans la lettre de notification du 15 mai 2017. Par suite, M. F... n'est pas fondé à soutenir que l'autorisation ministérielle litigieuse de procéder à sa radiation des cadres ne pouvait être accordée sans méconnaître le principe non bis in idem, la sanction prise le 10 mai 2017 l'ayant été pour les mêmes faits.
10. En cinquième lieu, il ne ressort ni de la lettre de l'établissement Gares Transilien LetA du 13 juillet 2017 invitant M. F... à comparaître pour un entretien préalable, ni du compte-rendu de cet entretien préalable rédigé par l'agent qui assistait M. F... à sa demande, ni des autres pièces du dossier que la demande d'autorisation de radier des cadres M. F... aurait été en réalité une mesure de rétorsion motivée par la circonstance qu'il avait contesté devant le conseil des prud'hommes de Mantes-la-Jolie la sanction prise le 10 mai 2017 de mise à pied de douze jours ouvrés et de déplacement par mesure disciplinaire, comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges. Par suite, M. F... n'est pas fondé à soutenir que la ministre du travail ne pouvait accepter ce détournement de pouvoir sans entacher d'illégalité sa décision.
11. En sixième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un lien existerait entre le mandat de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail dont était investi M. F... et la demande d'autorisation de procéder à sa radiation des cadres.
12. En septième lieu et dernier lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.
13. Aux termes de l'article 1103 du code civil : " Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ". Aux termes de l'article L. 1221-1 du code du travail : " Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être constaté dans les formes qu'il convient aux parties contractantes d'adopter ". Le principe général du droit dont s'inspirent ces dispositions implique que toute modification des termes d'un contrat de travail recueille l'accord à la fois de l'employeur et du salarié. Le refus opposé par un salarié protégé à une sanction emportant modification de son contrat de travail ne constitue pas une faute. Cependant, lorsqu'un employeur se heurte au refus, par un salarié protégé, d'une sanction impliquant une modification de son contrat de travail et qu'il demande, dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire, à l'inspecteur du travail de l'autoriser à prononcer un licenciement pour faute en lieu et place de la sanction refusée, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Lorsque la demande d'autorisation fait suite au refus, par le salarié protégé, d'accepter une sanction de moindre gravité au motif qu'elle entraîne une modification de son contrat de travail, il lui revient de prendre en compte cette circonstance.
14. D'une part, il ressort des pièces du dossier, et il n'est au demeurant pas contesté, que M. F..., lors de la réunion du 1er décembre 2016 du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'unité opérationnelle Transilien "L2 et U" de l'Établissement Gare Transilien "L et A", a déclaré, à propos d'un différend qui l'opposait à sa hiérarchie concernant une somme de 700 euros qui lui était due au titre des " éléments variables de solde ", " Vous me devez 700 balles et j'ai la preuve à la maison. Les calculs que j'ai faits en une demiheure et le pôle RH met 6 mois. C'est ma fille que je nourris avec ces 700 balles. Mettez en péril la vie de ma fille et vous allez voir. La tête de ma mère, Grand Barbu, je le jure, retiens-moi. Là, je commence à avoir le seum. Je suis vénère. Si j'ai pas mon argent le 15 décembre, il va pleuvoir du sang par baril de 12 litres " avant de sortir en disant " Corleone, tu vas voir comment il va payer ça ". Le fait qu'il ait craché sur la table en partant est formellement contesté par l'intéressé, qui admet toutefois que dès lors qu'il était alors en train de boire un verre d'eau, il est possible qu'un filet de bave soit sorti involontairement de sa bouche.
15. Quand bien même il n'est pas établi que ces propos aient été proférés par M. F... à l'encontre de sa dirigeante d'unité opérationnelle, présidente du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, mais, de manière plus générale et impersonnelle, à l'adresse de sa hiérarchie, connue ou inconnue, comme l'interprétation que l'intéressé a donné, dans ses explications écrites présentées dans son courrier du 17 décembre 2016, de ses propos " Corleone, tu vas voir comment il va payer ça " peut le laisser penser, cette intempérance de langage, qui survenait après que M. F... a été sanctionné d'une mise à pied disciplinaire de quatre jours notifiée le 15 février 2016 pour avoir dit, lors d'une réunion, à son précédent supérieur hiérarchique, " enculé ", " je vais te faire bouffer tes lunettes ", était de nature à justifier la sanction prise à son égard le 10 mai 2017 de mise à pied de douze jours ouvrés et de déplacement par mesure disciplinaire, nonobstant les circonstances que M. F... a présenté ses excuses à sa dirigeante d'unité opérationnelle immédiatement après la séance du 1er décembre 2016, puis par courrier électronique du lendemain 2 décembre 2016, puis enfin dans son courrier susmentionné du 17 décembre 2016 et, à la supposer établie pour celle-ci, qu'il ait suivi un traitement médicamenteux à base d'anxiolytiques au moment des faits.
16. D'autre part, comme il a été dit au point 8 ci-dessus, M. F... doit être regardé comme ayant refusé la sanction de déplacement par mesure disciplinaire prise le 10 mai 2017. Par suite, c'est à bon droit que la ministre du travail a estimé, par sa décision litigieuse du 20 septembre 2018, que ce refus de M. F... d'accepter ce changement de ses conditions de travail constituait une faute d'une gravité suffisante pour justifier sa radiation des cadres.
17. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de M. F... tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail du 20 septembre 2018 doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande M. F... au titre des frais liés à l'instance et exposés par lui.
19. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la SA SNCF Voyageurs les frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1821508/3-3 du 25 juin 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SA SNCF Voyageurs, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... F..., à la SA SNCF Voyageurs, à la ministre du travail et à la ministre de la transition écologique et solidaire.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Vinot, président de chambre,
- M. C..., président assesseur,
- Mme Collet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.
Le rapporteur,
I. C...Le président,
H. VINOT
Le greffier,
C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre du travail et à la ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02803