Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 12 avril 2018 par lequel le préfet de police a prononcé son expulsion du territoire français et d'enjoindre à ce dernier de réexaminer sa demande de titre de séjour dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer, dans un délai de quinze jours suivant le prononcé du jugement, un récépissé l'autorisant à travailler.
Par un jugement n°1812684 du 5 décembre 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 12 avril 2018 du préfet de police et a enjoint à ce dernier de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire, enregistrée le 5 février 2020, un mémoire ampliatif, enregistré le 12 mars 2020, et un mémoire en réplique, enregistré le 13 juillet 2020, le préfet de police demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°1812684 du 5 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M. D....
Il soutient que :
- sa requête d'appel est recevable ;
- les premiers juges ont commis une erreur de plume en visant dans leur jugement des dispositions de l'article L. 521-1 du " code de justice administrative " au lieu du " code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " ;
- la décision attaquée a été signée par une autorité compétente, ayant reçu délégation de signature ;
- cette décision est suffisamment motivée ;
- par son comportement et au regard des multiples faits délictueux dont il a été l'auteur, M. D..., qui n'établit pas entrer dans le champ d'application du 4° de l'article
L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, représente une menace grave à l'ordre public au sens de l'article L. 521-1 du même code ainsi que l'a considéré la commission spéciale d'expulsion ;
- l'intéressé ne produit aucun élément probant de nature à démontrer qu'il entretiendrait des liens effectifs avec ses enfants ou qu'il subviendrait effectivement à leurs besoins ; il a été condamné, le 26 octobre 2015, à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violences sur la personne de son fils aîné ; la réalité de sa vie commune avec la mère de ses trois derniers enfants n'est par ailleurs pas établie ;
- la décision attaquée ne méconnait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 juillet 2020 et le 22 juillet 2020,
M. D..., représenté par Me Nematollahi-Gillet, demande à la cour :
1°) de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) à titre principal, de rejeter la requête et d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une carte de résident dans le délai de deux mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir et de le munir, dans l'attente et dans le délai de quinze jours, d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ; à défaut, d'enjoindre au préfet de police, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler ;
3°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991, et, subsidiairement, à lui-même, sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête d'appel n'a pas été signée par une autorité compétente ;
- le préfet n'est pas compétent pour prononcer, aux lieu et place du ministre de l'intérieur, l'expulsion d'un étranger en application des articles L. 521-2 ou L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; un tel vice entachant la décision attaquée n'est pas régularisable ;
- il n'est pas justifié de la compétence du signataire, par délégation, de l'arrêté dont la signature est illisible ;
- l'arrêté, qui se borne à énumérer les condamnations pénales dont il a fait l'objet, n'est pas suffisamment motivé et n'a pas été précédé d'un examen complet de sa situation ;
- il est entaché d'une erreur de droit, dès lors que sa situation relève de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non de l'article L. 521-1 du même code, les liens entretenus avec ses enfants, sa contribution à leur éducation et leur entretien et la communauté de vie avec leur mère, étant établis ; par ailleurs, le préfet ne pouvait fonder sa décision sur les seules condamnations pénales ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation, dès lors que la menace suffisamment grave et actuelle pour l'ordre public n'est pas caractérisée ;
- il méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sa vie privée étant établie sur le territoire français où résident son épouse ainsi que leurs trois enfants, tous de nationalité française ainsi que son premier enfant.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 24 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- et les observations de Me Nematollahi-Gillet, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant congolais (RDC) né le 17 février 1983, est entré en France le 19 septembre 2000 à l'âge de 17 ans dans le cadre d'une procédure de regroupement familial et s'est vu délivrer une carte de résident valable du 22 décembre 2000 au 21 décembre 2010, renouvelée jusqu'au 21 décembre 2020. Sa dernière carte a été retirée le 15 mai 2018. Par un arrêté du 12 avril 2018, le préfet de police a prononcé à son encontre une mesure d'expulsion du territoire français. Le préfet de police relève appel du jugement du 5 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision.
Sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'appréciation des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président (...) ".
3. M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du
24 août 2020. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant à ce que la cour lui accorde l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. L'erreur de plume commise par le tribunal administratif, qui fait référence au point 3 de son jugement à l'article L. 521-1 du " code de justice administrative " au lieu de l'article
L. 521-1 du " code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " est sans influence sur la solution retenue par les premiers juges et n'est dès lors pas de nature à affecter la régularité de leur jugement.
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de l'appel du préfet de police :
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". En vertu de l'article L. 521-3 du même code : " Ne (peut) faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ; (...) 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an (...). Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables à l'étranger mentionné (...) au 4° ci-dessus lorsque les faits à l'origine de la mesure d'expulsion ont été commis à l'encontre de son conjoint ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l'autorité parentale. / Les étrangers mentionnés au présent article bénéficient de ses dispositions même s'ils se trouvent dans la situation prévue au dernier alinéa de l'article L. 521-2 ".
6. D'autre part, aux termes de l'article R. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente pour prononcer l'expulsion d'un étranger en application de l'article L.521-1, après accomplissement des formalités prévues à l'article L. 522-1, est le préfet de département et, à Paris, le préfet de police. " et aux termes de l'article R. 522-2 : " L'autorité administrative compétente pour prononcer l'expulsion d'un étranger en application des articles L. 521-2 ou L. 521-3 ainsi qu'en cas d'urgence absolue est le ministre de l'intérieur. ".
7. Il est constant que M. D... est le père de quatre enfants, dont trois enfants français nés respectivement en 2008, 2012 et 2013. Par les pièces qu'il verse aux débats, notamment : une attestation de vie commune rédigée par sa compagne, des attestations de membres de sa famille, des fiches de paye mentionnant une adresse commune, des factures de restauration scolaire, une attestation du directeur de l'établissement fréquenté par ses enfants et un relevé de prestations de la caisse d'allocations familiales, il justifie vivre depuis plusieurs années avec ses trois derniers enfants et leur mère -avec laquelle il est désormais marié-, et ainsi contribuer à l'entretien et l'éducation des premiers au sens des dispositions de l'article 371-2 du code civil.
8. Si pour dénier à M. D... le bénéfice de la protection prévue par les dispositions précitées du 4° de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police invoque dans ses écritures la condamnation prononcée à l'encontre de l'intéressé par le tribunal correctionnel de Paris le 26 octobre 2015 à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve de deux ans pour des faits de violences suivie d'une incapacité n'excédant pas huit jours sur l'aîné de ses enfants, né d'une précédente union, il n'a pas, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, fondé la décision attaquée sur ce motif.
9. Il résulte de ce qui précède, qu'au regard des motifs invoqués, M. D... ne pouvait faire l'objet d'une expulsion que si celle-ci répondait à une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique au sens des dispositions de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par le ministre de l'intérieur, et que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la décision litigieuse, prise sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, était entachée d'erreur de droit et d'incompétence de son auteur.
10. Par suite, le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 15 mars 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
12. Le présent arrêt confirme le jugement du 5 décembre 2019 dont l'exécution implique seulement que la situation de M. D... soit réexaminée et que le préfet de police lui délivre, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. M. D... n'est ainsi pas fondé à exciper de l'illégalité du retrait de la carte de résident qui lui avait délivrée pour demander à la cour d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une nouvelle carte de résident.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. D... présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. D... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel de M. D... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de de police.
Délibéré après l'audience publique du 8 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Bouleau, premier vice-président,
- M. Bernier, président assesseur,
- Mme Jayer, premier conseiller.
Lu en audience publique le 29 septembre 2020.
Le rapporteur,
M-D Jayer Le président,
M. Bouleau
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N°20PA00431